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09/07/2012

Pourquoi faudrait-il se justifier de rêver un monde différent ?

 

 

Voilà une dizaine de jours que le comité d’orientation de Commencements s’est réuni autour d’un couscous dans mon squat provisoire, près du lac d’Enghien. Il y avait - honneur aux dames - Dominique, Natacha et Sylvie, ainsi que Pierre, Rémy, Marc et votre serviteur. 

 

Dominique a versé au dossier de nos réflexions une information récente, encore peu divulguée, selon laquelle les réserves d’hydrocarbures seraient bien supérieures à ce que l’on a prétendu jusqu’ici. Pourquoi cette discrétion ? Pour éviter, apparemment, que ne chutent les cours du brut! Cela dit, il y eut un instant de flottement dans notre petit groupe. Supposons que cette information soit exacte: cela signifie que le pic pétrolier est encore loin devant nous. Bonne nouvelle, allez-vous me dire ? Peut-être pas pour tout le monde, et en tout cas pas pour la planète qui pourrait voir se multiplier sans frein le cancer automobile et plastique. Et que dire des démarches en faveur d’une autre civilisation, comme celle du Transition Network, dont le point de départ s’appuie sur le pic pétrolier ?

 

Ce n’est pas tout. Selon des calculs sérieux, la thèse qui a attribué aux élevages de bovins une part non négligeable de la consommation de l’eau serait biaisée en ce qui concerne les animaux nourris à l’herbe. De type «coût complet», elle intègrerait par exemple l’eau de pluie absorbée par les prairies. Or, si cette eau contribue bien à la pousse des herbages que broute le bétail, elle tombe de toute façon, qu’il y ait ou non des troupeaux qui en profitent! Dominique, qui a fait des conférences et écrit des articles autour du thème «nous dévorons l’eau de la planète», est revenue sur sa conviction première: un exemple d’attitude scientifique que l’on aimerait retrouver chez beaucoup de savants. Reste que, là aussi, nous avons une information à la Janus: si notre consommation débridée de viande ne perturbe pas le cycle de l’eau, alors...

 

Mais, puisque j’évoquais les savants, revenons un moment sur une autre hypothèse: celle du réchauffement climatique. Quand je dis une hypothèse, je devrais plutôt employer - n’est-ce pas Véronique ? - le terme de «dogme». Il y a quelques bons apôtres qui ont déjà fait des millions de dollars grâce à celui-ci, tant il a su faire monter les actions du green business avant même qu’il démarre réellement. Mais savez-vous qu’au fameux GIEC, la décision de considérer le réchauffement climatique comme une certitude est le résultat non pas d’un consensus scientifique mais d’un vote pris à une voix de majorité ? Dans la mesure où je ne me reconnais pas compétent dans ce domaine éminemment complexe, un consensus aurait pu avoir raison du doute cartésien que j’essaie de pratiquer assidument. Mais je dois avouer qu’un telle manière de trancher le débat m’a perturbé. En définitive, rien n’est sûr et le réchauffement climatique pourrait être notre désert des Tartares, un évènement qu’on attend en vain tandis qu’il s’en prépare un autre. Un peu comme une épidémie qui ne se produira pas mais qui fait vendre des vaccins qui ne serviront à rien. 

 

Après avoir échangé autour de ces trois exemples et de quelques autres, une chose nous est apparue: notre désir d’un monde nouveau n’est pas issu de la découverte du pic pétrolier, de la raréfaction de l’eau ou du réchauffement climatique. Ces risques sont une rationalisation, un argumentaire, peut-être une façon de nous conforter en raison du monde ratiocinant dans lequel nous vivons. Certes, ces hypothèses ne sont pas inutiles, elles font partie de la maturation de notre pensée. Mais, je dois l’avouer, si je suis à peu près capable d’apprécier la cohérence d’un raisonnement, je ne me reconnais pas une hyper-compétence qui me permettrait de trancher sur tant de sujets qui font s’étriper leurs experts. Je n’en ai pas moins l’intuition d’un monde désirable et possible, et je ne suis pas le seul. Cette intuition procède d’un autre ordre que celui des chiffres, des mesures et des supputations. Nous devons l’accueillir comme telle. Nous devons lui reconnaître une intrinsèque légitimité. Malgré un discours qui s’enrobe de rationalité, le monde que veulent les gars d’en face - les «réalistes» de l’agro-business, de Big Pharma ou des gaz de schiste - n’a de supérieur à celui auquel nous aspirons que son arrogance. Pourquoi faudrait-il se justifier devant eux de rêver un monde différent de celui qu'ils proposent ?

 

Dans la suite de nos échanges, a été évoqué cet après-midi-là le livre de Jonathan Safran Foer: Faut-il manger les animaux ? De quoi s’agit-il ? De la souffrance animale dans les industries à bétail. La souffrance: un mot que les économistes n’invitent pas dans leurs équations. Puis, comme quelqu’un évoquait là dessus - allez donc retrouver les rebondissements de la conversation! - une réflexion de François Cheng, a surgi cet autre intrus: le mot «beauté». Puis un troisième: «fraternité». La souffrance, la beauté, la fraternité: un monde qui les prenne en compte serait-il complètement absurde ?

 

 

 

07/07/2012

Le travail, et après ?

 

 

On nous annonce 60000 licenciements à venir sur le territoire français. La raison, sans fard ? Qu’il s’agisse de transporter des personnes, de fabriquer des soutien-gorge, de construire des voitures ou d’élever des poulets, l’humain coûte trop cher en tant que travailleur et n’a pas assez d’argent à dépenser en tant que consommateur. Vous pourrez analyser les faits sous n’importe quel angle, la vérité se ramène à cela. J’espère que vous appréciez toute la profondeur du paradoxe. Quand un système culmine à ce niveau de contradiction, il est temps d’en imaginer un autre. 

 

Nous avons connu une brève période, un cercle vertueux pourrait-on dire, où le plein emploi joint à l’espérance de revenus croissants ont produit un amalgame. Cet amalgame a engendré une illusion sur laquelle nous vivons encore aujourd’hui. Le travail salarié est devenu le vecteur de l’intégration sociale de masse et, en même temps, il dispensait le revenu. Se nourrir et être membre de la société puisait donc à une source commune: le travail - une certaine forme de travail. Et du travail, dans les années 60, il y en avait. C’est cet amalgame qui, depuis une quarantaine d’année, se défait sous nos yeux, sous l’effet d’une succession de trahisons au modèle initial, mais sans pour autant nous enlever l’illusion qui continue à nous faire courir, que certains appellent la croissance.

 

L’amalgame a commencé à se défaire, dans les faits, avec le développement du crédit à la consommation: la machine économique s’est mise à fonctionner non seulement sur les revenus qu’elle reversait et que les gens dépensaient, mais aussi sur les revenus futurs qu'on a voulu leur faire dépenser par avance. Ce fut la première des trahisons au cercle vertueux qui s’esquissait. Car, si la machine économique avait besoin de ces revenus futurs, c’est qu’on avait fait le choix, pour maintenir ou développer le pouvoir d’achat des consommateurs, de s’appuyer sur le crédit plutôt que sur l’accroissement de rémunération que les entreprises auraient pu accorder. L’extrême de cette logique a été atteint avec les subprimes: on a prêté à des familles impécunieuses, à l’emploi précaire de surcroît, afin qu’elles achètent leur maison. Vous connaissez la suite. Ce stratagème n’est pas nouveau: il fut à la base de l’esclavagisme des latifundia d’Amérique latine où, quel que fût le travail fourni, l’ouvrier devait emprunter sans cesse à son patron pour nourrir et soigner sa famille, mourait endetté et transmettait ses dettes à ses descendants. 

 

Ne serait-ce pas un peu la même histoire s’agissant de ces Etats que les agences de notation font maintenant passer, les uns après les autres, sous leurs fourches caudines ? Ils ont inconsidérément emprunté - dit-on - pour maintenir le train de vie de leur peuple. Vous entendez la morale derrière la formulation. Comme si les prêteurs n’avaient pas profité de cette pratique que leur vertu faussement indignée fustige maintenant! Mais pourquoi ces Etats, globalement, ont-ils eu besoin d’emprunter ? Parce qu’ils étaient trop dispendieux ? Ou parce que les grandes compagnies, qui refusent de leur payer l’impôt tout en leur laissant le poids des problèmes sociaux, voyaient d’un bon oeil cet endettement qui leur assurait le maintien de marchés solvables ? Et les Etats, ces malheureux Etats que l’on voue maintenant aux gémonies, ne le faisaient-ils pas dans l’espoir de ralentir la dégradation de l’emploi en maintenant la consommation ? Que de trahisons! Cherchez donc à qui le crime profite!

 

Mais, revenons aux fondamentaux, comme dirait l’autre. De quoi l’humain a-t-il besoin ? A-t-il besoin d’un travail ? Oui, mais pas pour les raisons ou nécessairement sous la forme qui nous viennent immédiatement à l’esprit. Pour que l’humain s’épanouisse au mieux dans une société qui fonctionne à peu près bien, il a besoin d’exercer des activités qui le font reconnaître par cette dernière. Et, afin de pourvoir à ses besoins dans le système économique que nous avons bâti au cours de ces dernières générations - c’est-à-dire un système qui marchandise et monétarise tout - il a besoin d’argent. Ce sont deux ordres distincts de besoin, le deuxième étant contingent d’une forme particulière d’organisation économique. Or, des formes d’organisation économique, il peut y en avoir d’autres. J’entends encore mon ami Alastair McIntosh me parler de la vie sur l’île de Lewis jusque vers la moitié du siècle dernier. Pas de moyens de conservation tels que réfrigérateurs ou congélateurs et un usage très restreint de l’argent qui est quasiment absent des échanges insulaires. Si vous étiez pêcheur, vous distribuiez votre prise avant qu’elle ne s’avarie, la fermière en faisait autant avec ses oeufs, le cultivateur avec ses légumes. Si un jeune couple avait besoin de construire son foyer ou quelqu’un de refaire son toit, tout le monde s’y mettait. Chacun se devait d’être utile aux autres mais personne ne tenait un livre de comptes - ce n’était même pas du troc, vous l’avez compris - et le gaspillage était nul. Et il n’y avait pas de «fabrique» aux horaires militaires où passer ses journées en échange d’une paie qui permît d’acheter aux voisins volailles, légumes ou fruits. Même le médecin était principalement rémunéré en vivres. Je ne suis pas en train de vous vendre ce modèle, je veux juste insister sur le fait que d’autres formes économiques sont possibles et viables, y compris celles que l’Histoire n’a pas encore explorées et que nous pourrions inventer. 

 

Une société, c’est d’abord une solidarité de destin et de dessein. Une société qui fonctionnerait vraiment serait d’abord plus inclusive que la nôtre qui laisse des populations de plus en plus nombreuses dans le caniveau. Ce n’est pas forcément en regardant vers le passé qu’on la construira, mais le passé est une source d'expériences déjà vécues et, à ce titre, peut être revisité avec des yeux neufs. On ne la construira pas non plus si l’on veut, par exemple, conserver les emplois d’aujourd’hui tels qu’ils sont répartis entre les divers secteurs de production. Certains de ces emplois résultent des dérives de notre façon de vivre et de gérer les biens communs. Par exemple, moins d’exclusion, de chômage, de pauvreté et d’humiliations engendrerait à terme moins de délinquance. Du coup, nous aurions besoin de moins de systèmes de surveillance, de vigiles et de policiers, d’assurances contre le vol et les déprédations, etc. Alors, vaut-il mieux conserver la délinquance ? Les domaines sont nombreux où une société plus saine, humainement, socialement et écologiquement parlant, réduirait les emplois dans certains secteurs. Faut-il lui préférer notre société malade ?

 

Je vais plus loin. Si une nouvelle forme économique émergeait, qui génère des activités utiles, équitablement rémunérées d’une manière ou d’une autre et où chaque citoyen trouve son compte, nos coûts de revient micro-économiques augmenteraient peut-être, mais notre société dans son ensemble en serait-elle plus pauvre ? Je pousse le bouchon plus loin encore, et tant pis si je soulève des cris d’orfraie: si, au sortir de cette métamorphose, nous retrouvions un niveau de vie et de confort équivalent en moyenne à celui des années 60 ou 70, mais que chacun ait sa place et son utilité au sein de notre communauté nationale et qu’en outre notre empreinte écologique redevienne soutenable, serait-ce, pour vous, un échec ou une réussite ?  

 

 

02/07/2012

Y a comme un défaut

 

 

 

Ceux de ma génération se souviendront peut-être de ce sketch de l’humoriste Fernand Reynaud dont je vous donne en post-scriptum la vidéo. Fernand est une sorte d’anti-héros dont les mésaventures font rire le public tout en dégageant de temps en temps une morale cinglante. Dans le sketch du boulanger, il met par exemple en scène les propos vachards au possible des habitants d’un village sur les étrangers, nos plus proches voisins compris. Un jour, le village se retrouve sans pain. La boulangerie, qu’aucun enfant du pays n’avait reprise, a fermé: on apprend alors que le boulanger était un «Rital».

 

Dans «Y a comme un défaut», Fernand revient chez le tailleur après que ses copains lui aient fait remarquer que, ma foi, ben oui, tout bien considéré, sa veste est mal coupée. On sent que le client est loin d’être à l’aise face au professionnel. C’est quasiment le gueux qui se présente devant son seigneur:

 

- Bonjour Monsieur, excusez-moi de vous demander pardon...

 

Pour exprimer la raison de sa présence, il s’empatouille dans les justifications, invoque les remarques de ses copains - qu’on imagine de bistrot. Il se cache derrière eux, n’exprime pas sa propre opinion, et, incapable d’affirmer simplement que le vêtement a été mal coupé, il essaye de suggérer que, peut-être, «il a comme un défaut». Or, manifestement, la veste est défectueuse, elle remonte d’un côté et pend de l’autre. Pour autant, il est trop impressionné par le professionnel pour lui dire la chose sans détour. Ce n’est pas: «La veste a un défaut», c’est: «y a comme un défaut». Bref, entre les lignes, il dit lui-même que cela pourrait ne pas en être un.

 

On comprend mieux sa timidité quand on entend la voix et le ton de son interlocuteur - c’est Raynaud qui campe les deux rôles. Je cite de mémoire. La voix du tailleur est avantageuse, pleine de lui-même, sans réplique:

 

- Ah! Vous pouvez dire que, vous, je vous ai fait un beau costume!

 

Puis de lui vanter, sur le même ton, le tissu au nom fantaisiste, ainsi que la doublure de la veste, elle aussi gratifiée d’une appellation aussi pompeuse qu’un plat concocté par un Ragueneau de deuxième classe. 

 

- Vous avez quelque chose à reprocher à cette doublure ? lui demande-t-il finalement, sur le ton d’un hidalgo provoqué par un manant.

 

Fernand n’a pas incriminé la doublure, c’est une manipulation pour déstabiliser l’importun que l’on voit déjà si chancelant. Cependant, en tant que petit-fils de tailleur, cette allusion à la doublure me parle: je peux vous dire que, justement, c’est souvent celle-ci, quand elle est mal ajustée, qui est cause du mauvais tombé d’une veste. Notre professionnel des ciseaux et de l’aiguille se montre, en plus, cynique.

 

- Non, non, non! s’effraye aussitôt le malheureux Fernand, battant déjà en retraite et encore plus mal à l’aise. 

 

Rassemblant toutefois le peu de courage que l’autre n’a pas balayé, il s’efforce à un dernier assaut:

 

- Pourtant, les copains me disent... Il y a quand même... comme un défaut...

 

- Un défaut ? A cette veste ?» entonne l’autre. Mais, Monsieur, c’est vous qui vous tenez mal! Venez donc...

 

Et le tailleur de tirer ici et là:

 

- Remontez la hanche droite, là, un peu plus. Descendez l’épaule gauche, là! Maintenant, regardez vous dans la glace et dites-moi qu’elle ne tombe pas bien cette veste!

 

La veste tombe droit, effectivement, mais parce que Fernand se tient tout tordu, dans une pose contrefaite:

 

- Oui, en effet... 

 

Une pause, et:

 

- Eh! bien, merci Monsieur...

 

Il s’apprête à sortir. Au moment de franchir la porte, il se ravise:

 

- Je pense à une chose... Les gens, dans la rue, quand ils vont me voir... Ils vont se dire: «Celui-là, on peut dire qu’il a trouvé un bon tailleur. Réussir un si beau costume sur un gars aussi mal foutu!» 

 

Eclat de rire final du public.

 

Je trouve que ce vieux sketch des années 60 reprend aujourd’hui des couleurs. Il est devenu une parabole du monde dans lequel nous vivons. Voyez-vous ce que je veux dire ? Dans ce monde à la dérive qui accumule les défauts de tous ordres - écologiques, économiques, financiers, monétaires, sociaux... - l’humain se sent mal pour ne pas dire qu’il étouffe. Dans sa craintive tentative de faire reconnaître les défauts de sa veste au tailleur qui la lui a coupée, Fernand semble parler de nos timides frémissements pour faire entendre à nos experts ès-sciences économiques et financières que, vraiment, ça ne va plus, que ce n’est plus supportable, qu’on est quand même autorisé nous aussi à supposer qu’il y a «comme un défaut». "D’ailleurs, Monsieur l’expert, on n’est pas les seuls à le dire. On a des copains, au bistrot du coin, qui disent la même chose. Un exemple: tant de richesses produites, si peu d’emplois créés et tant d’austérité nécessaire: est-ce normal ?"


Au bistrot du coin, il y avait par exemple Bernard Lietaer que j’avais invité à un de mes séminaires. C’était en novembre 2008 et il expliquait que la crise serait longue et profonde. Au même moment, sur toutes les longueurs d’onde, les divas de l’économie affirmaient doctement que, dans deux ou trois mois, tout serait rentré dans l’ordre et qu’on n’y penserait plus. J’avais l’impression d’être Grosjean qui veut en remontrer à son curé ou Fernand devant son tailleur. Mais, grâce aux lumineuses analyses de Bernard, ma conviction était faite: il y avait bien un défaut dans le costume qu’on nous avait taillé et les dénégations du tailleur ne le ferait pas disparaître. 

 

Vous avez vu où on en est aujourd’hui, moins de quatre ans après ? Ou bien vous avez déjà oublié l’Islande, la Grèce, l’Espagne, le Portugal et cela vous dispense d’imaginer la suite de la liste ? Pour autant, les tailleurs de ce monde, les financiers et les économistes à l’école de Chicago ainsi que leurs épigones multiples à la tête des multinationales et des administrations transnationales regardent avec mépris ces gueux qui osent se plaindre et mettre en doute leurs modèles. «Qu’avez-vous à lui reprocher à cette doublure!» nous apostrophent-ils. «Tout ce qui arrive est de votre faute!» Et entre eux de pérorer: «Vous vous rendez compte de l’impudence de ces vilains! Il y en a même qui osent s’indigner! Je rêve! Ils ne comprendront donc jamais rien ? Mais voyons, pauvres péquenauds, ce n’est pas le costume que nous vous avons taillé sur mesure qui est en cause! S’il y a un défaut, c’est celui de votre humanité stupide qui ne sait pas le mettre en valeur, si difformes vous êtes que rien ne peut vous habiller correctement. S’il marche mal, ce monde que nous avons conçu, c’est que vous êtes définitivement des êtres disgracieux!»

 

Refusons de nous contrefaire pour embellir les oripeaux qu'on nous fabrique. Ne nous laissons pas intimider par les tailleurs. Cependant, méfions-nous qu'après la veste mal coupée, ils ne tentent de nous enfiler la camisole de force.

 

http://www.ina.fr/video/I06268518/fernand-raynaud-y-a-comme-un-defaut.fr.html