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07/07/2011

Le docteur Fox, les fantasmes du citoyen et la démocratie

 

J’aime bien l’inventivité des psychologues américains. Elle a permis de mettre en lumière de manière frappante des phénomènes comme la tendance à la servilité (Milgram), les effets sur les autres des croyances que nous avons sur eux (Rosenthal) ou les bases triviales des excès de pouvoir et de la cruauté (Zimbardo). Si les expériences que je viens de citer sont assez connues, celle dont je vais parler, baptisée « Effet Dr Fox », me semble l'être un peu moins.

Au début des années 1970, des chercheurs organisèrent une conférence sur La théorie mathématique des jeux et son application à la formation des médecins (Mathematical Game Theory as Applied to Physician Education). Cette conférence, donnée par le Dr Myron L. Fox, s’adressait à un public averti : des psychologues, des psychiatres et des spécialistes de l’éducation. D’une durée d’une heure prolongée par une demi-heure de débats, elle fut donnée trois fois et rassembla au total une audience de 55 personnes. Les évaluations des participants furent globalement très positives.

Cependant, la lecture du texte de la conférence, telle qu’elle fut donnée aux trois publics, montre que le Dr Fox jargonne sans honte, multiplie les néologismes douteux et ne craint pas d’aligner sophismes et affirmations contradictoires. En fait, cette conférence n’est qu’un tissu d’incohérences. Et pour cause : c’est un canular. Quant au Dr Fox, c’est un acteur qui ne connaît rien au sujet. Il a appris le texte par cœur et les organisateurs de l’expérience lui ont demandé de se montrer vif et chaleureux, et d’enrober d’humour les réponses absurdes qu’il improvise en réponse aux questions.

Croyez-le ou non : personne n’a détecté le canular !

La leçon de cette histoire est évidente : même devant un public averti, le comportement de l’orateur, sa personnalité, l’emportent sur la qualité de son discours. Les chercheurs qui ont ainsi fait apparaître « l’effet Dr Fox » avaient pour champ d’investigation la relation entre les enseignants et leurs élèves. Moi, j’ai envie de pousser le bouchon plus loin. Les discours de nos politiques actuels, formés à la rhétorique et au story telling, entourés de spécialistes de la communication, sont-ils autre chose que des exercices de théâtre où l’emporte l’acteur le plus talentueux ?

Au moment où j’écris cela, cependant, je me dis que la chose, pour ne pas être moins trompeuse, est peut-être moins simple. L’expérience du Dr Fox montre que le personnage, plus que le contenu du discours, induit l’adhésion du public. S’agissant d’un acteur, le jeu est prescrit par le metteur en scène. S’agissant de nos politiques, un tel rôle de composition ne tiendrait pas longtemps. Tout au plus peut-on leur conseiller de canaliser les dérives possibles de leurs tendances naturelles. « Sur ce sujet, M. le Président, n’hésitez pas à vous montrer modeste, à faire amende honorable. Là, à l’inverse, les gens aimeront que vous soyez catégorique et simplificateur… » Il en est alors de Picrochole comme de Gabin : on ne leur demande pas de faire autre chose que du Gabin pour l’un et du Picrochole pour l’autre.

Alors, eh! bien, si ce qui exerce sur nous une séduction déterminante c’est la personnalité de l’acteur, il est urgent de nous demander par quels biais psychologiques nous choisissons certains individus pour conduire les affaires de l’Etat. Quel miroir de notre « moi idéal », de notre fantasme de puissance, nous tendent-ils ?

Commentaires

Foncièrement amusant. Merci.

Écrit par : Jean-Marie Chastagnol | 07/07/2011

« Avec les moyens actuels de publicité, une opinion ou une doctrine peut être lancée comme un produit pharmaceutique quelconque. » (Gustave Le Bon 1924)

Donc puisqu'on parle en 2011 de réformer le commercialisation des médicaments suite notamment à l'affaire Mediator ... comment réformer la démocratie pour limiter la nocivité du storytelling ? Intervertir les journaux de 20h de TF1 et France2 et les documentaires de 23h45 des mêmes chaines TV me paraitrait un bon début de désintoxication :-)

Écrit par : Pierre C. | 07/07/2011

C'est absolument vrai, Roger-Gérard Schwartzenberg le constatait en 1974 dans « l'État spectacle » et surtout Guy Debord dans « la société du spectacle ». On ne peut pas dire que nous n'avons pas été prévenus. Et pourtant, il subsiste une sorte de lucidité populaire, une intelligence intuitive extrêmement forte qui permet au bistrot du coin de décoder toutes ces simagrées sans tomber, ou en ne tombant pas plus que les spécialistes distingués que nous sommes, dans les pièges tendus par le pouvoir moderne et ces soldats disciplinés que sont les politiques et les "spin doctors".

Écrit par : Pierre Blanc-Sahnoun | 08/07/2011

… Et d'ailleurs, l'effet Dr Fox à l'envers a vraisemblablement tué la carrière politique de Michel Rocard…

Écrit par : Pierre Blanc-Sahnoun | 08/07/2011

Merci pour ce blog très intéressant, j'apprend plein de choses intéressantes!

Écrit par : Guitare acoustique | 06/10/2011

Parfois je pense qu'il faut quand meme se méfier des psychologues...

Écrit par : Pneu pas cher | 10/06/2012

Les commentaires sont fermés.