UA-110886234-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

24/10/2011

Entropie de l’idéal

 

 

« Tout commence en mystique et finit en politique » écrivait Charles Péguy. On pourrait dire aussi que tout commence par des valeurs et finit par des intérêts.  On a vu, par exemple, dénoncer  récemment les dérives du WWF, accusé de couvrir le greenwashing de ses riches sponsors et le microcrédit accusé de contribuer au naufrage des pauvres. C’est comme si le potier finissait par se faire prendre dans la glaise qu’il voulait façonner.

 

Je ne sais plus si j’ai raconté ici mes mésaventures avec la fondation d’un personnage qui fut très médiatique, figure de globe-trotter au service de l’environnement qui, si l’on écarte toute autre considération, a certainement contribué à la prise de conscience du bon peuple dans ce domaine. Il y a quelques années, le boyscout en question avait produit un livre que j’avais lu avec exultation. Questionné au même moment par une entreprise toulousaine qui, dans le cadre d’une convention annuelle, voulait traiter un sujet d’actualité, j’avais sans hésiter préconisé d’inviter l’auteur : dans son livre, il se disait prêt à répondre à toute invitation pour apporter la bonne parole. Le conseil d’administration de l’entreprise, avec le même enthousiasme que le mien, avait validé ma proposition, alloué un budget de 50 000 F au profit du bonhomme (c’était juste avant que l’on passe à l’euro) et m’avait chargé de l’approcher. Tout heureux de pouvoir faire passer devant un auditoire de 2000 personnes un message qui me paraissait essentiel, je me mis en devoir de contacter l’intéressé. Au bout de deux mois, cependant, mes mails et mes appels téléphoniques étaient toujours sans réponse. Je résolus alors de me présenter sans prévenir au siège de sa fondation. L’ambiance était bon enfant et je fus très aimablement accueilli. On m’expliqua qu’étant en tournage par monts et par vaux, « il » n’avait pas eu le temps de me répondre mais qu’il avait pris connaissance de mon message. On m’assura que j’aurais des nouvelles. Pour autant, après cette visite, le temps continua à s’écouler et, comme rien ne venait, il fallait maintenant décider d’une éventuelle solution de rechange. Animé d’un résidu d’espoir, je rappelai la fondation et on me passa finalement une jeune femme dont le ton me donna très vite l’impression d’être un pèquenaud doublé d’un quémandeur. Du haut de la proximité qu’elle était censée avoir avec le grand prêtre de l’écologie, la péronnelle m’expliqua que les conférences étaient réservées aux adhérents de la fondation – ce qui n’était aucunement précisé dans le livre. Et, comme j’exprimais la possibilité que mes mandants pussent adhérer, elle m’annonça – ou plutôt m’asséna - un chiffre qui me donna le vertige. C’était plus d’un million de francs à verser chaque année et pendant trois ans au moins. Je me sentis soudain floué et je l’exprimai à mon interlocutrice, à qui cela ne fit ni chaud ni froid. Moi qui, naïvement, avais cru répondre à l’appel de ce héraut de l’environnement ! Moi qui, tout aussi naïvement, avait cru qu’il serait ravi de pouvoir faire partager ses convictions à un public de 2000 personnes – ce n’est pas rien tout de même - tout en recevant 50 000 F pour ses œuvres en contrepartie d’une conférence d’une heure et demie !  

 

Je ne puis me résoudre à l’explication par l’imposture. Du moins, j’ai du mal à penser que l’imposture fasse partie d’un plan prémédité. Je préfère croire qu’on a fini par y tomber mais qu’il y eut un moment, au début, où l’on était de bonne foi. Le processus de cette chute me semble lié à l’entropie qui affecte, plus ou moins rapidement, toute chose en ce bas monde. Voici l’idée que je m’en fais - quand je suis d’humeur magnanime.

 

Première époque : les initiateurs, les « pères fondateurs » s’investissent sans chercher le moindre souci d’un retour pour eux-mêmes. Ils veulent mettre de la compassion et de l’espérance au cœur du drame existentiel de l’humain, comme Jésus et ses apôtres ; répandre le message des Lumières comme les mouvements maçonniques de l’Ancien régime ; expérimenter un remède à la misère matérielle des petits fermiers, comme Raiffeisen ; éradiquer des maladies comme Pasteur ou Flemming …

 

Deuxième époque : le mouvement prend de l’ampleur. L’élan, le bénévolat, l’improvisation suffisent de plus en plus difficilement à assurer l’exécution convenable de toutes les tâches qui en découlent. Là-dessus, des ambitions naissent et se développent, dont certaines peuvent ne pas être dépourvues de la noblesse des origines. Mais il ne s’agit plus d’apporter seulement une inspiration spirituelle, des principes de vie ou une philosophie : il s’agit d’organiser la société - pour ne pas dire, en cas de dérive plus forte, qu’il s’agit de se la soumettre. Il ne s’agit plus de traiter un problème local ou régional : il s’agit du pays, voire de la planète qu’il faut conquérir. Il ne s’agit plus de développer une solution, un traitement, il s’agit de devenir leader de son marché, ou à tout le moins d’entrer dans « la cour des grands ». Ces nouveaux objectifs nécessitent d’autres ressources et d’autres compétences que seulement bénévoles : on va les chercher à l’extérieur et, ce faisant, on importe des ambitions, des représentations de la réussite, des appétits et une vision du monde différents de ceux des origines. Ces nouveaux objectifs appellent aussi d’autres modes de prise de décision et de fonctionnement, d’autres formes d’organisation. Insensiblement, ils adultèrent les finalités fondatrices.

 

L’histoire continue. Troisième époque : l’organisation exige de mobiliser de plus en plus d’énergie et de ressources. Il faut plus d’argent, plus d’influence, et les tentations se multiplient de trouver des accommodements avec la pureté initiale. Qui veut la fin veut les moyens, n’est-ce pas ? Selon les histoires qui se construiront alors, en fonction des personnes et des circonstances, on aura au bout de quelques années ou de quelques décennies des apôtres qui trouvent leur récompense dans le trafic d’influence, des salariés et des dirigeants qui subvertissent le mouvement pour s’en faire un fromage ou un levier de pouvoir. L’organisation devient leur véhicule, un véhicule dont ils ont pris le volant et dont ils décident l’itinéraire.

 

Dernière époque. A l’abri des grandes devises issues de son passé, l’organisation se livre à l’obsession de la croissance et de la notoriété, de l’accumulation de richesse ou de pouvoir. Alors, un organisme de microcrédit, issu de la lutte contre l’usure, amène ses adhérents au surendettement ou taxe lourdement les plus impécunieux. Une industrie de la santé multiplie les médicaments hasardeux,  les vaccins inutiles et dangereux. Pendant ce temps, à l’abri d’une mission fantaisiste, un réseau aux fondements humanistes suce ici et là les finances publiques. Et, protégée par le lien affectif qu’elle a su nouer avec le grand public, une ONG de taille planétaire fournit des alibis à ceux dont elle devrait dénoncer l’imposture.

 

Comme dirait Edgar Morin, le temps des recommencements est venu.

 

Références :

Concernant le WWF : http://actualutte.info/2011/07/05/le-wwf-mis-en-cause-par...

Concernant le microcrédit : http://www.jesuites.com/actu/2011/giraud.htm

 

 

15/10/2011

La société comme création continue

Une société humaine se construit contre les pentes des passions, particulièrement la passion de l’argent et du pouvoir qui détourne les richesses et les libertés au profit du fort et au détriment du faible. De ce fait, une société n’est pas un état stable, c’est une création continue : on n’éradique pas les passions, elles renaissent avec chaque être humain et il s’agit de remailler en permanence ce qu’elles s’efforcent de défaire,  de subvertir ou de récupérer. Il n’est que de parcourir l’histoire des lois pour voir à l’œuvre cet affrontement souvent caché et les victoires et les défaites de la démocratie. Je citais dans ma dernière chronique le petit bout de phrase glissé par la Miviludes pour protéger ses affidés de la Justice de notre pays, mais on pourrait aussi évoquer, dans tous les pays démocratiques ou non,  les textes qui protègent ou favorisent les intérêts de tel ou tel acteur économique : les industries pharmaceutique ou semencière, par exemple, y révèlent l’efficacité discrète de leur lobbying, notamment par les interdictions qu’elles obtiennent des législateurs.

 

L’attaque contre le caractère démocratique d’une société n’est plus, depuis longtemps, un combat spectaculaire. C’est plutôt une multiplication de coups bas où le législateur peut voir sa bonne foi surprise, mais qui resserrent tout doucement le garrot autour des libertés citoyennes. Ici, on ne pourra plus ensemencer son jardin de graines qui ne soient point industrielles. Là, on devra renoncer à se procurer des suppléments alimentaires ou des huiles essentielles qui n’aient pas la bénédiction de Big Pharma. Demain, dès la maternelle, les gamins seront mis en catégories au mépris de tout ce que la pédagogie nous apprend de la plasticité humaine, de l’effet Pygmalion et des prophéties auto-réalisatrices. Alors que s’enflent les rumeurs autour des effets pernicieux et parfois mortels de certains vaccins au demeurant peu nécessaires, des mesures  seront prises en catimini pour sanctionner ceux qui entendent résister. Afin de rendre impuissantes nos tentatives d’une consommation éthique, on découvrira un jour que, sur les produits, les étiquettes ont été substantiellement simplifiées...  Stratégies lilliputiennes pour ligoter les peuples avant qu'ils se réveillent.

 

Le premier rôle du politique, dans une démocratie, est d’être vigilant à tout ce qui, au prix d’arguments spécieux, pourrait réduire notre liberté de vivre comme nous l’entendons. Malheureusement, quand  les Rastignac contemporains se hissent aux plus hauts niveaux avec l’ambition de se la péter dans la cour des grands, l’éthique démocratique fait long feu. La cour des grands, c’est celle des banquiers, des C.E.O. et P.D.G des grandes entreprises et des présidents des Etats-unis. Or, la fascination qu’ils ont exercée sur nos prétendues élites a eu au cours de ces dernières décennies une première conséquence dont on commence à voir les effets : je veux parler de l’adoption par notre classe politique - de droite comme de gauche d'ailleurs - de la croyance que le marché libre, dans tous les domaines, résout les problèmes plus efficacement que l’Etat. On a ainsi allègrement dérégulé les flux de capitaux : l’argent ne se porterait-il pas ainsi plus facilement où des projets riches de potentialités l’appelleraient ? Davantage de création de richesse et d’emplois: l’Eldorado ! Vous avez vu ce que cela a donné ? Certes, on a aussi multiplié les législations dites « prudentielles » - Bâle 1, Bâle 2, Bâle 3 - et on continue sans aucun souci de leur inefficacité. Mais, comme le dit joliment Laure Waridel dans Commencements 2, c’est comme si on s’épuisait à vider la baignoire qui déborde avec une cuillère au lieu de fermer le robinet qui est grand ouvert !

 

L’Histoire montre que la plus féconde des solutions n’est pas de s’en remettre de tout à l’Etat ou au Marché, mais d’associer les ressorts des deux. De Gaulle n’a pas fait autre chose en 1958, lorsqu’il a hérité une France endettée, déconsidérée à l’étranger et en voie d’appauvrissement à l’intérieur – la France de l’abbé Pierre, qui est en train de se reconstituer sous nos yeux si vous regardez bien. Mais il faut dire que plaire aux puissances financières et économiques n’était pas le premier souci de celui pour qui « la politique de la France ne se faisait pas à la corbeille ». Et, s’il ne cherchait pas à leur plaire en leur distribuant - comme c’est devenu la pratique - des avantages fiscaux, en revanche le redressement volontariste de la France, les grands projets, créaient pour eux aussi des opportunités. Quand on raisonne à partir de la force des choses, on en oublie le pouvoir créateur de la décision. Où l’un gère la débâcle, l’autre fonde un avenir. Fermer le robinet, pour reprendre l’expression de la fondatrice d’Equiterre, ce serait d’abord, pour notre classe politique, considérer que le service de la communauté nationale est au dessus des prétendues « lois économiques » qui invitent les agneaux à s’assoir dans l’assiette du loup. Jetons ce carcan, comme de petites communautés locales le font déjà un peu partout sur la planète, et l’imagination reviendra et avec elle le salut. La société est une création continue. Ressaisissons-nous et ressaisissons-la.

14/10/2011

Le lien et la loi

 

 

Je me souviens des séminaires où Meyer Ifrah nous présentait sa théorie des 2L : le lien et la loi, les deux ressources fondamentales des sociétés et des personnes. Cela fut pour moi une illumination. Pour nous construire mais aussi pour vivre en société, nous avons besoin à la fois d’amour et de discipline, d’affectio societatis et de règles. Traditionnellement, dans notre civilisation, ces deux ressources s’exprimaient dans les rôles spécifiques attribués aux figures parentales, la mère et le père. On en trouve un reflet dans la psychologie freudienne où la « loi du père » est ce qui permet la différenciation.

 

La chose dont j’ai ensuite pris conscience, c’est que nous avons souvent du mal à penser le lien et la loi en même temps. Il y a en nous une tendance à se polariser sur un seul des deux principes et, d’une certaine manière, à se faire le héraut de l’un ou de l’autre. Partant de cette polarisation, nous avons la fâcheuse tentation de tout ramener à des antagonismes. Ainsi, le lien et la loi, généralement, se regardent en chiens de faïence, se brocardant et se rejetant mutuellement. « Le lien » est trop mou, dit « la loi ». « La loi » n’a pas de cœur, dit « le lien ». Il suffit de suivre une campagne électorale pour les voir à l’œuvre : vous aurez ceux qui mettent l’accent sur la solidarité (le lien) et ceux qui voient le salut dans davantage d’ordre (la loi).  Personnellement, j’ai une propension à penser que les partisans de l’ordre sont les plus dangereux : poussé à l’extrême, ce tropisme a fait ses tristes preuves dans l’Histoire. On lui doit les totalitarismes, les dragonnades, les pogroms et toutes les formes d’oppression, de persécution et d’extermination qui seraient inenvisageables sans la fascination que l’ordre et l’autorité qui l’incarne exercent sur les esprits. Une fois encore, je me permettrai de vous renvoyer – entre autres - aux expériences de Milgram ou de Zimbardo.

 

Un fait divers dont j’ai pris connaissance hier matin exprime particulièrement cette dualité. A la demande des habitants d’un quartier de la banlieue parisienne, la police a verbalisé et taxé d’une amende de 38 € une pauvresse qui se nourrissait en cherchant dans les poubelles les restes de ceux qui ont les moyens de jeter de la nourriture. Dans les sociétés de nantis, il est courant de considérer les pauvres comme une souillure de l’environnement. Il est possible – je ne connais pas les détails de l’histoire – que la glaneuse en question fouillait sans trop de précaution, répandant le contenu des poubelles sur le trottoir et ce comportement est évidemment aussi détestable que répréhensible. Je me dis cependant qu’il y a une sorte de dérision cruelle à accabler d’une dépense de 38 € une personne que nos fonctionnements économiques et sociaux ont marginalisée et qui ne peut se nourrir que de nos déchets.  Ecraser ceux qu’écrase déjà la misère fait penser à des sociétés qu’on croyait révolues. C'est le triste principe du "vae victis". Mais, ce qui est inquiétant, c’est que, dans la chaîne nécessaire des acteurs pour parvenir de la plainte au procès-verbal, il ne se soit pas trouvé un homme ou une femme pour proposer une autre solution. Celui qui a appuyé sur le bouton vous répondrait sans doute que ce n’est pas à lui mais à l’Etat ou à la collectivité locale de s’occuper de la misère. A l’autre bout, j’entends la réflexion de l’exécuteur final : « Si vous croyez que cela m’amuse ! Je fais mon boulot, c’est tout ! » Je vous invite à revoir le film de John Ford, « Les raisins de la colère ». Vous y trouverez une scène du même tabac.

 

Ce dont il faut se méfier en toute chose, c’est de la pente. Lorsqu’on s’y laisse aller, on prend inéluctablement de la vitesse. Du souci légitime de propreté, on peut glisser à une sorte d’obsession de la pureté. De citoyen respectueux des lois qui régissent la société, on peut devenir un persécuteur par la loi. Dans la série X Files, l’épisode « Bienvenue en Arcadie » pousse à l’extrême cette logique puisqu’on va jusqu’à éliminer celui qui enfreint un règlement de copropriété obsessionnellement pointilleux. On peut se gausser de cette fiction, mais le monstre surgi du sol qui exécute les habitants indisciplinés est une juste allégorie selon moi de l’inconscient extrêmement trouble des obsédés de l’ordre, de la pureté et de la perfection.

 

 J’amène, dans ce sens, un autre fait quelque peu troublant. Dans une proposition de loi dite « de simplification du droit des entreprises », la mission MIVILUDES – vous savez : ceux que l’on paye pour protéger nos pauvres petites âmes naïves des cathares et autres traîtres à la pensée dominante – a réussi à introduire un amendement stipulant que « les membres de la Mission interministérielle de lutte et de vigilance contre les dérives sectaires ne peuvent être recherchés, poursuivis, arrêtés, détenus ou jugés en raison des opinions qu’ils émettent dans le rapport annuel ». Profiter d’une règlementation destinée aux entreprises pour légiférer sur une mission interministérielle, c’est déjà fort de café. Mais utiliser la loi pour se soustraire à la loi, là, c’est du grand art… Qui sont ces gens pour, s'ils étaient attaqués devant les tribunaux, ne pas faire confiance à la Justice de leur pays ?

 

« Etonnant, n’est-ce pas ? » comme aurait dit le regretté Pierre Desproges.