UA-110886234-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

07/04/2012

Indiscipline

"Je pense depuis longtemps déjà que si un jour les méthodes de destruction de plus en plus efficaces finissent par rayer notre espèce de la planète, ce ne sera pas la cruauté qui sera la cause de notre extinction, et moins encore, bien entendu, l'indignation qu'éveille la cruauté, ni même les représailles et la vengeance qu'elle s'attire mais la docilité, l'absence de responsabilité de l'homme moderne, son acceptation vile et servile du moindre décret public.
Les horreurs auxquelles nous avons assisté, les horreurs encore plus abominables auxquelles nous allons maintenant assister, ne signalent pas que les rebelles, les insubordonnés, les réfractaires sont de plus en plus nombreux dans le monde, mais plutôt qu'il y a de plus en plus d'hommes obéissants et dociles."

Georges Bernanos

05/04/2012

Chaos et création

Un article de mon amie Chantal Lebrun à lire toutes affaires cessantes: http://voilacestdit.blog4ever.com/blog/lire-article-16697...

04/04/2012

A quoi servent les riches ?

 

 

Je lisais tout à l'heure la recension d'un ouvrage dont le titre est tout un programme: "A quoi servent les riches ?" *. En fait, si j'en crois le journaliste, l'ouvrage tourne autour d'un point de vue qui relèverait plutôt d'une apologétique sans originalité et mille fois entendue: les riches le sont parce qu'ils sont intelligents, ils conçoivent et font prospérer des entreprises, créent de la richesse et des emplois et, pour tout remerciement, parce qu'on n'a rien compris aux moteurs de l'économie, ils sont beaucoup trop taxés, etc. Je suppose que la thèse ne vous est pas inconnue.

 

Le phénomène que j'ai trouvé intéressant, c'est qu'une fois entré dans la logique de l'auteur, j'avais du mal à en sortir, je ne pouvais que lui donner raison. Or, je me sentais quand même mal à l'aise. C'était, finalement, encore une fois, l'histoire de Dédale dans le labyrinthe. Point ne sert de parcourir les couloirs en tout sens, ils nous ramèneront toujours à la pensée de l'auteur. La seule manière de reprendre possession de sa pensée, c'est de s'extraire du labyrinthe. Comme ses murs sont infrangibles, une seule issue:  prendre de la hauteur. Ce que fit Icare, si vous vous souvenez du mythe. Certes, il prit trop hauteur: nous allons essayer de ne pas l'imiter jusqu'à ce point.

 

Quand, après avoir tourné en rond dans la démonstration de l'auteur, j'ai réussi à donner un coup d'aile, je me suis rendu compte qu'autour du labyrinthe il y avait tout un monde et des niveaux de réalité qu'il n'aborde pas - en tout cas si j'en crois le compte-rendu de lecture du journaliste. D'abord, fonder l'apologie des riches sur le constat qu'ils créent de la richesse, ce qui, par effet de déversement, en procure aux autres êtres humains, cela semble un argument imparable, mais il fait fi d'un principe - et vous me pardonnerez si je le prends dans l'Evangile, après tout c'est la Semaine Sainte - à savoir que "l'homme ne vit pas seulement de pain". Or, si vous prenez un peu de recul, la force de la pensée dominante de ces dernières années, ç'a été de nous persuader que tout se ramène à l'économie, que tout se définit, se mesure, s'apprécie à l'aune de l'économie marchande. Par voie de conséquence, si vous voulez vivre, si vous voulez être heureux, sacrifiez à la déesse Economie et obtempérez aux objurgations de son clergé. Comme le disent les Japonais, le poisson pourrit par la tête. Accepter cette représentation du monde, de la vie et du bonheur, c'est se perdre dans le projet des autres. Mais si l'homme ne vit pas seulement de pain, il vit aussi de dignité et, de ce point de vue, la disparité de revenu, de fortune et - j'y reviendrai - de pouvoir pose question.  

 

Je ne discuterai pas des créations d'emplois dont les riches auraient le mérite. On pourrait dire qu'ils n'en créent pas forcément où nous souhaiterions en trouver et qu'ils en détruisent où nous aimerions en garder. On pourrait dire qu'ils en créent de moins en moins en comparaison du capital investi. On pourrait dire qu'ils en créent dans des secteurs qui n'apportent pas grand chose à la majorité de l'humanité. On pourrait dire, encore, qu'ils créent de moins en moins d'emplois de bonne qualité. Laissons cela de côté. Du point de vue de l'économie, il me semble qu'il y a un lièvre de bien meilleure taille à lever: un des premiers reproches que l'on peut faire aujourd'hui à la richesse, c'est de nourrir la spéculation et de s'enfler d'elle-même bien plus que de stimuler l'économie réelle. Les flux financiers résultant de la spéculation sont de l'ordre de 97% contre 3% seulement à ceux qui traduisent une véritable création de biens. Quand, par exemple, la cargaison d'un tanker change dix fois de mains entre son port de départ et son port d'arrivée, je ne sache pas que cela ajoute un litre de pétrole dans la cuve. En revanche, quand cette spéculation s'exerce sur des biens alimentaires et engendre des famines, je n'en vois que trop bien les résultats. 

 

Ceci me conduit maintenant à éviquer une autre conséquence parmi d'autres de la disparité des revenus et des patrimoines. Dans une ville comme Paris, la valeur de l'immobilier a cru bien plus vite que les revenus du travail. C'est que, lorsque vous avez des gens qui ont les moyens d'acheter sans trop se serrer la ceinture, mécaniquement les prix montent. C'est la "loi du marché". Le résultat, c'est qu'un jeune smicard célibataire passe tout son salaire dans son logement. Dans un autre domaine, je me souviens d'une vieille histoire de mon Lot-et-Garonne natal où une secte avait voulu rebâtir pour ses membres le paradis sur Terre. Ceux qui y entraient étaient de CSP supérieures et ils lui faisaient don de tous leurs biens. Du coup, payer un hectare de terre agricole 30% au dessus du marché et, surtout, de la valeur d'exploitation n'était pas un problème pour elle. En revanche, les jeunes cultivateurs du voisinage avaient de plus en plus de mal à s'installer, d'autant que la secte arrondissait sans cesse son domaine. On retrouve aujourd'hui ce problème à une grande échelle: devenue une valeur refuge - pour ceux qui ont de l'argent à placer - la terre devient un fardeau financier pour ceux qui veulent la travailler et, singulièrement, encore plus pour les maraîchers qui veulent adopter des méthodes culturales respectueuses des sols et de leurs clients. A ces exemples, on voit bien que la force de frappe financière des riches peut ne pas jouer qu'en faveur de l'intérêt général.

 

Il y a une troisième critique qui arrive derrière celle-là et elle est d'ordre politique. Qu'on le veuille ou non, la richesse c'est le pouvoir - à tout le moins c'est du pouvoir. C'est, par exemple, comme on vient de le voir, le pouvoir d'acheter et il n'y a pas que la terre qui soit à vendre. L'enjeu, ici, est celui du monde dans lequel nous voulons vivre et de la manière dont nous voulons faire société. On l'a très nettement vu au cours de ces dernières années, la richesse est devenue un contre-pouvoir, de plus en plus insolent, à la démocratie. D'abord, parce que beaucoup d'hommes et de femmes politiques ont succombé au dogme néolibéral qu'elle promeut, sans se rendre compte qu'entre les Trente Glorieuses - sur lesquelles se fonde l'argumentaire de ce dogme - et les jours d'aujourd'hui, quelque chose a radicalement changé: ce ne sont plus les entrepreneurs qui façonnent l'économie, ce sont les financiers. Ensuite, parce que la cour des nouveaux mécènes - qu'elle prenne la forme d'un pont de yacht, d'un ranch au Texas ou d'une propriété de colon au bord de quelque mer asiatique - exerce sur certains un attrait aussi sûr que la lumière sur les papillons de nuit. Il y a donc, sans aller même jusqu'à la corruption, un assujettissement progressif des prétendus représentants des peuples aux détenteurs des grandes fortunes, assujettissement qui encourage le délestage plus ou moins progressif des acquis démocratiques. 

 

Une nocivité de ce pouvoir résulte de la faculté de s'approprier des espaces et de forcer des solutions au détriment du grand nombre. Je l'ai évoqué à propos de l'accès à la terre. Il faut voir encore plus loin. Le problème de la grande richesse, notamment mais pas seulement grâce à la collusion des Etats, c'est qu'elle s'attaque aux biens communs de l'humanité et réduit l'espace de nos libertés. Comprenez bien un homme ou une femme politique: si ses études supérieures l'ont persuadé - et, majoritairement, je le croirai de bonne foi - que ce qui est bon pour les riches sera bon pour tout le monde, s'opposer à leurs projets est une absurdité. Au contraire, il faut les aider, aplanir les chemins, dérouler le tapis rouge ou vert devant eux. Si un homme ou une femme politique part du principe que ce qui est premier c'est l'économie, et que, sur ce terrain-là, ceux qui savent faire ce sont les riches - leur richesse ne démontre-t-elle pas leur talent ? - pourquoi résisterait-il ? En outre, si les riches - les hyper-riches - décident que la solution au problème énergétique, c'est de déforester l'Amazonie ou d'extraire les gaz de schiste, la solution à la faim dans le monde, c'est de généraliser les OGM, la solution aux épidémies c'est de nous cribler de vaccinations - n'est-ce pas, Sylvie Simon ? - et la solution à la pauvreté, à la pollution et à la surpopulation de provoquer discrètement la stérilité de l'espèce,  qui va les retenir ? Si leur projet ressemble au Globalia que décrit Christophe Ruffin, mais que c'est pour notre bien, qui s'y opposera ?

 

Mon petit vol d'Icare me fait apparaître et peut-être à vous aussi qu'on ne peut pas réduire les effets de la richesse à une théorie du déversement positif. Mais revenons sur terre avant que fonde la cire de nos ailes. Je connais une entreprise - et il y en a d'autres comme elle, mais pas assez - qui compte quelques dizaines de milliers de salariés. Certes, ses dirigeants sont bien rémunérés, mais ils n'ont pas de stock options et ses actionnaires - qu'on appelle des "sociétaires" et qui sont des millions - n'attendent aucune rémunération de leurs titres. Cette entreprise crée autant de richesses et est aussi rentable, sinon davantage, que d'autres du même secteur organisées sur le modèle de la société anonyme cotée en bourse. Plus: elle a, bien davantage que beaucoup d'autres, conservé un ancrage dans les territoires, c'est-à-dire là où les gens vivent leur vie. Un autre modèle est possible.

 

Les vrais entrepreneurs ne sont pas obsédés par la fiscalité. Ils sont habités par la création. L'humanité peut se passer du moteur de la rapacité. Mais pas de celui de l'imagination. On y reviendra.

 

* A quoi servent les riches, Jean-Philippe Delsol, éditions Jean-Claude Lattès, 2012.