26/02/2009
Eugénie Vegleris
Un bon nombre de ceux qui se rangent eux-mêmes dans le clan des «pragmatiques» et des hommes d’action honnit publiquement le mot «philosophie». Un de mes amis, à sa première réunion d’un comité de direction dans lequel il venait d’être coopté, a eu le malheur de prononcer ce mot, disant : «Ma philosophie du développement de notre entreprise…» Suivait une déclaration qui relevait tout-à-fait des dogmes managériaux en vigueur. Il n’empêche qu’à la sortie de cette réunion, l’un des caciques le prit par la manche et lui souffla à l’oreille : « Quand tu dis philosophie, j’espère que tu penses business ». Gardons-nous de ne voir là qu’une anecdote : s’assurer de l’orthodoxie du vocabulaire est, pour un système, le premier rempart contre les dérives qui pourraient le transformer. Nous ne pensons qu’au moyen des mots et décider du lexique à utiliser confère le pouvoir sur les représentations mentales, donc sur les esprits.
N’en déplaise à ce barbare, si la vie – notre vie – est quelque chose d’important, la philosophie doit l’être également. C’est en tout cas le sentiment que je retire de la lecture du récent ouvrage d’Eugénie Vegleris : « Vivre libre avec les existentialistes ». Eugénie a eu ce culot, il y a quelques années, de vouloir rapprocher questionnement philosophique et problématique des entreprises, et, pour ce faire, d’abandonner sa chaire de professeur. L’aventure semble avoir réussi à l’une comme aux autres. Ce nouveau livre s'adresse davantage à la personne qu'aux organisations car, en ce moment, beaucoup de processus convergent pour faire de celle-là un être machinal plus qu’un esprit doué de pensée et de libre-arbitre.
La clarté du propos a de quoi rassurer n’importe quel béotien qui aurait gardé de sa période scolaire des souvenirs mitigés de Kierkegaard, Jaspers, Sartre ou Beauvoir. Ce petit livre d'une centaine de pages est un trésor de synthèses limpides. Mais il est également riche de phrases vigoureuses: il vient nous chercher là où la conscience veille encore et ne nous lâche plus! Il jette des lueurs sur notre condition et permet d’approfondir cette phrase de je ne sais plus qui : «Ce qui compte, ce n’est pas ce qu’on a fait de nous, mais ce que nous faisons de ce qu’on a fait de nous».
Ce qui compte, reprend Eugénie Vegleris, c’est d’«approfondir cette condition humaine jusqu’à y trouver la liberté dont nous sommes capables ». Vous êtes prévenus: surtout ne l'achetez pas!
16:17 | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : philosophie, développement personnel, pensée
Commentaires
Merci Thierry de ce partage ... et de toutes tes contributions sur ce blog.
Je suis séduit par la limpidité de l'écriture que l'on peut découvrir ici par exemple :
http://www.editions-eyrolles.com/Chapitres/9782708134898/Chap3_Vegleris.pdf
Je sens que je vais consommer sans modération ... et partager à mon tour !
Écrit par : Pierre Clause | 27/02/2009
Je partage ton point devue cher Thierry, en précisant tout de même que dire "ma philosophie" est très différent de dire "la philosophie". Un philosophe ne parle pas de "sa" philosophie, mais chemine dans le champ ouvert de la philosophie. Cela n'ôte rien à la pertinence de ton indignation. Il y aun mot intéressant aussi dans les entreprises, c'est le mot "concret". J'ai remarqué que quand on prenait au mot les gens qui s'époumonnent à réclamer "du concret" et qu'on leur demande ce qu'ils entendent par là, les arroseurs sont souvent arrosés, en proie à des considérations bien abstraites, formalistes, bureaucratisantes et loin du réel des situations de la vie concrète.
Écrit par : Christian Mayeur | 28/02/2009
Parfaitement d'accord : Eugénie Végléris, citoyenne authentique, a choisi l'une des meilleures façons de rendre la philosophie utile, en l'insérant dans le monde du travail et en la rendant accessible à ceux qui recherchent des réponses conceptuelles efficaces à leurs problèmes "concrets". S'il en existe à qui l'idée de "faire de la philosophie" fait peur, parce qu'ils y voient une pratique intellectuelle à contretemps des objectifs urgents du "business", ou même un début de désorganisation de l'entreprise, c'est qu'effectivement ils participent à une organisation du travail où le sens des concepts est figé, à des fins manipulatoires ; mais je reste confiant dans la possibilité d'une philosophie, non pas comme discipline séparée, mais comme pratique inhérente à la vie quotidienne, capable d'éclairer celle-ci et de lui donner non seulement du sens, mais aussi de l'efficacité ; la souplesse de l'esprit ne s'accompagne-t-elle pas d'une "ouverture" lexicale, d'une variabilité des concepts ? et ne faut-il pas y voir la marque d'une organisation ouverte et réactive ?
Écrit par : Joel | 27/06/2010
Les commentaires sont fermés.