08/09/2009
Communauté
Quand, en France, on a prononcé ce mot, on a tout dit. La communauté, c’est le diable et, pour faire court, ce qui menace la République et l’ordre public. Je me souviens d’avoir essayé, il y a quelques années, de faire passer l’idée d’une fête annuelle des communautés et d’avoir frôlé l’incarcération psychiatrique. « Vous n’y pensez pas ! Mais c’est très dangereux ce que vous proposez là! Vous allez renforcer le fait communautaire ! » Qu’avais-je donc imaginé d’aussi séditieux ? Qu'un peu sur le modèle de la « fête des voisins », chacune des communautés qui, de fait, existent et habitent la capitale – Bretons, Basques, Juifs, Maghrébins, Colombiens, Asiatiques, etc. - s’organise pour, au jour dit, en un lieu choisi, dresser une table et offrir les produits de sa cuisine familiale. Le naïf que je suis n’est pas encore revenu des réactions violentes qu’il s’est alors attirées...
Pourtant, les communautés existent. Les nier, c’est nier un fait et, surtout, c’est nier l’humain. Quand des humains font connaissance pour la première fois, ils se disent très vite d’où ils sont, de Villeneuve-sur-Lot, de Saint-Omer, de Jérusalem ou de Montlignon, de Vendée, de Lot-et-Garonne, du Pas-de-Calais ou de Colombie. C’est-à-dire qu’ils évoquent les lieux où ils ont le sentiment de s’être socialisés. Dans notre pays, la référence culinaire ajoute encore à ces références identitaires. On fait la cuisine à l’huile, au beurre ou à la graisse. Nos mères savent faire le confit, la choucroute, le couscous ou la carpe farcie. Ces simples détails que nous livrons instinctivement montrent qu’à moins de sombrer dans le cauchemar d’une société aussi abstraite que totalitaire, comme celle de La République de Platon, les communautés sont la chaleureuse matrice de l’humain et que rien, sauf quelques ambitieux, des idéologies et les blessures mal guéries de leur histoire, ne les prédispose à s’entretuer.
C’est quand même par une communauté qui s’élargit peu à peu – la famille - que tout commence. C’est d’elle que nous apprenons la langue dite maternelle, que nous prenons nos inflexions, que nous acquérons les valeurs, les sociabilités et les codes qui font qu’on sera capable de vivre ensemble, qu’on recevra la culture qui vient prolonger la nature et fait de nous des humains. Je ne serais pas celui que je suis sans la combinaison d’au moins deux cultures – la gasconne et la vendéenne – qui sans doute m’ont davantage façonné que le mélange des sangs et qui me font ressentir une complicité pour un certain genre d'humains. Suis-je pour autant un mauvais démocrate ? Le penser serait croire, pour reprendre la belle image de Kant, que « l’hirondelle volerait encore mieux dans le vide ». Au vrai, il y a une façon de se représenter le citoyen idéal - et l'agent économique aussi d'ailleurs - qui est de l’ordre du désincarné.
Il n’y a guère que les régimes totalitaires pour imaginer ou réaliser la dissolution de toute identité et de tout lien au profit de l’Etat. Or, si on y regarde de plus près, ceux qui troublent aujourd’hui l’ordre public sont plus souvent les enfants de populations tombées dans l’anomie, défaillantes de structures, que de communautés qui seraient en guerre en tant que telles avec d’autres. Certains de nos Diafoirus feraient bien de revoir West side story, cela leur redonnerait en douceur une petite perspective historique. Puis, si on veut bien en rajouter une couche quant aux causes qu’on ne veut pas voir, on pourra aussi comprendre que la déification du marché parfait – cette Déesse Raison des temps modernes - avec le fantasme de l’agent économique rationnel, ont détruit l’affectio societatis. Mon ami Maurice Obadia aurait bien de choses à rajouter quant au mépris dans lequel est tenue par les « experts » cette économie relationnelle qui, bonne ou mauvaise, sous-tend et précède, qu’on le veuille ou non, aussi bien la théorie politique que l’économie marchande...
17:15 | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : économie, politique, communauté, humain