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05/05/2010

Noam Chomski

 

J'essaie d'encourager les gens à penser de façon autonome, à remettre en question les idées communément admises.

Noam Chomsky

20/06/2009

Confusion létale

Imaginez un historien des habitudes alimentaires ou de la gastronomie : il pourra vous donner avec précision toutes les recettes de la cour de Louis XIV même s’il n’a jamais touillé une béchamel de sa vie. Et il n'y a rien à redire. Pour autant, lui donneriez-vous la toque du chef ?

 

A avoir invité des philosophes à intervenir dans mes séminaires, j’ai pu faire un constat du même ordre. Il y a deux sortes de personnes qui s’intitulent philosophes: je les appellerai les "érudits" et les "praticiens". L’érudit sait tout sur tout. Il redresse une citation maladroite de Kant et le fait même en allemand. Il vous donne l’analyse la plus pointue des positions d’Epictète ou de Husserl. Grâce à lui, à condition de lui en laisser le temps, vous n’ignorerez plus rien de l’existentialisme de Sartre ou du responsabilisme de Hans Jonas. Il parle comme un livre, il est précis, rigoureux et documenté, avec des notes en bas-de-page et des renvois en fin de chapitre. Maintenant, confiez-lui un groupe de citoyens pour qu’il l’initie au difficile exercice de la pensée : il échouera. Je n’appelle pas cela un philosophe.

 

Il me semble que notre Législateur court en ce moment le risque de commettre la même confusion s’agissant d’une phrase qui a été rajoutée – allez chercher pourquoi et par qui - au projet de loi sur l’hôpital. Cette phrase, si j’ai bien compris, confèrerait d’office la qualité de psychothérapeute à des personnes qui, indéniablement, ont un savoir – leurs diplômes en font foi – mais qui, en revanche, n’ont aucune preuve de l’expérience de la relation psychothérapeutique. Vous en saurez un peu plus là-dessus en allant à cette adresse : http://www.lemonde.fr/opinions/article/2009/05/18/oui-aux-psychotherapeutes-non-aux-charlatans-par-serge-ginger-edmond-marc-et-armen-tarpinian_1194673_3232.html

 

C'est si peu anecdotique qu'un expert comme Boris Cyrulnik s'est ému de cette disposition. Le problème, c’est que voilà le Sénat soumis à la « procédure d’urgence ». Rien de tel pour éveiller ma méfiance! Encore un coup, je suis près de penser qu’il n’y a guère de choses pressantes mais surtout des gens pressés, et je m'interroge sur les intentions que cela dissimule. Nous connaissons tous de ces moments où quelque Picrochole décrète qu’il est interdit de réfléchir « parce qu’on n’a pas le temps ». Je suis un citoyen français comme les autres, j’ai du mal à voir l’urgence dans cette affaire. Je suis même inquiet que les lois promulguées dans notre pays résultent de plus en plus de réflexions ingurgitées à la va-vite, en trop grandes quantités, et mal digérées. Sans débat, il n'y a pas de démocratie. Sans le temps à lui consacrer, il n'y a pas de débat. Que sommes-nous en train de perdre de plus précieux que la vitesse à entretenir cette illusion d'une urgence permanente ?

 

D’autant que je ne serais pas surpris qu’un jour, en « procédure d’urgence », on confère aux seuls érudits l’exclusivité d’exercer. C'est souvent une pièce en deux actes. J'imagine bien Socrate qui, par défaut d’appartenance à quelque kleptocratie, ne pourrait plus mettre la plaque de philosophe au linteau sa porte ! Notez bien que ce sont les mêmes, ou à peu près, qui lui ont fait boire la ciguë en 399 avant Jésus-Christ. Quelle que soit l'époque, ils n'aiment pas les gens qui éveillent les autres. Cela fait des turbulents et des turbulences. Cela complique la vie des élites qui ont bien autre chose à faire.

26/02/2009

Eugénie Vegleris

Un bon nombre de ceux qui se rangent eux-mêmes dans le clan des «pragmatiques» et des hommes d’action honnit publiquement le mot «philosophie». Un de mes amis, à sa première réunion d’un comité de direction dans lequel il venait d’être coopté, a eu le malheur de prononcer ce mot, disant : «Ma philosophie du développement de notre entreprise…» Suivait une déclaration qui relevait tout-à-fait des dogmes managériaux en vigueur. Il n’empêche qu’à la sortie de cette réunion, l’un des caciques le prit par la manche et lui souffla à l’oreille : « Quand tu dis philosophie, j’espère que tu penses business ». Gardons-nous de ne voir là qu’une anecdote : s’assurer de l’orthodoxie du vocabulaire est, pour un système, le premier rempart contre les dérives qui pourraient le transformer. Nous ne pensons qu’au moyen des mots et décider du lexique à utiliser confère le pouvoir sur les représentations mentales, donc sur les esprits.

EVegleris.gifN’en déplaise à ce barbare, si la vie – notre vie – est quelque chose d’important, la philosophie doit l’être également. C’est en tout cas le sentiment que je retire de la lecture du récent ouvrage d’Eugénie Vegleris : « Vivre libre avec les existentialistes ». Eugénie a eu ce culot, il y a quelques années, de vouloir rapprocher questionnement philosophique et problématique des entreprises, et, pour ce faire, d’abandonner sa chaire de professeur. L’aventure semble avoir réussi à l’une comme aux autres. Ce nouveau livre s'adresse davantage à la personne qu'aux organisations car, en ce moment, beaucoup de processus convergent pour faire de celle-là un être machinal plus qu’un esprit doué de pensée et de libre-arbitre.

La clarté du propos a de quoi rassurer n’importe quel béotien qui aurait gardé de sa période scolaire des souvenirs mitigés de Kierkegaard, Jaspers, Sartre ou Beauvoir. Ce petit livre d'une centaine de pages est un trésor de synthèses limpides. Mais il est également riche de phrases vigoureuses: il vient nous chercher là où la conscience veille encore et ne nous lâche plus! Il jette des lueurs sur notre condition et permet d’approfondir cette phrase de je ne sais plus qui : «Ce qui compte, ce n’est pas ce qu’on a fait de nous, mais ce que nous faisons de ce qu’on a fait de nous».

Ce qui compte, reprend Eugénie Vegleris, c’est d’«approfondir cette condition humaine jusqu’à y trouver la liberté dont nous sommes capables ». Vous êtes prévenus: surtout ne l'achetez pas!