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08/11/2007

Chagrin d'école (2)

A la lecture de ma précédente note, Armen Tarpinian me signale la publication en septembre dernier d'un recueil de textes du grand psychologue - encore trop méconnu - Paul Diel sous le titre: Le besoin d'amour.

De la présentation ci-jointe que je vous invite à lire, j'extrais cette citation :

"Nous pouvons trouver dans l’analyse des réactions de l’enfant devenu élève, des éclaircissements essentiels sur ce qui se vit actuellement à l’école. Diel montre que les multiples et graves causes matérielles et sociales qui co-déterminent le désarroi et les comportements inadaptés de l’enfant, ne suffisent pas à les expliquer. Nul n’a décrit avec une telle finesse et précision ce que l’enfant peut éprouver, déchiré qu’il peut être entre le besoin vital de jeu et les exigences du travail scolaire, surtout quand les situations d’échecs où cela peut l’entraîner atteignent profondément ses besoins d’estime et de confiance en soi et dans la vie. Diel parle même de « la tragédie de l’enfance".

Paul Diel_Le besoin d'amour_présentation.doc

07/11/2007

Chagrin d'école

Merci, Daniel Pennac, merci des millions de fois pour ce livre!

L'histoire de Chagrin d'école, c'est celle d'un gamin qui ne comprend rien à rien, pour qui l'école devient un enfer quotidien, un lieu où il est littéralement en souffrance, exposé chaque jour aux moqueries de ses congénères et au regard apitoyé ou excédé des enseignants. Non pas un lieu ou se développer, mais un lieu "de solitude et de honte" où toutes les stratégies sont bonnes si elles permettent de gagner un mot qui soulage, "un regard d'adulte bienveillant". Un lieu où, au final, se forger l'idée qu'on est tout simplement "un minable".

C'est l'histoire - vraie - de Daniel Pennac.

C'est aussi celle de nombreux enfants, aujourd'hui, tous les jours. Je suis payé pour le savoir et je ne remercierai jamais assez les pionniers du Centre pédagogique Léonard de Vinci à Herblay (Val d'Oise) pour ce qu'ils ont su rendre de capacité à apprendre et, surtout, à se regarder positivement, à l'un de mes enfants.

A la décharge de tous les acteurs - et à la mienne - la situation est paradoxale. Le "cancre" envoie en permanence, en rangs serrés, les démonstrations de son insuffisance. Ce sont chaque jour des notes qui surfent sur le zéro quand elles n'y sombrent pas. Ce sont, pour les parents, les regards suspicieux des enseignants: "Vous le faites travailler ? Vous l'assistez dans ses devoirs ?" Ce sont les bonne vieilles méthodes à la Stakanov: en faire plus, toujours plus. Davantage de devoirs à la maison, davantage de discipline, davantage d'accompagnement extra-scolaire... Toujours plus de la même chose, avec toujours plus du même résultat. - "Evidemment!" se dira-t-on après.

Le cercle est infernal car il vient un moment où, de conseil de classe en conseil de classe, les parents du gamin finissent par en avoir assez. A leur tour ils sont humiliés, culpabilisés et, à tout le moins, angoissés par cette situation récurrente. Le cancre doit "se porter" cela en plus! Ils aimeraient bien, les parents, qu'il y mette du sien - un peu, un tout petit peu - afin que le "système scolaire" leur lâche les baskets! Ils finissent par lui en vouloir, et, quand le soir il revient de l'école, la maison, loin d'être le refuge, le lieu où l'on souffle, où l'on panse ses plaies, devient son deuxième enfer. La psychologue qui a fait passer le WISC 3 à mon fils m'a demandé: "Vous avez vu dans quel état il est ? Maintenant, lâchez-le un peu avec l'école!"

J'avais été alerté à deux reprises au moins, par des personnes différentes, que les difficultés de mon fils pouvaient relever d'une intelligence précoce. Mais comment concilier, dans notre façon de penser, que le cancre, doublé probablement d'un fainéant, a en fait un QI supérieur ? Même après qu'il eût passé les tests, lui comme moi nous avons mis du temps à les assimiler. Comment est-il possible que l'on soit intelligent et que l'on ne parvienne pas à faire le minimum qui vous assurerait la paix en classe et à la maison ?

J'ai découvert que la vivacité précoce de l'intelligence pouvait entraîner ce genre de résultat. Notre société, comme toute industrie de masse, s'est organisée pour traiter les cas lambda. Si vous arrivez là-dedans n'étant pas un cas lambda, de deux choses l'une: vous serez sauvé par des individus ou écrasé par la structure. Pourquoi ? Parce que votre sensibilité ne va pas pouvoir se coupler spontanément avec la matrice sociale commune. Du coup, cette sensibilité va se concevoir comme une différence négative, entraînant par là même des perturbations dans la construction de votre représentation de vous-même et de votre identité. Et le regard de l'autre va devenir un poids écrasant.

Doublement écrasant: vous connaissez "l'effet Pygmalion" ?

Alors, la question à cent sous, c'est: lorsqu'ils ne parviennent pas à sortir du cercle vicieux, à se construire, à refaire lien avec le monde et ses exigences, que deviennent-ils ?

Pour Daniel Pennac, la "crise des banlieues" pourrait être en partie la réponse de ces enfants "qui ne comprennent pas, perdus dans un monde où tous les autres comprennent".