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01/07/2012

Nous vivons une époque formidable

 

 

Je le dis sans ironie aucune: nous vivons une époque formidable. Evidemment, ceux pour qui nous nous débattons dans une crise ne peuvent pas être de cet avis. Leur seul espoir, mais en l’occurrence il est la source de leur désespoir, serait que nous revenions au statu quo ante: celui de la croissance qui, étant infinie, ne soulève aucun problème et laisse croire que, demain, tout s’arrangera - le chômage, les crises financières, les pénuries de toute sorte, les impôts et la pollution. Ah! Sainte-Croissance dont l’évocation évite d’aborder - par exemple - la régulation de la rapacité ou la question fondamentale de la justice!  Mais, même si nous laissons de côté toute considération éthique et en restons à l’observation de ce qui se passe, force est de constater le cercle vicieux qu’avait décelé Paul Watzlawick: faire toujours plus de la même chose tout en obtenant systématiquement l’inverse du résultat recherché, et, au lieu de réfléchir à ce paradoxe, penser qu’on n’est pas allé assez loin et en remettre une couche aussi épaisse que possible. Un scénario que seule la mort interrompt.

 

Si je dis que nous vivons une époque formidable, c’est que selon moi nous avons la chance de participer à une métamorphose. Ce n’est pas tous les vingt ans que l’Histoire ménage cela aux humains. Nous étions enfermés dans un monde et celui-ci, sous le poids de ses excès et de ses dérives, est en train de se décomposer. Cette décomposition - si nous le voulons - est la condition d’une recomposition plus favorable à la vie et au bonheur. Certes, la décomposition d’un monde correspond à une phase chaotique: les repères qui rassuraient disparaissent, les leviers auxquels on était habitués ne fonctionnent plus et les commandes ne répondent pas davantage. Soumis à des forces dont on ne voit que les effets, le navire échappe au contrôle de ceux qui prétendent le diriger. On n’en finit pas de donner de l’argent au système bancaire pour éviter qu’il nous entraîne dans son naufrage, et on s’enfonce de plus en plus. On n’en finit pas de vouloir sauver l’euro et plus on se soumet aux dogmes de l’époque, plus  les agences de notation, méthodiquement, dégradent les unes après les autres les notes de nos pays. On prône la santé que nous rendra l’austérité budgétaire, mais celle-ci asphyxie la consommation dont la cachexie à son tour étouffe l’économie, laquelle se trouve alors bien en peine de générer les flux financiers qui «rassureraient les marchés». Ce monde-là, au vrai, est comme ces patients du Dr House que chaque tentative de traitement amène plus près de la phase terminale. Mais, à la différence de la célèbre série, la baguette magique du génial médecin ne provoquera pas le miracle in extremis mortis: ma conviction est que ce monde est condamné. Et, la bonne nouvelle, c’est cela!  

 

Car ce monde qui détruit la Terre et empoisonne tous les éléments, ce monde-là se détruit lui-même. Ce monde qui nous a convaincus que la bonne vie est celle du couple - du double bind à vrai dire - travail / consommation,  autrement dit l'aliénation totale à l’entreprise, ce monde-là - cette servitude-là - les êtres humains en ont assez. Ce monde qui, parce qu’il y trouvait son compte, nous a vendu la confusion entre l’individu et la personne - entre «l’être soi» enrichissant et l’isolement appauvrissant - on fait encore semblant d’y croire mais on y croit de moins en moins. Ce monde qui a énoncé que le bonheur s’achète, notamment par la possession de biens industriels, ce monde qui a su faire de nous des écureuils dans une cage que nous faisons tourner nous-mêmes de plus en plus vite - ce monde ne tient plus que par la force de nos habitudes. Est-ce - était-ce - un monde heureux ? On a pu le croire. En tout cas, il a pu nous persuader qu’il était le monde qui nous permettrait d’accéder au bonheur. Mais qui y croit encore ? Qui croit encore qu’il résoudra le chômage et la misère dans nos pays ? Qui croit encore que les fruits hypothétiques de la croissance vaudront la détérioration de notre environnement ? Qui croit encore que la guerre économique engendrera à la longue le bonheur des peuples ?

 

Mais alors, me demanderez-vous, si vous ne nous annoncez que la mort du monde que nous connaissons, où est la bonne nouvelle ? Tout être qui meurt, plante, animal ou humain, libère de l’espace: c’est cela la bonne nouvelle. Une histoire qui s’achève, c’est la possibilité d’une nouvelle histoire. Un monde qui meurt, c’est la possibilité d’un autre monde. Quand la trame trop serrée d’un système finissant commence à se relâcher, elle redonne du jeu - autrement dit de la liberté. Au lieu d’être simplement les acteurs d’une pièce écrite par d’autres, on peut devenir ou redevenir les auteurs de la vie qu’on veut vivre. Alors, si on leur donne vigueur et foi, nos aspirations que niait le monde qui passe peuvent façonner celui qui émerge. Cependant, plutôt que la jubilation, la première chose que l’on peut alors expérimenter, c’est la confrontation à l’inconnu et la peur. L’Histoire est à écrire et, comme la page blanche, cela angoisse. Pour autant, je parlais d’un monde qui émerge et cette formulation n’est pas juste. En réalité, de ce qui est en train de se défaire sous nos yeux plusieurs mondes peuvent encore sortir. Des mondes meilleurs ou des mondes pires que celui dont nous nous éloignons. Comme le dieu de Jung - advocatus neque advocatus deus aderit (1) - notre responsabilité, de toute façon, sera donc là. Gaston Berger, le père de la prospective française disait que l’avenir est la résultante de trois forces: les déterminismes qui nous dépassent, le hasard qui nous surprend, et l’usage que nous faisons de notre volonté. Que nous ayons peur ou non, la pire des choses serait de ne pas nous emparer de ce moment de l’Histoire. 

 

(1) Invoqué ou non, le dieu sera présent.