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27/06/2012

Je ne te reconnais pas

 

 

«Je ne te reconnais pas». Cette phrase, l’avez-vous déjà entendue à votre endroit ? Elle peut recéler le meilleur ou le pire, l’éloge ou la critique, la gêne, le rejet ou - plus rarement - l’admiration. Elle peut louer explicitement un changement ou le condamner implicitement. Dans ce dernier cas, c’est une façon de vous dire: tu me trahis. 

 

Notre première prison est faite des habitudes que nous avons données aux autres, qu’il s’agisse de notre façon de vivre, de nos comportements, de nos valeurs, de notre façon de parler et des expressions de notre visage. Vous vous croyez propriétaire de votre personne ? Vous l’êtes, légitimement. Le problème, c’est qu’autour de vous tous ceux qui vous connaissent, inconsciemment peut-être, se conduisent comme s’ils l’étaient aussi. On peut vouloir changer les autres, c’est un autre problème, mais plus généralement on attend d’eux qu’ils ne changent pas. Sinon, le monde vacille, perd de sa lisibilité, comme une pièce de théâtre où l’un des acteurs se mettrait soudain à jouer un autre rôle que celui qu’il avait endossé. La pièce semble ne plus avoir de sens, les spectateurs ne savent plus dans quelle histoire ils sont embarqués. Ils ont le sentiment d’être floués.  

 

Vous étiez par trop débonnaire et vous avez réussi à cultiver un peu plus de fermeté ? Vous étiez la bonne pomme à qui on peut tout faire et qui se rebiffe ? Vous étiez le bon petit soldat qui passait ses soirées au bureau, qui emportait le weekend des dossiers à la maison et qui décide de récupérer un peu de sa vie ? Vous étiez un addict de la consommation et vous avez décidé de limiter la place de la voiture, des smartphones, des écrans plats et des dîners en ville dans votre existence ? Traîtrise! Traîtrise! Traîtrise! L’oeil exorbité, le cheveu en bataille, les metteurs en scène de votre vie débarquent et vous remettent vos didascalies sous le nez. 

 

La difficulté de changer ne tient donc pas qu’à nos réticences intérieures. Elle vient aussi de ceux qui nous entourent, de l’image de nous à laquelle il s’étaient attachés, des scénarios que nous partagions avec eux et qui les confortaient dans leurs façons de vivre et dans leurs propres valeurs. Elle tient au temps que nous pouvions meubler ensemble grâce à des complicités que notre changement va détricoter. Elle tient aux projections que nos amis ou nos parents se faisaient de l’avenir et qui sont remises en question. Imaginez un peu le choc quand le compagnon de beuverie verse dans la sobriété ou quand le parangon de la mode choisit de vivre comme les Doukhobors! De quoi se faire exclure. Pour qu’il redevienne le fils sur lequel il comptait pour reprendre ses affaires, le père du futur saint François d’Assise a été jusqu’à traîner celui-ci au tribunal quand il s’avéra qu’il voulait devenir le poverello. Sans succès d’ailleurs. Francisco sut payer le prix de sa liberté: en pleine audience, il rendit à son géniteur jusqu’aux habits qu’il avait sur le corps! Moins spectaculairement, combien de couples ont-ils battu de l'aile jusqu'à la rupture parce que l'un des deux tourtereaux, las par exemple de son esclavage professionnel, décidait de vivre autrement ? Monsieur avait épousé une diva de la pub et il se retrouve avec une bobonne qui reste à la maison et fait des confitures! Madame était fière de se montrer dans les soirées pince-fesse au bras de son dirigeant de mari, et le voilà qui laisse tout tomber pour jouer les Robinson! Traîtrise!

 

Cette difficulté de changer sa propre vie est accrue si notre évolution va à l’encontre de valeurs et de comportements largement partagés au sein de la société. Ce n’est pas seulement un père, un voisin, un chef ou des copains qui essaient alors de nous ré-engluer dans leur monde, mais l’environnement tout entier auquel on se retrouve à faire face. C’est qu’une société, c’est d’abord un imaginaire et que, comme l’a montré Serge Latouche, notre imaginaire collectif a été complètement colonisé par ceux qui en tirent profit. Le bonheur, la vraie vie, c'est la publicité qui vous dit ce que c'est. Ceci explique en partie pourquoi, bien que de nouvelles aspirations se manifestent aujourd’hui de partout, les passages à l’acte et la constance dans ces choix restent discrets. 

 

Tout en leur résistant, il faut comprendre aussi les autres. Votre changement les interpelle, il les renvoie à leur propre façon de vivre et de se comporter, aux addictions qu’ils ne remettent pas en question, aux doutes qu’ils refoulent sur ce que serait, pour eux, la «bonne vie» (pour s’exprimer comme les philosophes de l’Antiquité). D’une certaine manière, il y a de grandes chances qu'en fait vos choix les rendent jaloux: vous accédez à quelque chose qu’ils ne peuvent pas avoir. Parce que cela ne s’achète pas avec de l’argent. Or, c’est là le déconditionnement essentiel: jouir de richesses qui ne s’achètent pas. Mais alors, à quoi bon accepter l'esclavage qui donne accès à l'argent ? - Vous sentez ce que cette question peut avoir de perturbant ?

Commentaires

Comme le disait Michael White : "l'identité est un projet social". Ton article est une bêle illustration du constructivisme au quotidien :-)

Écrit par : Pierre | 27/06/2012

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