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13/12/2011

La puissance inquiétante de "l'école mutuelle"

Un extrait de Commencements 2

marcTirel2.jpgC’est paradoxalement dans le passé que le prospectiviste Marc Tirel, passionné par les nouvelles technologies de la communication, va découvrir une forme de pédagogie si puissante que, dans notre pays, les Pouvoirs publics l’ont tout simplement bannie : « l’école mutuelle »...

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09/12/2011

Les pièges de la pensée mécanique

 

 

J’appelle « pensée mécanique » une pensée qui ne se pense pas. Sa manifestation la plus visible, ce sont les situations absurdes qu’elle crée et auxquelles elle n’apporte aucune solution, justement parce qu’elle ne se pense pas et que ceux qu’elle guide s’abandonnent à elle par esprit d’obéissance, par soumission sans réserve à la hiérarchie, ou tout simplement par peur ou paresse. Comme le disait le philosophe Alain, et j’aime bien l’image, cette pensée-là ne reflète que la loi de la pesanteur et la chute des corps. Malheureusement, l’absurde n’est pas son unique conséquence. Avec l’absurde, elle engendre aussi, parfois, la barbarie. L’Histoire nous montre à quelles cruautés elle peut conduire les peuples dits les plus civilisés. Dans Les raisins de la colère, l’homme qui s’apprête à raser une ferme devant ceux qui l’habitaient déclare : « Ce n’est pas moi qui décide. J’obéis aux ordres. » Pendant la Seconde guerre mondiale, combien de gendarmes ont-ils fermé les yeux et enfreint le serment d’obéissance qu'ils avaient fait à Vichy, alors qu’on leur demandait de déloger des enfants dont le seul crime était d’être juifs ? Il y avait des lois, des procédures, des ordres. Leur seule pensée était celle du chasseur : traquer le gibier et le livrer.

 

Vous me direz que cette époque est loin derrière nous. Ne croyez pas cela. La pensée mécanique, qu’on peut aussi qualifier de bureaucratique, n’est jamais morte. Elle n’est jamais morte parce qu’elle se nourrit de l'agonie de la vraie pensée qui est une flamme fragile toujours dépendante du courage : le courage d’être seul, le courage d’aller vers les autres, le courage de transpirer un peu du cerveau. Elle n’est jamais morte parce qu’elle fait lit commun avec cette forme de paresse qu’est l’irresponsabilité. « Je n’y suis pour rien. Je ne fais pas la loi. Je ne suis là que pour l’appliquer. » Je vois par exemple ce matin qu’à Grenoble, en toute légalité bien sûr – la pensée mécanique s’appuie toujours sur la légalité – une famille va être disloquée. Le père sera renvoyé au Danemark avec ses trois jeunes enfants tandis que la mère restera derrière les barreaux du Centre de rétention administratif. Notez que, déjà - la pensée mécanique est efficace - les enfants, qui étaient scolarisés, sont derrière les barreaux dudit Centre de rétention. Cela leur fera des souvenirs. Qu'est-ce qui a entraîné cette situation ? Les parents sont en situation irrégulière. Des « sans papier ».  Et il y a des lois pour cela. Le juge n’a fait que son travail. Les policiers n’ont fait que leur travail. Les gardiens de la taule ne font que leur travail. Peut-être retrouverait-on même quelque bon citoyen de la république picrocholine qui, par un coup de fil, a facilité la tâche salvatrice de la police.  

 

Pensée mécanique aussi, et bureaucratique, et irresponsable, que celle qui  fait que nos dirigeants obéissent aveuglément à une tribu d’hommes et de femmes baptisée « agences de notation ». Cette tribu, d’ailleurs, telle la police de Vichy ou les fourriers de l’Inquisition, ne fait elle-même qu’obéir au système dont elle est le rouage. Je n’ai pas entendu dire qu’on y ait détecté des transfuges ou repéré des résistants. La soupe doit être bonne, ou alors les traîtres ont été discrètement réduits au silence. Pourtant, si nous étions des Martiens fraîchement débarqués qui regardent ce qui ce passe dans cet étrange bocal qu’est la sphère économique et financière terrestre, ce que nous verrions serait comique, ne fût-ce la misère qu’on est en train de semer. Cela, au nom d’une idéologie qui se prétend – demandez au fantôme de Milton Friedman – "la seule propre à accroître la richesse". Il est vrai que tous les prophètes du paradis ont sacrifié sans lésiner des générations au nom d'une terre promise qui n'existait que dans leur aveuglement. Mais, plus grave encore que la misère, ce qui est maintenant en jeu, c’est la démocratie elle-même, c’est-à-dire une représentation de l’homme qui soit plus qu’un pur agent économique, une vision de notre vie autre que soumise au double esclavage de la production et de la consommation.  

 

Dans les romans policiers de mon enfance, le héros affirmait doctement : « Il faut chercher à qui le crime profite ». Alors, dites-moi, qui la pensée mécanique – « il faut obéir aux indices et à leur clergé » – est-elle en train d’enrichir ? Surtout, quel pouvoir est-elle en train d’accroître - démesurément - sur toute forme de vie, humaine mais aussi végétale et animale ? Pour les usuriers du monde, il ne s’agit plus de chasser les fermiers impécunieux que nous sommes, nous et nos Etats. Il ne s’agit même plus, prioritairement, de maximiser le profit qu’ils tirent de l’argent qu’ils nous ont prêté. Il s’agit de faire de la Terre leur domaine. Il s’agit de faire de nos représentants de bons vassaux et de nos personnes des facteurs d’enrichissement aussi peu coûteux et encombrants que possible – vous savez : comme les mineurs et les métallos d’avant Germinal.

 

Alors, à quoi ressemblera une Terre où règneront enfin les hyper-riches et leurs bras séculiers que sont les multinationales semencières et pharmaceutiques ou les groupes financiers propriétaires de la Presse ? A quoi ressemblera notre vie quand on nous imposera – pour notre bien et avec le soutien mécanique du Législateur et de la bureaucratie du bonheur - la variété de légumes que nous avons le droit de cultiver et de consommer, les vaccins que nous devons laisser entrer dans nos veines, les informations que nous avons besoin d’avoir et celles que nous devons donner, ce que nos enfants doivent apprendre et croire, le lieu où – selon le sacro-saint Marché - nous devons vivre et travailler ? Et à quoi ressemblera-t-elle, notre vie, quand, complémentairement, toujours pour notre bonheur, on nous interdira le reste ?

 

Qu’on ait pu respecter une religion dont le clergé, au nom d’un dieu d’amour, torturait et brûlait vifs des êtres humains, est resté pour moi un mystère. Qu’on puisse aujourd’hui servir, avec le système qu’elle a engendré, une idéologie qui réduit manifestement le monde à la possession de quelques-uns, ne peut que relever de la naïveté, de la paresse, de la stupidité – ou de la collusion. C’est au nom du droit et du contrat que l’usurier de jadis dépouillait les emprunteurs malheureux. Peu nombreux étaient ceux que cela émouvait : dura lex sed lex ! Cependant, quelques hommes ont placé leur conscience au dessus de ce que couvrait la légalité de leur époque. Ils ne pensaient pas mécaniquement selon les règles du temps. Ils ont créé des syndicats et fomenté des résistances. Ils ont construit des économies parallèles, organisé la solidarité et l’union des faibles face aux exploiteurs. Ils ont amélioré le monde contre ceux qui tentaient de s’en emparer. Ils avaient une éthique. L’éthique est au dessus des contrats. Ils avaient une pensée. Et penser, c’est déjà désobéir.