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29/01/2023

Systèmes immunitaires 4/7

Des écrans

 

En 1946, les Etats-unis et la France concluent les accords Byrnes-Blum au terme desquels la France renonce au protectionnisme et s’ouvre largement à la diffusion des produits culturels d’outre-Atlantique. Un nombre important de semaines devra désormais être réservé chaque année, dans nos salles obscures, à la diffusion des films américains. D’une part, cela met nos studios en concurrence directe avec ceux, immensément plus puissants, d’Hollywood. De l’autre, l’éthos des Français, déjà ébranlé par la guerre et la Libération, commencera ainsi à se décentrer: les oeuvres de « ceux qui nous ont sauvés » submergeront les foules. Il n’est pas question ici de discuter la qualité de ces oeuvres. Les westerns, quoique ils n’aient pas représenté le seul registre, viennent évidemment à l’esprit, qui firent l’objet d’une production massive. Avec pour ingrédients les grandes chevauchées dans des paysages sublimes, des personnages d’une pièce solidement campés par des acteurs qui deviendront mythiques, avec le Bien et le Mal clairement établis et la glorification du courage, Hollywood produisit des chefs-d’oeuvre, un grand nombre de bons films, puis, comme dans tout cinéma, un lot de navets. Je veux juste dire qu’à partir de l’après-guerre, nous baignerons plus de la moitié du temps dans l’imaginaire d’Hollywood. Les héros des grandes plaines migreront des écrans dans notre panthéon. Bientôt, dans l’aire de cette acculturation, fleurira avec la mode des jeans le temps des « yéyés » et des pseudonymes américains - Dick Rivers, Johny Halliday, Eddy Mitchell - et Sheila - de son vrai nom Annie Chancel - chantera le « folklore américain ». Parallèlement, une revue comme Sélection du Reader’s digest arrivée en France en 1947 diffusera des contenus américains et le Journal de Mickey, dont j’ai été lecteur, popularisera les personnages des bandes dessinées de Disney. Enfin, la grande presse française accueillera aussi largement les points de vue favorables à la politique américaine. De quoi devenir yankee dans sa tête. 

 

Dans la mesure où le cinéma est une arme de conquête culturelle, l’histoire telle qu’il la raconte peut recéler des biais et, comme il prend plus d’importance que l’école dans la culture historique des peuples, il peut créer à grande échelle des « faux souvenirs » durables. Par exemple - c’est John Ford qui le disait - les westerns connurent une époque où leur succès était proportionnel au nombre d’Indiens qui y étaient tués. Les Peaux-rouges n’étaient  rien d’autre que les fourbes et cruels ennemis qui brûlaient les chariots et massacraient les innocents colons. Qu’ils défendaient leurs territoires semblait avoir été oublié ou ne pas constituer pour eux une raison légitime de faire la guerre. Un autre exemple, anecdotique peut-être mais qui nous concerne, nous, Français, nous est fourni par le film Le dernier samouraï. Il met en scène un vétéran des guerres indiennes, un Yankee du nom de Nathan Algren, incarné par Tom Cruise. Or, le vrai « dernier samouraï », celui dont l’histoire a inspiré le film, est un général français, Jules Brunet (1838-1911), qui démissionna de l'armée française par fidélité au dernier shogun, Tokugawa Yoshinobu. On peut se poser la question: pourquoi le général Brunet n’a-t-il pas intéressé les cinéastes français ? 

 

Moins anecdotique: Dunkirk (Dunkerque), de Christopher Nolan, est un bon film en tant que tel, mais il laisse l’impression d’une démission totale de l’armée française qui aurait lâchement abandonné les Britanniques à leurs difficultés de rembarquement. Or, si ceux-ci ont eu le temps de repartir, c’est grâce à nos soldats qui retardèrent autant qu’ils le purent l’avancée des forces allemandes. Il n’y a pas eu forcément, de la part de Nolan, la volonté de trahir la vérité: l’action sur laquelle il concentre l’oeil de la caméra est très restreinte. Mais, sans rien montrer de faux, il la trahit quand même par omission. Parmi les jeunes Français qui ont vu ce film, combien avaient-ils auparavant entendu parler de cet épisode de notre histoire ? Combien en sont-ils repartis avec une représentation biaisée ? L’écran du cinéma montre et cache en même temps. C’est un écran dans les deux sens du terme. 

 

(à suivre)

Commentaires

Un autre exemple, tout récent, des biais historiques que cultive à notre détriment le cinéma américain: https://www.valeursactuelles.com/clubvaleurs/societe/nous-ne-sommes-pas-des-mercenaires-ni-les-pilleurs-de-lafrique-des-militaires-francais-reagissent-a-la-polemique-du-film-black-panther

Écrit par : Antoine | 16/02/2023

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