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05/02/2011

Homérisation (1)

 

 

Je commence à éprouver une singulière répugnance devant le mainstream publicitaire qui a inondé nos écrans de télévision. L’être humain – nous, en l’occurrence ! – y est représenté systématiquement de manière pitoyable. Dans ces clips, la rencontre de n’importe quoi, pourvu que ce soit quelque chose qui génère des flux financiers pour les annonceurs, projette instantanément hommes, femmes, enfants, familles et réunions amicales dans des orgasmes grotesques.

Le problème que je soulève là n’est pas celui du ridicule. Je me place – pardonnez-moi du peu - dans le registre anthropologique. De ce point de vue, la question, aujourd’hui, c’est moins les objets qu’on nous vend – quelle boîte de petits pois choisir ?, comment payer le juste prix, etc. -  que les effets sur nous des histoires qu’on nous raconte en vue de nous les faire acheter. Une des caractéristiques de l’humain, c’est sa plasticité. Quels sont les effets de cette irradiation quasi-permanente sur les structures psychiques et les comportements ? Nous sommes dans le monde même que dénoncent les Simpson (la série télévisée de Matt Groening). Nous sommes en voie d’homérisation.

On me dira que tout cela, c'est de l'humour, cela se prend au deuxième degré voire au troisième. D’abord, je n’en suis pas si sûr. L’inconscient ignore ce genre d’exercice et le conscient a besoin d’entraînement pour le pratiquer. Ensuite, même la prise de distance laisse quelque chose que je juge empoisonné : une sorte de sentiment de dérision dont nous sommes les victimes. Accepter que le monde marchand nous mette en scène de manière aussi ridicule, accepter que l’on se moque de nous et en rire, quand ce n’est pas l’œuvre d’un  Molière qui nous tend un miroir, qu’est-ce que cela cache ? Qu’au fond, peut-être, notre vie, nous-mêmes, nos amours, nos projets, tout cela est de l’ordre du dérisoire. Après tout, se trahit peut-être là tout simplement le regard que portent sur nous ceux qui veulent nous vendre leur camelote.

Commentaires

Nous savons, depuis un moment, que la "perception directe" est reliée à la mémoire à court-terme et la "perception indirecte" fait appel à la mémoire à long-terme. Si les produits à vendre sont perçus de façon directe, les contextes (convivialité, réussite, degré de "désirabilité" sociale et sexuelle) véhiculent le message indirect - et vont donc avoir un d'impact à plus long-terme sur notre mode de penser et sur nos aspirations. Le message direct est donc "Achetez tel ou tel produit" tandis que le mesage indirect est "Appauvrissez-vous en redéfinissant le bonheur comme l'admiration d'autres personnes paumées". Pour la publicité, le problématique est simple : il faut générer des images impossible à atteindre pour perpétuer un insatisfaction permanent que les consommateurs essaieront de combler en achetant encore autre chose. L'humour, par contre, est plus complex et constitue une arme idéologique terrible. Avec une blague comme celle que tout le monde racontait à Davos il y a deux ans concernant les malheurs économiques de l'Islande (Question: "What is the capital of Iceland?" Réponse: "$ 25"), on enseigne la durté et on propage le cynisme... Et poutant c'est drôle et c'est là le pire. Alors, qu'est-ce qu'on sait de l'humour ? On sait surtout que, plus souvent que non, il s'agît d'un court-circuitant entre les deux hémisphères du cerveau : un changement de contexte inattendu rend soudain ridicule quelque chose qui était logique et normal avant. Exemple : Deux amis discutent. Le premier dit: "Nos voisins en face ont eu un petit garçon la semaine dernière mais ils ne savaient pas quel prénom lui donner donc ils ont mis ces centaines de prénoms dans un chapeau et ils ont tiré un nom au hasard." Le deuxième: "Et finalement, il s'appelle comment, le petit?" Le premier : "Cinquante-quatre." Que faire ? Dans un premier temps, rire. Et dans un deuxième temps, analyser les étapes par lesquels on était obligé de passer et les pré-suppositions qu'il a fallu qu'on accepte pour avoir pu trouver la chose drôle. Et par moment, on découvira qu'on a payé très cher la blague en question.

Écrit par : Lonny Gold | 06/02/2011

Jetez vos télés !!! un antidote à la domestication savamment orchestrée par la propagande cathodique !

Écrit par : Natacha Rozentalis | 06/02/2011

@ Lonny, merci pour ce commentaire qui apporte de la profondeur à mon constat rapide.
@ Natacha, voilà pour étayer votre appel http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2010/11/29/01016-20101129ARTFIG00718-qui-sont-donc-ces-francais-sans-television.php

Écrit par : Thierry | 06/02/2011

Je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites... Je trouve que de ne pas nuancer du tout les propos sur la publicité revient à généraliser complètement les publicités. Car vous ne parlez ni des « produits » qu'il peut être bon de vendre, peut-être même au dépend des personnes (les messages sur les dangers de la route ou de la cigarette par exemple) et vous ne donnez aucune alternative à la pub pour faire connaître les nouveaux produits... On peut critiquer, mais comment faire sans la pub ? Si on un jour on crée une voiture qui ne pollue pas (utopique, mais c'est juste pour l'exemple) comment peut-on l’annoncer aux gens et les encourager à l'acheter?
En plus, ne passe-t-on pas notre vie à faire une sorte de pub, en vendant nos idées, en argumentant nos points de vue et en essayant de faire comprendre à l'autre pourquoi il est bon pour lui de penser comme nous? Je ne sais pas si je m'explique bien mais je pense qu’il existe des justifications à un certain type de publicité.
Je reconnais qu’elle peut avoir un côté malsain ou inhumain, mais je pense que les généralisations engendrent un regard certes facile à comprendre mais bien pauvre sur la publicité.

Écrit par : Juliette Blanc | 06/02/2011

Spectateur des Simpsons de la première heure, un suivi assidu des épisodes les plus anciens nous informe que les scénaristes de la série ont ressenti le besoin de justifier leurs caricatures. Pour ce qui concerne le père de famille, Homer, une radio du crâne permet de découvrir qu'un crayon enfoncé par les voies nasales "perturbe son discernement". Acceptant l'intervention des médecins, le voici transformé, c'est à dire avec un cerveau entier, un QI de 180 et une lucidité trés proche de celle de Lisa, sa première fille (on comprend mieux dès lors que Lisa Simpson n'est pas le fruit d'un hasard génétique). Mais cette intelligence et cette lucidité ont un prix. Homer déprime rapidement en réalisant la médiocrité et la mesquinerie du monde qui l'entoure(rôle dévolu à Lisa dans la série). L'épisode s'achève par un retour à la normale, le crayon retrouvant la place qu'il n'aurait jamais du quitter. Par la même occasion, la série a pu continuer, le ressort comique ayant été rétabli. Je pense que le message que souhaite faire passer Homer est celui du coeur. Oui Homer est crédule, se laisse guider par ses instincts et se fourvoie en toutes circonstances. Mais lorsqu'il réalise ses erreurs et laisse parler son coeur, il agit. Les cérébraux qui analysent et évaluent sont le plus souvent tétanisés, convaincus de leur impuissance face à l'incurie et l'absurdité. La morale de la série est peut être que seuls ceux qui ont du coeur changent le monde.
Je ne recommande à personne d'utiliser un crayon autrement que pour écrire, mais je me plais à penser qu'il y a du Homer Simpson à chaque fois que le coeur emporte sur la raison. Le coeur, lui, est intelligent.

Écrit par : olivier Viry | 07/02/2011

Ce billet me conforte dans ma décision prise il y a 17 ans: ne plus regarder la télé, tout simplement. Cela ne suffit pas à échapper totalement au cloaque publicitaire, mais enfin c'est 90 % de mépris et de bêtise mêlés economisés chaque jour. Croyez moi, on vit très bien et j'ai même la faiblesse de penser que je m'en porte bien mieux.

Écrit par : Christian Mayeur | 07/02/2011

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