UA-110886234-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

06/04/2018

Mettre de la vie dans la vie

 

Avez-vous entendu parler des Monts de Kong ? Ils figurent sur la plupart des cartes commerciales d’Afrique que l’on utilisait au XIXe siècle. De près d’un millier de kilomètres de long, on les trouve entre le bassin du Niger et le golfe de Guinée. Selon certains voyageurs qui ont interrogé les gens de la région, ils constituent le territoire du royaume de Kong qui leur a donné son nom. Le major James Rennel, éminent géographe britannique, utilisant les carnets de l’explorateur écossais Mungo Park, est le premier à les reporter sur une carte. D’autres explorateurs en font des descriptions, variables, affirmant qu’ils sont insurmontables ou, au contraire, qu’ils ont réussi à les traverser. Enfin, les Monts de Kong seraient une sorte d’Eldorado, riche en minerai aurifère.

 

Les Monts de Kong n’ont jamais existé.

 

On pourrait voir dans cette histoire le point de départ d’une allégorie de l’existence humaine. En l’occurrence, les Monts de Kong pourraient d’abord symboliser l’avenir que nous nous imaginons au début de notre vie, à partir de ce qui se dit et de ce qui se pense autour de nous, dans le monde de notre enfance et de notre jeunesse. A partir des informations qui circulent dans ce monde : la carte géographique, remplacée par les programmes d’études et les perspectives d’embauche qu’offre tel ou tel métier, et les mines d’or que représenteraient la carrière et la réussite.

 

Chacun d’entre nous a ses propres Monts de Kong et se met en marche vers eux - et c’est très bien. En chemin, avec un peu de chance, nous reconnaissons ici et là des paysages qu’on nous avait décrits, que nous avions imaginés. A quelques détails près, l’itinéraire est bien celui dessiné sur la carte. La route n’est pas exactement celle que nous projetions sur notre écran intérieur, mais, l’un dans l’autre, nous avons encore l’impression d’être en terrain balisé.

 

Puis, il arrive à certains d’entre nous que, plus ou moins soudainement, la carte et le territoire ne se répondent plus. Ce dernier, en outre, se modifie. Le paysage peut ne plus ressembler à rien de ce que nous nous représentions. Cependant, si ces nouveaux reliefs, ces couleurs inattendues nous séduisent, si le climat est supportable, si les indigènes sont hospitaliers, l’aventure peut se poursuivre. Que la promesse d’atteindre nos Monts de Kong semble devoir être tenue, nous continuons bravement de marcher !

 

Peut venir le moment où, quelque familière ou au contraire exotique qu’elle ait pu être, la route s’arrête, nous laissant devant un territoire qu’aucun chemin visible ne parcourt. Nous avons alors le choix entre planter notre tente où nous sommes parvenus, ou bien pénétrer into the wild. Si nous choisissons de poursuivre, nous avons à décider lequel des trois cent-soixante degrés de la boussole sera notre fil conducteur. A moins que de nouveaux Monts de Kong se profilent à l’horizon.

 

Cette allégorie que j’aime bien vous parlera peut-être. Je pourrais l’illustrer des péripéties de ma vie. Je me suis retrouvé très tôt hors des routes cartographiées, dans ce qui fut pour moi une sorte de jungle. Une expérience très pénible. Mais, étrangement, pour reprendre l’image maintenant banale de la grenouille dans la marmite, il fallut d’abord que l'eau devînt assez brûlante pour que je me décide à sauter. Heureusement, il me restait encore assez d’énergie pour le faire, sinon j’aurais achevé de cuire. La chance alors - j’oserais dire in extremis - s’est manifestée. Quasiment du jour au lendemain, tout a basculé. Je me retrouvai sur une nouvelle route - une route que, la veille, je ne voyais même pas. Bientôt, je développai des compétences dont je ne me serais pas cru capable, je fis des métiers dans lesquels je ne me serais jamais imaginé, et cela dans des environnements où je n’aurais jamais pensé prospérer. Je me suis découvert autre que je croyais être.

 

Je me suis efforcé de discerner les causes de mon aveuglement et de mon inertie dans une situation que j’aurais dû écourter aussi vite que possible. J’ai médité longtemps sur le processus qui, enfin, avait fait tomber les écailles de mes yeux, et aussi sur la chance qui s’était manifestée. Car, j’en ai acquis la conviction, la chance ne se serait pas manifestée sans qu’il se produisît, d’abord, dans mon esprit, un déclic infime, si infime qu’il en était quasiment imperceptible.

 

Certes, l’itinéraire de nos vies ne comprend pas nécessairement de passages aussi rudes que celui que je viens d’évoquer. Nous pouvons ne subir que des « tracasseries »: celles du « stress », d’un ennui persistant, de frustrations ou d’envies qui nous hantent. Nous pouvons, sans réelle urgence, aspirer à changer de paysage, de métier, ou plus modestement de loisirs. Il peut s’agir de rompre une routine, de changer de style ou de se vivre soi-même différemment. Nous découvrirons alors qu’on est moins prisonnier de ses propres habitudes que de celles qu’on a données aux autres. Or, aujourd’hui, à quelques jours de mes soixante-dix ans, je dirai que la vie, finalement, est courte. Dans la mesure où nous pourrions les relier à notre essence authentique, écarter certains désirs, certaines expériences par peur d’indisposer son entourage, par timidité, paresse ou inhibition, c’est commencer à mourir (1).

 

Alerté par mes propres tribulations, j’ai tendu l’oreille aux histoires de vie que je pouvais recueillir autour de moi. Tel ami, après six mois d’une retraite depuis longtemps attendue, s’est retrouvé atteint d’un urticaire géant dont il a guéri mystérieusement alors qu’il mettait ses compétences encore vivaces au service d’un projet. Tel autre, après un parcours brillant, s’est suicidé professionnellement, est resté dans le déni, courtisant dangereusement l’auto-destruction et rejetant sur le monde extérieur l’effet de ses mécanismes intimes. Telle autre, encore, s’enfonce lentement dans la dépression à se persuader qu’elle ne peut rien faire, totalement conditionnée qu’elle serait - qu’elle se croit - par son histoire. En chacun d’eux, et en beaucoup d’autres, je me suis reconnu.

 

Alors, je me suis intéressé à tout ce qui peut faire tomber les écailles de nos yeux. A tout ce qui peut permettre à chacun de retrouver le contact avec sa source de vie, son être singulier. A tout ce qui peut nous aider à sauter hors de la marmite avant d’être trop cuit pour pouvoir le faire. Sans être un exemple, sans avoir inventé une baguette magique, sans prétendre être un guru, je m’efforce maintenant de faire de mon expérience existentielle un moyen d’éclairer mes semblables (2).

 

Les Monts de Kong sont comme l’horizon: ils reculent au fur et à mesure que nous avançons. Ils sont l’aimant qui nous attire afin que nous vivions le voyage de notre vie. Ils ont une autre caractéristique: celle de se transformer. Au fur et à mesure que nous avançons, ils changent afin de devenir le reflet de plus en plus fidèle des aspirations de notre âme. Par exemple, l’or de ces montagnes nous intéressera-t-il moins, désormais, que la flore ou la faune qu’elles pourraient recéler. Et tout est bien ainsi. Le plus important est de mettre de la vie dans la vie (3).

(1)  Il ne s’agit certes pas de tout casser, mais de trouver le processus le plus pacifique pour nous créer le nouvel espace dont nous avons besoin.
(2) C’est ainsi que sont nés les parcours Autotélos, Cap Sénior et, dernièrement, Constellations. Cf. http://indisciplineintellectuelle.blogspirit.com/archive/...
(3) Dans un prochain article, je reviendrai sur le sujet.

Commentaires

Bon anniversaire Thierry et meilleur souvenir

Écrit par : Emilie KAH GARRIGUES | 07/04/2018

Merci Emilie ! Encore quelques jours de grâce...

Écrit par : Thierry | 07/04/2018

Les commentaires sont fermés.