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31/07/2011

Commencements 2: "Libérer la vie"

 

 Voilà deux semaines que je n’ai mis de nouvelle chronique en ligne. Ce n’est pas que je vous oublie, chers lecteurs, ou que je vous manque délibérément de respect. Ce n'est pas non plus que je fainéante de manière éhontée. Au contraire! En fait, je suis immergé dans Commencements 2 dont la livraison devrait avoir lieu autour du 15 septembre.

Chaque numéro d’une revue est un pari. Il s’agit, en tout premier lieu, d'imaginer une thématique, de trouver les bons sujets et les bonnes personnes à interviewer – et d’obtenir les interviewes ! Mais, d’abord, qu’est-ce qui fait un bon sujet, une bonne personne à interviewer ? Je ne me voilerai pas la face : en ce qui me concerne, c’est complètement subjectif. Quand, il y a quelques années, mon ami Frédéric Le Bihan m’a fait passer son test, il est apparu que j’ai une hypertrophie préférentielle du cerveau droit, l’hémisphère de la vision globale, intuitive, qui outrepasse les complexités analytiques pour déceler les courants cachés.

Le choix des thèmes de Commencements relève donc en grande partie d’un ressenti, d’une intuition, d’un sentiment de présence de l’avenir qui se manifeste, par exemple, lors de rencontres,  à l’observation de certains faits ou devant certaines expériences. Là-dessus interviennent des choix liés aux valeurs que l’on porte en soi : quelles pistes a-t-on envie d'éclairer, quel monde a-t’on envie de promouvoir ? Ce prochain numéro, annoncé dans le précédent autour de la thématique « libérer la vie » s’est ainsi découvert en marchant. Un peu comme une toile, blanche au début, où des touches successives de peinture vont progressivement faire émerger un paysage ou un visage, ou les deux.

Pour me faire pardonner mon silence de ces derniers jours – et vous mettre en appétit – je vais sans trop le déflorer vous donner une idée du contenu de Commencements 2. En introduction, sous le titre « La comédie du bonheur », nous aurons une interview de mon ami Andreu Solé, l’auteur de Créateurs de mondes, qui n’a pas son pareil pour nous faire comprendre la manière dont nous organisons notre propre emprisonnement. Ensuite, une fois démontés les barreaux de la cage, Laure Waridel, fondatrice entre autres choses d’Equiterre au Québec, nous parlera de « l’insoutenable illusion de notre impuissance ». Là-dessus, avec René Duringer, l’homme aux mille yeux, nous ferons un survol des façons de vivre et d’être heureux aujourd’hui en dehors des normes de la société de consommation. Vous verrez, c'est aussi étonnant de diversité que l'album d'un botaniste. Avec Deborah Frieze, du Berkana Institute (Etats-Unis), nous ferons une incursion dans ces « communautés qui vivent l’avenir dès aujourd’hui », selon le sous-titre du livre qu’elle vient de cosigner avec la grande Margaret Wheatley.

 Ce n’est pas tout bien évidemment. Mais vais-je vous en dire plus ? Un tout petit peu, pour la route ! Après un voyage à la rencontre de « créatifs culturels » insulaires, un  détour par une expérience de « point de vie » qui n’a pas laissé ses cobayes indifférents, une analyse du temps comme facteur d’aliénation ou levier de résistance, un coup de projecteur sur le territoire - un concept qui se remet à bouger – et aussi en direction des entreprises qui ne veulent pas mourir idiotes, Commencement 2 se conclura sur la pensée du philosophe-psychologue Paul Diel : le sujet, aussi central que sous-jacent, de ce numéro n’est-il pas notre « motivation essentielle » ?

Et, en parlant de l’essentiel, je tiens à remercier, outre nos interviewés, les compagnons de route de ce numéro 2. Par ordre alphabétique : Rémy Guillaumot, Pierre Mirailles, Steve Moreau, Claude Roger, Natacha Rozentalis, Sylvie Vézier, Dominique Viel. Merci mes amis !

 

Je rappelle que Commencements est diffusé dans le cadre de l’adhésion à l’association The Co-Evolution Project : http://co-evolutionproject.org .

15/07/2011

Nation virtuelle

 

 

Lors d’un dîner d’anniversaire de mon excellent ami Alain Wang, je me souviens qu’un convive évoqua les « nations virtuelles ». C’était la première fois que j’en entendais parler et je dois dire que, bien qu’il m’eût fasciné, c’est un sujet qui est revenu rarement à mes oreilles. C’était en 2001. En 2002, j’ai lu un article dont les auteurs, Mike Dillard et Janet Hennard, expliquaient que la passion pour l’argent, la religion ou la politique pourraient conduire certaines communautés d’intérêt à s’organiser en nations virtuelles, avec des institutions, des leaders, des lois, un régime fiscal et un statut de citoyen. Les questions en suspends étaient celles de la reconnaissance de ces nations par les autres et par les institutions internationales. C’est la dernière fois que le sujet s’est présenté à moi.

 

Il y a une paire d’années, je ne me souviens plus pourquoi, j’ai eu envie de savoir ce que Mike Dillard et Janet Hennard pensaient, avec le recul, de leurs anticipations de 2002. J’ai eu un aimable échange de mails avec Janet Hennard, mais il apparut que cette dernière avait dans le moment d’autres sujets d’intérêt et nous en sommes restés là.

 

Je le regrette car j’ai bien l’impression que la prospective de ces deux Américains n’était pas aussi folle qu’elle peut le paraître. Il se pourrait bien que des nations virtuelles existent d’ores et déjà. Simplement, elles n’ont pas fait déclaration d’existence en tant que telles. Pour autant, elles sont puissantes au point de pouvoir ébranler les nations réelles parmi les plus solides. Elles sont conquérantes. Elles peuvent s’approprier des territoires immenses. Elles n’ont que faire des peuples étrangers - d’ailleurs, tous les peuples leur sont étrangers. Elles ressemblent d’une certaine manière à Al-Qaida : des hommes dispersés à la surface de la Terre, dont la nationalité est l’appartenance au réseau.

 

Cette nation virtuelle n’est autre que l’amalgame d’intérêts que, par commodité, on appellera la « finance internationale ». Le rapprochement m’est venu en voyant que les agences internationales de notation, pourtant américaines, s’apprêtaient à dégrader ou avaient déjà dégradé la dette des Etats-Unis. Jusqu’à présent, leurs coups de boutoir avaient été réservés aux « PIGS » européens et cela conservait les apparences d’un conflit classique, les GIs étaient remplacés par Wall street et les financiers américains, dans une stratégie proche des usuriers de jadis, s’appropriaient peu à peu la planète. Mais, s’ils sont capables de se retourner contre leur propre pays, c’est une histoire radicalement différente qui se dessine. Quelque naïf m’objectera sans doute que, ce faisant, les agences de notation démontrent leur impartialité parfois contestée. Je n’entrerai pas dans le débat. Ce qui m’intéresse, c’est ce qui se passe ensuite. Et ce qui se passe ensuite, c’est la démonstration que les capitaux et leurs détenteurs, même américains, sont désormais apatrides. Comprenons bien : désormais, il y a d’un côté les Etats et de l’autre une ploutocratie qu’aucune frontière n’arrête et qui défait les nations, même celle dont elle est issue.

 

L’âge des nations virtuelles est donc là. Il a fait irruption sous une forme qu’on n’avait pas anticipée, plus inquiétante qu’on ne l’imaginait au début du siècle où la prospective la plus osée y voyait une nouvelle manière de créer des paradis fiscaux. Ceux-ci sont une affaire secondaire : regardez ce que Total verse comme impôts à la France !(1) Maintenant, le phénomène important, c’est le désengagement, par une puissance colossale, du fait national ; c’est l’émergence d’une puissance qui est à elle-même sa propre patrie. Je n’ai pas peur des mots: c’est une guerre contre les peuples qui est engagée.

(1) http://www.lemonde.fr/economie/article/2011/07/06/privile...


Les éditions Hermann viennent de publier une sélection de chroniques de ce blog sous le titre Les ombres de la caverne : http://www.editions-hermann.fr/ficheproduit.php?lang=fr&a...

 

 

 

 

 



14/07/2011

Godillots (3)

 

 

Il n’y aurait pas de godillots si notre espèce n’avait une propension naturelle à l’obéissance. Cette propension a de multiples origines. La psychologie, la psychanalyse, la sociologie et la neurologie ont chacune un morceau du puzzle.

 

Dans le film de Bergman, Cris et chuchotements, l’une des héroïnes prend soudain conscience que, toute sa vie, elle s’est soumise à la servitude de faire plaisir aux autres. C’est un effet de l’éducation, dira-t-on, mais un effet qui ne se produirait pas si nous n’avions en nous le désir d’être aimé et, surtout, la crainte de ne pas l’être. L’expérience de la pénurie peut laisser une soif inextinguible de ce qui nous a manqué. Nos blessures archaïques nous incitent, pour les guérir – mais c’est une solution illusoire, une vis sans fin - à produire les comportements censés nous concilier les bonnes grâces de l’autre. Dans cette configuration psychique, dire non, par exemple, est une prouesse. Nous devrions davantage veiller que nos enfants perçoivent notre amour comme inconditionnel. C’est le meilleur héritage que nous pouvons leur laisser : il les rend libres.

 

La psychanalyse nous parle aussi de la recherche du « père surpuissant », héritage biaisé du père admiré de notre petite enfance, recherche qui va se traduire par la dépendance aux gens qui incarnent le pouvoir. Le supérieur hiérarchique, le patron, le porteur d’uniforme, le guru, nous attireront comme la lumière les papillons de nuit. Ses faveurs nous combleront, ses silences nous plongeront dans l’angoisse. Nous ne cesserons de penser à lui, à la manière dont nous pouvons nous faire reconnaître de lui, obtenir un mot de lui, un regard de lui. Nous préfèrerons même une critique à une absence d’attention et, si le maître est naturellement sévère, le moindre semblant de sympathie au milieu d’un océan de rudesse nous remplira d’amour pour lui et viendra renforcer notre addiction.

 

Du côté des neurosciences, on a récemment découvert, chez les primates, des neurones dits « miroirs » qui sont en relation avec les comportements sociaux. La preuve de leur présence dans le cerveau humain a été administrée en 2010. Ces neurones sont la source de l’empathie, de l’apprentissage par imitation et du mimétisme. On peut imaginer qu’ils jouent un rôle dans notre besoin de conformité – par l’apparence, le vêtement, le langage, l’accent, les idées mêmes… - aux groupes auxquels nous appartenons. En extrapolant, peut-être peut-on aussi leur attribuer un rôle dans les phénomènes collectifs qui, parfois, nous embarquent, pour le bien ou pour le mal et, en tout cas, se substituent à notre délibération intime.

 

L’expérience des cinq singes et du régime de bananes, que j’ai peut-être déjà évoquée ici, constitue, vraie ou fausse, une bonne parabole de l’apprentissage de la servilité par la transmission culturelle. Mettez cinq chimpanzés dans une cage, affamez-les modérément, puis, par une trappe du plafond, faites descendre le régime de bananes. Le singe le plus vif va se précipiter. Mais, lorsqu’il met la main sur les bananes, arrosez tout le monde d’une douche glacée. Une fois ancré le réflexe  « toucher la banane = douche glacée », les singes vont faire la police eux-mêmes : ils tomberont à bras raccourcis sur le premier qui s’approchera du régime! Ce n’est pas tout. Le meilleur reste même à venir. Remplacez l’un des singes par un petit nouveau qui n’a pas été déniaisé. Evidemment, quand les bananes vont apparaître, il va se précipiter. Les autres, tout aussi évidemment, vont lui tomber aussitôt dessus et, à la deuxième ou à la troisième raclée, sans jamais avoir subi la douche glacée, il comprendra que les bananes sont taboues. Progressivement, remplacez ainsi les singes, jusqu’à en avoir cinq qui n’ont jamais reçu la douche glacée : ils administreront cependant une raclée à celui qui prétendrait toucher les bananes...

 

Dans Le principe de Lucifer, Howard Bloom a montré que, pour qu’une société tienne, il lui faut un « moteur de conformité », un minimum de réflexes, de comportements et de croyances partagés qui se transmettent. D’où des dispositifs analogues au régime de bananes et à la douche glacée de nos chimpanzés : par exemple, une femme de chambre et un code pénal. Mais Bloom a aussi démontré que, sans un moteur de divergence, les sociétés se fossilisent. Si quelque chose change dans leur environnement, elles ne sauront que prendre dans l’arsenal des solutions conformes, adaptées au passé, et, jusqu’à l’effondrement, feront toujours plus de la même chose en obtenant toujours plus du même résultat.

 

Paul Valéry disait que, si le regard pouvait tuer ou enfanter, les rues seraient pleines de cadavres et de femmes enceintes. Nous avons des propensions naturelles qui, fautes d’être policées, rendraient la vie insupportables. On apprend donc à résister aux pulsions sexuelles et meurtrières. Le code pénal est le reflet de ces règles. Il est un domaine, cependant, où les mœurs et la législation, même si elles peuvent se vouloir protectrices, sont défaillantes : la propension à la servilité. D’évidence, c’est bien moins un problème pour l’ordre social et pour ceux qui en ont la garde que les débordements que j’ai évoqués. C’est même une propension qui va dans le sens de l’ordre. Mais c’est aussi une dérive qui amène la démocratie, par la mollesse à exercer la citoyenneté, à se désintégrer. A l’instar de nos pulsions sexuelles et agressives, la pulsion de soumission devrait être éduquée.

 

Les éditions Hermann viennent de publier une sélection de chroniques de ce blog sous le titre Les ombres de la caverne : http://www.editions-hermann.fr/ficheproduit.php?lang=fr&a...