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30/03/2011

Le principe de précaution

 

 

L’avant-dernier jour de ses vacances, à l’heure où les ombres s’allongent, alors qu'elle remontait vers Paris au volant de sa voiture, Françoise avait fait étape dans une bourgade paisible.

De majestueux tilleuls étendaient leurs ramures odorantes autour d’un mail. Françoise imagina les familles qui venaient le soir s’y promener et, aux heures fraîches, les vieux y jouant à la pétanque. Pour l’instant, le lieu était désert. C’était l’heure où les gens du pays dînaient – dans ces régions on dîne de bonne heure. Françoise posa ses bagages à l’hôtel et s’empressa d’aller se promener sous les tilleuls.  Elle se retrouva seule, faisant le plein de la fragrance apaisante.

Elle se dit soudain qu’il y avait là de quoi se faire une excellente tisane qui lui rappellerait ce moment délicieux et, avisant une branche basse qui semblait l’y inviter, elle se mit à cueillir les fleurs du tilleul.

C’est alors que surgit une sorte de garde-champêtre :

- Vous faites quoi exactement ?

Françoise sursauta et, devant l’uniforme, se sentit prise en faute :

- Je ne pensais pas mal faire. Regardez, j’en prends juste un peu et je n’abime pas les branches...

- Ces arbres appartiennent au domaine public. Seuls les jardiniers municipaux sont habilités à les toucher! Bon, je suis un brave homme, je ne verbalise pas, mais ne recommencez plus !

Remâchant son humiliation, Françoise regagna son hôtel. Tout au long du dîner, elle se repassa mentalement la scène.

Le lendemain matin, à la première heure, d’un pas décidé, elle se dirigea vers la mairie. Elle fut surprise de voir un bâtiment moderne qui ressemblait à une écharde au milieu des maisons de caractère qui l’entouraient. Elle entra et demanda à parler à un jardinier.

La personne de l’accueil fut aussitôt sur la défensive :

- Nous ne sommes pas habilités à donner le nom de nos employés municipaux.

- Mais je ne veux savoir le nom de personne. Je veux juste demander un conseil, ajouta-t-elle prudemment.

Avec réticence, la secrétaire consulta une feuille et lui dit enfin :

- A cette heure-ci, vous devriez les trouver au monument aux morts…

Ayant trotté quelques centaines de mètres dans la direction qu’on lui avait indiquée, Françoise arriva au monument aux morts. Ils sont deux à s’affairer.

- Ce n'est pas à nous de cueillir les fleurs de tilleul. Nous, nous sommes payés pour l'entretien et éventuellement pour scier, abattre et enlever les restes. Déjà qu’on réclame une création de poste depuis des années et que le maire nous la refuse… Il est même question qu’au contraire on ne remplace pas le Domi qui va partir à la retraite ! Alors, les fleurs de tilleuls…

Françoise revint a la mairie, demanda à voir le maire qui était sur un chantier, et s'entretint finalement avec le secrétaire général.

- Pourquoi ne pas autoriser les gens à cueillir les fleurs puisque ce n'est pas dans les attributions des jardiniers ?

- Vous n’y pensez pas ! Les gens aujourd’hui font un procès pour un oui pour un non. On a déjà assez de problèmes avec la cantine scolaire : il suffit qu’un enfant attrape la diarrhée et on a l’association des parents d’élève sur le dos ! Alors, cueillir les fleurs de tilleul, cela voudrait dire que des gens montent dans les arbres, qu’ils utilisent des échelles plus ou moins sûres. Vous imaginez tous les risques d’accident ? Sans parler de ceux d'intoxication qu’on imputerait évidemment à la tisane de tilleul municipal ! 

- Il y a des assurances quand même pour couvrir ces risques !

- Alors que notre commune a de moins en moins de revenus, ce n’est pas le moment de créer des charges nouvelles

Il reprit son souffle et ajouta :

- Sans parler des dégâts qu’ils pourraient faire aux arbres. Vous le savez, les gens n’ont plus respect de rien. On aurait les écolos sur le dos !


- Mais vous avez bien des chômeurs  qui aimeraient se rendre utiles peut-être. On pourrait leur expliquer en quelques minutes comment faire?

- Chère Madame, on voit que vous ne connaissez pas la législation…

- Mais la vente des fleurs cueillies financerait peut-être les frais de cueillette, ne croyez-vous pas ?

- Notre métier n’est pas de faire de l’herboristerie.

- Eh ! bien, trouvez un herboriste et passez-lui un marché !

- La profession n’existe plus en France.

- Une association d’amateurs de tisanes ?

- Faudrait-il encore que les gens la créent!

 

Françoise revint à son hôtel, fit ses bagages en vitesse, paya sa note, et s‘enfuit de la bourgade en s’astreignant à ne pas regarder dans son rétroviseur les tilleuls croulant de tant de fleurs qui ne finiraient jamais dans une tasse…

Mais, pour dire la vérité, la nuit précédente elle s’était relevée et, autour de trois heures du matin, avec une sorte de jubilation, elle avait rempli un grand sac de fleurs de tilleuls qu’elle rapportait maintenant chez elle.

Depuis, elle a appris que la mairie avait fait abattre un certain nombre de ces tilleuls. On avait évoqué une maladie qui avait frappé les arbres, mais les mauvaises langues disaient que certains riverains du mail s'étaient plaint des fleurs qui, quand elles tombaient en grand nombre, bouchaient les gouttières des toits et les caniveaux.

Commentaires

Belle fable de la france d'aujourd'hui. Ce à quoi échappent nos amis Allemands, par exemple. Et ils ne s'en portent que mieux !

Écrit par : Christian Mayeur | 31/03/2011

Et en plus, les feuilles de tilleuls sont frappées par un arrêté européen qui les oblige à détenir une autorisation de mise sur le marché comme un médicament pour pouvoir être diffusées et utilisées ! C'est un naufrage très lent dont on ne verra les résultats que lorsque ceux qui oeuvrent à ces lois et à ses normes seront partis en retraite depuis longtemps.

Écrit par : Pierre Blanc-Sahnoun | 02/04/2011

C'est donc pour cela que les chasseurs cueilleurs s'approvisionnent désormais dans les supermarchés?!!

Cette histoire me fait penser à la guérilla jardinière qui est la culture illicite des terrains d'autrui. Les guérilleros, nombreux en Grande Bretagne et aux Etats Unis, interviennent avec leurs bêches et leurs graines pour occuper ces espaces de nature publics ou privés abandonnés ou mal aimés. (transformer les friches industrielles en jardin ou champs de blé, couvrir les bords de route de fleurs). Les cultures servent à embellir, à se nourrir. La guérilla jardinière est une lutte pour les ressources, une bataille contre la rareté de la terre, la destruction de l'environnement et le gaspillage des opportunités.

Françoise a eu bien raison d'honorer l'offrande de ce tilleul.

Écrit par : Natacha Rozentalis | 02/04/2011

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