18/10/2022
Chacun de nous est une secte
Les sectes pratiquent l’isolement, éventuellement physique et au moins intellectuel et relationnel, afin d’immerger leurs victimes dans le monde qu’elles ont créé et d’éviter les fausses notes - les doutes ! - que le contact avec un monde extérieur pourrait produire.
C’est cependant un mode d’emprise qui n’est pas l’apanage de ce que nous appelons secte. Il est plus répandu qu’on ne le pense et il est d’intensité variable selon les organisations et les personnes concernées. Des institutions comme la CIA ou McKinsey ont étudié en profondeur les mécanismes qui permettent de mettre une population sous contrôle en influençant sa vision du monde et des évènements, de préférence sans recourir à une violence formelle qui pourrait susciter des résistances. On appelle cela « ingénierie sociale ». L’expression est connue car toute la gestion de la « crise du Covid » peut être analysée sous cet angle et l’on sait que le gouvernement français - avec d’autres - est client de McKinsey. Souvenez-vous de ce basculement de mars 2020 dans sa brutalité, de ce nouveau monde qui soudain vint recouvrir celui auquel nous étions habitués, qui du coup paraît aujourd’hui d’une insouciance si désirable: en l’espace d’une allocution présidentielle, il était devenu périlleux de respirer, d’aller voir son médecin; notre semblable était devenu un danger ambulant et nous-mêmes étions les assassins potentiels de nos aînés.
Dans les versions douces ou particulièrement bien jouées, nous ne remarquons souvent pas la présence des techniques d’ingénierie sociale. Il arrive d’ailleurs qu’elles soient utilisées instinctivement et ne relèvent pas d’une compétence élaborée. Les parents qui dissuadent leur enfant de sortir quand la nuit est tombée en évoquant quelque bête du Gévaudan qui pourrait le dévorer ne font pas autre chose.
A des degrés divers, certaines entreprises ont un fonctionnement qui s’apparente à celui d’une secte. Ce trait est particulièrement marqué lorsqu’elles travaillent dans des secteurs ou gèrent leurs activités d’une manière qui les rend éthiquement questionnables. Je me souviens d’avoir rencontré un cadre d’une multinationale américaine largement diabolisée pour ses produits agricoles. La carapace intellectuelle de cet homme valait les métaux extraordinaires dont sont faits les vaisseaux spatiaux dans les romans de science-fiction: à la fois souples, lisses et que l’on ne peut traverser. Sans aller chercher bien loin, pendant la crise du covid, le fonctionnement des autorités de santé et du corps médical dans sa grande majorité n’avait rien à envier à celui d’une secte. Imaginez remettre en question auprès de fanatiques l’infaillibilité du Parti ou du Prophète: poser des questions, fussent-elles pacifiques, est déjà trahir ou pécher. Ce que nous avons pu observer y ressemblait beaucoup. Pourtant, à la différence des religions, ce qui fait avancer la science n’est pas la foi mais le doute.
Je me souviens d’une jeune homme sentimental qui se relevait d’une tuberculose et cherchait sa voie. Après quelques entretiens, je le perdis de vue puis, par hasard, le retrouvai quelques années plus tard. Il était devenu cadre d’une entreprise à l'idéologie quelque peu « masculiniste » - dans le genre: « ici, on n’est pas des fillettes ! ». Ses dents, comme on dit, rayaient le parquet et il tenait des propos d’un cynisme qui ne ressemblait pas à celui que j’avais connu. J’en fus désarçonné et intrigué. L’évidence était que certaines personnes sont beaucoup plus malléables que nous ne l’imaginons. Mais pourquoi ? Des années plus tard, à la sortie du métro Malesherbes, je voyais de temps en temps des jeunes gens qui distribuaient une offre de test psychologique gratuit. C’était l’église de scientologie de Ron Hubbard. Elle avait le génie de recruter ses membres de cette manière. Qui, en effet, a envie d’un test psychologique sinon celui qui a des doutes sur lui-même ? Mais qui, aussi, peut apprécier qu’un agent extérieur vienne s’installer en lui pour suppléer à ce qu’il ressent comme un manque d’être auquel il ne peut remédier lui-même ? De même, dans la vie ordinaire, celui qui ne fait pas confiance à sa « jugeote » s’en remet sans cesse à une autre autorité que la sienne. Voulez-vous prendre le pouvoir ? Transformez les croyances et les opinions des gens, à commencer par celles qui pourraient leur conférer une autonomie de pensée.
L’aventure du jeune homme sentimental devenu un bon petit soldat rejoint un thème qui m’est cher: la fonction anthropogénique des organisations et, évidemment, de la société. Comme l’a écrit Edgar Morin: l’homme fait la société et la société en retour fait l’homme. Entre le Temple solaire et certaines organisations, il n’y a pas une différence de nature mais d’intensité. Cela commence, de manière inévitable, avec notre milieu familial. Pour autant, comme le disent les Anglais, gardons nous de jeter le bébé avec l’eau du bain. Pas plus qu’un ordinateur pour fonctionner ne peut se passer de logiciels, l’être humain ne peut se passer d’une éducation au sens large, c’est-à-dire d’une transmission culturelle. C’est l’étape d’après qui est mérite notre intérêt: que faisons-nous de ce que cette transmission fait de nous ? Cette opération nécessite une capacité de recul. Il ne s’agit pas de faire table rase, mais d’accepter l’héritage sous bénéfice d’inventaire. Pour beaucoup d’entre nous, le tri se fait au fil de l’eau, sans violence, comme un arbre qui perdrait ses feuilles et en pousserait d’autres, semblables ou différentes des premières. Mais il peut aussi arriver que le processus soit violent, comporte des remises en question tragiques et des ruptures, sources de libération mais aussi d'égarements. Rien n’est simple.
En amont de tous ces phénomènes, il y a une question qui renvoie à notre nature. La puissance des sectes tient au filtrage qu’elles opèrent: elles filtrent les informations, les relations, les croyances et les expériences de la vie de ceux qu’elles recrutent. Mais ne fonctionnons-nous pas naturellement ainsi, sans avoir besoin qu’un agent extérieur nous y incite ? N’avons-nous pas tendance à nous enfermer dans un univers personnel protégé des remises en question ? Les algorithmes omniprésents dès que nous allons sur le Net nous y incitent, mais ils ne sont au fond que le prolongement de notre fonctionnement naturel. En résumé: n’avons-nous pas tendance à faire de nous-même une secte d’un seul membre: nous, et à fabriquer les filtres de notre enfermement ?
Pour en revenir aux bifurcations de vie qui sont au coeur de Cap au Large, si nous avons du mal à les provoquer, c’est qu’elles sont prises dans une matrice faite des limitations de notre monde intérieur et du milieu appauvri que nous avons extrait de l'infinie réalité. Et il n’y a pas de mal, il n’y a pas à juger et à condamner: c’est notre condition humaine, c’est la matière de l’oeuvre que nous pouvons entreprendre.
Dans l’esprit de Cap au Large, je vous laisse sur une excellente question de Frédéric Falisse*, expert en questionnement:
« Quelle grande vision vous autorisez-vous pour vous-même ? »
* Je vous recommande son site : https://www.questiologie.fr/
14:21 | Lien permanent | Commentaires (0)
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