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17/11/2008

Abstraction

 

Cette note figure désormais dans le recueil

Les ombres de la caverne

Editions Hermann, juillet 2011

11/11/2008

Le citoyen contre les pouvoirs

En ce jour anniversaire du 11 novembre 1918, je vous livre ce texte d'un poilu, le philosophe Emile Chartier dit Alain, tiré du recueil "Le citoyen contre les pouvoirs". Bien que daté de 1926, il n'a guère perdu de saveur et de pertinence. Certains se douteront que j'ai été élevé au lait de cette philosophie-là!

L'homme des champs m'a enfin dit toute sa pensée. « Je vote sans aucun plaisir ; je n'aime pas cela. C'est comme si un prodigue mangé d'hypothèques me demandait conseil, sous la condition que je réponde de ses dettes pour une part. Les affaires publiques sont mal conduites. On me consulte ; mais il est clair que mon avis ne pèsera rien ; on me consulte afin de m'engager. Dans nos campagnes on aime payer, ou n'aime point devoir. Vous voulez me mettre sur les bras cette énorme dette publique. Bien forcé je suis, dites-vous. Écoutez ma pensée : j'aime mieux être forcé que consentant.

(...)

« Mais si l'État c'est moi, alors il faut que je paie ma part de toutes ces dettes-là. C'est notre coutume par ici de payer ce qu'on doit, quand on devrait se faire garçon de ferme. Mais quoi ? je ne vois pas de limites. Tous ces beaux messieurs disent que nous sommes pauvres, et dépensent comme des riches. On dit que le chemin de fer perd sur le travail qu'il fait. Mais regardez le travail des ingénieurs ; on le voit d'ici. Ils changent les rails et les traverses ; ils vont faire rouler des trains électriques, afin que tous les paresseux et les ennuyés voyagent encore plus vite. Tout va de même, si j'en crois les journaux. Ici même je vois passer leurs avions à voyageurs, qui transportent aussi des colifichets. Oui, on envoie une robe de bal de Paris à Londres par la voie des airs. Et quoique chacun paie pour son colis ou pour sa place, chaque voyage nous coûte encore plusieurs billets de mille francs, Ne parlons pas de leur guerre ; on se perd dans ces dépenses-là. Mais souvent une petite chose fait juger des grandes. Mon fils, qui était artilleur, a vu tirer quatre mille obus par jour dans un secteur de deux kilomètres, pour faire diversion. Chaque obus coûtait quatre-vingts francs. Ces mêmes hommes occupent le Palatinat et la Ruhr ; toujours par de bonnes raisons, disant qu'on ne peut faire autrement. Après cela on m'invite à une assemblée d'actionnaires. Mais je n'ai rien du tout à dire sur ce genre de commerce. J'aimerais mieux ne point m'en mêler.

« Voyez ma ferme. je regarde à tout. Ce que je peux raccommoder, je ne le remplace point. Il ne manque pas ici de vieilles choses qui font encore un bon service. Si j'ai un moteur pour élever l'eau, c'est parce que je suis sûr, largement sûr, de regagner le prix d'achat en trois ans. Ici l'avarice ne s'endort jamais ; faute de quoi le travail lui-même ferait mourir le travailleur. La voilà, mon opinion. Maintenant si je donne conseil à mon voisin, mon conseil est perdu ; c'est à lui de veiller et j'ai assez à faire chez moi. Et l'État me demande conseil. Mais, mon cher, il n'y a pas une page de leurs comptes, pas une page de leurs projets où je trouve seulement une ligne raisonnable. Je ne vois qu'un remède à cette politique de fils de famille, qui est de serrer les cordons de la bourse. C'est ainsi que mon père m'a élevé ; et de nécessité j'ai fait sagesse. De même je dois agir paternellement à l'égard de tous ces prodigues, et faire le sourd. Voilà pourquoi ce papier électoral ne me plaît guère. Il m'engage ; il prend hypothèque sur moi. On devrait pouvoir voter non et non et encore non. »

03/11/2008

Pendant ce temps, il y en a qui agissent...

J’ai profité d’une semaine de vacances dans le Devon pour rencontrer un véritable acteur du changement de société*. Rob Hopkins est basé à Totnes, ville de 8000 habitants, première «Transition Town»** et aujourd’hui chef de file d’un nombre croissant de villes, de quartiers, d’îles, de communautés diverses qui, au Royaume-Uni et dans le monde, en découvrant ce qui s’y passait, lui ont emboîté le pas.

Pourtant, ce qu’on peut y observer n’a pour le moment rien de spectaculaire. Des gens de bonnes volontés se retrouvent, échangent, animent des réunions – à la fois avec enthousiasme et paisiblement. Le point de départ de ce processus : la conviction que l’ère du pétrole bon marché est révolue et que les conséquences, quand on les regarde de plus près, seront immenses. Que devient, en effet, la mondialisation avec une énergie de plus en plus coûteuse ? Que deviennent nos modes de production, nos façons de vivre et de consommer ? Oh ! bien sûr, on ne sent pas encore sur notre gorge le froid de la lame. Comme toutes les victimes d’une addiction, on espère que le sevrage n’est que pour demain, qu’on va pouvoir en profiter encore un peu. Et, à l’ultime instant, on fera même comme Marie Stuart qui, la tête sur le billot, mendiait: « Encore une petite minute, monsieur le bourreau… »

Outre le processus que j’évoquais, ouvert et sans violence, ce qui m’a frappé lors de mon entretien avec Rob Hopkins, c’est qu’il pose cette échéance énergétique non comme une sorte de punition, une épreuve à surmonter ou un régime draconien à subir, mais comme une heureuse opportunité offerte à nos aspirations. Une opportunité de remettre de l’harmonie entre notre espèce et l’écosystème dont elle dépend. Une opportunité de remettre aussi de l’harmonie entre les humains eux-mêmes que la généralisation d’un éthos de concurrence dresse les uns contre les autres. Une opportunité de reprendre possession de nous-mêmes dans un monde de racolage aussi permanent que futile. Au final, une opportunité de recréer du bonheur car, obsédés de consommations matérielles et de satisfactions narcissiques, nous nous sommes éloignés des sources de celui-ci.

C’est aussi la chance - rare à vrai dire dans le cours d’une vie – de participer à une grande aventure : celle de contribuer directement, là où l’on vit, à la construction d’une nouvelle civilisation. Le foisonnement d’initiatives engendré par les premiers pas de Rob Hopkins à Totnes montre l’aspiration du cœur humain à vivre autre chose que le monde que nous avons construit et qui maintenant nous échappe. Reste que, y compris à l’intérieur de nous, les représentations mentales ont la vie dure. Notamment celles qui ont fait de la mondialisation économique un étalon du progrès et qui affirment que « biggger and bigger is more and more beautiful ». Ne soyons pas surpris si les résistances se multiplient et se durcissent : aucun être, fût-il idéel, n’aime regarder sa mort en face. Mais pourquoi se soucier du terrain idéologique ? Nous sommes libres : agissons !

Si vous voulez en savoir plus : http://totnes.transitionnetwork.org/

PS : si la démarche vous intéresse, on peut imaginer d’en parler de vive voix. Faites-vous connaître et on organisera une soirée !

* Cf le livre des sociologues Paul H. Ray et Sherry Ruth Anderson : L’émergence des créatifs culturels, éditions Yves Michel.
** Littéralement : ville de transition.