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05/04/2010

Rationalité castratrice

 

Dans L'histoire sans fin, les jeunes héros luttent afin de préserver le monde des rêves du néant qui l'envahit. La parabole, ici, dépasse peut-être son auteur. Le rêve doit avoir quelque chose de séditieux car tous les régimes totalitaires ont cherché à l'éradiquer au nom du "pragmatisme". Regardez simplement comment notre société nous rappelle sans cesse au principe de réalité pour nous faire avaler des couleuvres qui ont de plus en plus une taille de crocodile! Écoutez les discours de ceux qu'on appelle des hommes et des femmes de pouvoir - des « décideurs » - quand ils nous expliquent les contraintes du monde que nous avons créé et dont, paraît-il, nous ne pouvons plus sortir. «Vous allez comprendre pourquoi nous sommes obligés de vous licencier.» «Vous allez comprendre pourquoi nous ne pouvons plus vous aider.» « Quand je vous aurai montré ce qui se passe, vous serez d'accord avec moi que, dans votre intérêt... » L'appel à la rationalité n'est que la dernière façon de castrer la révolte. Qui revendiquerait d'être irrationnel ?

Dans ce monde qu'étouffe lentement la froide et trompeuse grisaille de cette rationalité, je ne ferai pas appel cependant aux marchands de rêves professionnels. Qu'ils s'expriment dans des films, des émissions de télévision, à quelque tribune ou sur les stades, ils sont le nouvel opium du peuple. Comparée à eux, la religion retrouverait facilement un parfum révolutionnaire. "Aimez-vous les uns les autres": vous imaginez ? Les marchands de rêve captent notre "temps de cerveau disponible" et nous retiennent de trop méditer les mensonges et les impostures qui accablent l'humanité. Surtout, ils nous détournent de faire une énergie collective de ce que nous ressentons en le partageant dans la "vraie vie". Mazarin disait: « Ils chantent, ils paieront ». Aujourd'hui, c'est : « Ils regardent l'écran, ils se laisseront faire ». Je me demande si la révolution française aurait eu lieu s'il y avait eu à l'époque autant de ces distractions qui réduisent le temps de frayer avec nos semblables... Les seuls rêves puissants sont ceux que l'on fait soi-même et à plusieurs. Rêvons-nous encore nos propres rêves ? Avons-nous été châtrés par la rationalité ? Sommes-nous capables de rêver ensemble ?

Dans un tel monde, les marchands d'aventures ont aussi de l'avenir. C'est une bonne et une mauvaise nouvelle. Cela dépend des aventures qu'ils nous proposeront. Nous avons vu ce qu'il en a été pour l'Allemagne avec Hitler: quand un peuple est dans l'impasse, point ne sert de rappeler la rationalité du garrot qui l'étrangle, du carcan qui l'humilie. Or, comme l'expliquait brillamment Hervé Juvin, l'autre soir, à l'École militaire, l'impasse est là - et multiple. Nous vivons aujourd'hui un renversement propice aux pires aventures. Le règne de l'Occident, comme jadis celui de l'Empire romain, est rattrapé par l'entropie. Les guerres pour la ressource redeviennent un moteur de l'Histoire. Les grandes migrations sont devant nous et non derrière. L'écosystème ne supportera pas la croissance que notre modèle économique réclame. Les identités jadis blessées retrouvent leur mémoire et reprennent le devant de la scène...

Sans nous en rendre compte, nous sommes entrés dans l'époque de tous les dangers. Or, comme le montre la fable de L'histoire sans fin, le néant guette ceux qui ne se racontent pas la bonne histoire. Le seul antidote du néant, c'est la puissance créatrice. Je crois essentiel de retrouver l'intelligence du rêve, fût-ce aux dépends de la rationalité.

Commentaires

Rationalité ou réalisme ? Je crois que c'est dans "Rêves de droite" que Mona Chollet montre que sous l'étiquette du réalisme, sont vendus au public les plus grosses ficelles du cynisme le plus pur. Soyons réalistes, soyons pragmatiques, il faut de la croissance, il faut des entrepreneurs, de la flexibilité, etc. Ce système ne tient-il pas par le rêve de tous ceux qui voudraient devenir vite riches et passerons leur vie à trimer sans rémission, mais garderont cet espoir fou, ce rêve absolu sous les yeux, si ce n'est moi, ce seront mes enfants ? Sinon, pourquoi élire des serviteurs de l'argent-roi ?
Ceux qui ne se racontent pas la bonne histoire... C'est drôle que vous parliez de cela, ma marotte en ce moment est de distinguer la parole et le discours, s'agit-il ici de se tenir un discours qui fasse "triper" ou de trouver une parole, cette expression qui, à la fois nous distingue et nous relie à l'autre comme mode d'expression non pas sans culture, mais sans calcul ?...

Écrit par : Ardalia | 05/04/2010

Je me rends compte qu'à jouer avec les mots, ou plutôt avec l'utilisation qu'on en fait, mon texte est peut-être un peu flou. Car la rationalité ou le réalisme ne sont pas de mauvaises choses en soi, c'est ce qu'on en fait. On en appelle aujourd'hui à la rationalité ou au réalisme comme hier à l'Evangile, pour établir le pouvoir d'une caste, faire taire les uns et envoyer les autres au bûcher.
Vous avez entièrement raison: il y a des rêves qui asservissent aussi. Ceux que l'on nous donne.
Quant à la parole, depuis qu'il y a des conseillers en communication on a oublié ce que c'est...

Écrit par : Thierry | 05/04/2010

Thierry, tu fais référence à un ouvrage qui m'est particulièrement cher. Sache que Michael Ende (qui se traduit : fin) à écrit aussi un ouvrage renversant de poésie et de finesse : Momo, qui parle d'un enfant face au vol du temps, allégorie pour l'argent dans ce livre. C'est beau et très "second, voire troisième degré". Chez cet auteur, je ne suis pas sure que les niveaux de sens que tu sais si bien détecter soient seulement des hasards. Sans doute poura tu me le dire quand tu aura lu Momo.
Amitiés

Écrit par : Anette | 06/04/2010

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