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09/05/2019

"Seven" et la transition écologique: la Gourmandise

 

 

Au pays de Rabelais, la Gourmandise n’est-elle pas le plus inoffensif - le plus sympathique même - des sept péchés capitaux ? Ce serait oublier que, lorsqu’elle est le fait de plusieurs milliards d’individus aux modes de vie occidentaux, elle devient catastrophique pour la Planète. Et il ne s’agit pas de la goinfrerie, que nenni ! Il ne s’agit bien - j’allais écrire: hélas! - que de la simple gourmandise. Par exemple, qu’en est-il de notre goût pour la chair animale ? Regardons les choses en face: de la multiplication des tristes élevages industriels à l’élimination des espèces qui habitaient les territoires conquis par la monoculture intensive, en passant par les océans qui se vident de leurs poissons et se remplissent de plastique, notre gourmandise a un impact cruel et dévastateur sur le Vivant.

 

Oublions les souffrances des animaux et installons nous un instant dans la froide raison économique puisque c’est le langage qui semble parler au plus grand nombre. Produire sous forme de viande de bœuf un kilogramme de protéines nécessite des surfaces très supérieures à celles qu’il faut pour le produire sous forme végétale. De ce fait, afin de nourrir les espèces à viande, les surfaces de production de céréales telles que le soja ne cessent de s’étendre, et de manière considérable. Elles le font évidemment au détriment des écosystèmes naturels : selon le WWF, en Amérique du Sud, 2,4 millions d’hectares de forêt disparaissent chaque année en raison de l’extension de la culture du soja que l’on retrouve notamment dans les mangeoires des porcs élevés en batterie. Avec la forêt, c’est non seulement la flore et la faune qui reculent dramatiquement mais les populations autochtones qui sont chassées sans pitié de leurs territoires ancestraux. Ces cultures intensives s’accompagnent évidemment de l’usage tout aussi intensif d’intrants et de pesticides que l’on retrouve dans les rivières. Puis, les céréales entrent dans le cycle de la transformation et des transports, jusqu’aux lointains élevages industriels qui produisent à leur tour leur lot de nuisances (12).

 

Mais, du point de vue de la Gourmandise, il n’y a pas que notre goût pour la viande qui est en cause. Il faut évoquer aussi diverses friandises où l’on retrouve de l’huile de palme, cette substance pour laquelle on massacre impitoyablement les derniers orang-outans (13). 60% de l’huile de palme sert dans nos pays à faire tourner moteurs automobiles (45%) ou turbines (15%), il reste 40% que nous avalons sciemment ou non dans des glaces, des pâtes à tartiner, des sauces, des biscuits et autres succédanés de beurre. Ont été principalement épinglées pour certains de leurs produits les marques Nutella, Kellogg’s, Kinder, PepsiCo, Ferrero, Pizza Hut et KFC, mais elles sont loin d’être les seules sur la sellette. Comme il s’agit ici des méfaits de la Gourmandise, je m’abstiendrai d’évoquer d’autres secteurs comme celui des cosmétiques, mais il ne sont pas en reste (14). Et pour ne pas faire trop long, je ne ferai qu’évoquer la culture des avocats, du café et de quelques autres végétaux que nous prisons. Ceux que cela intéresse auront tôt fait de trouver les informations sur le Net.

 

Alors, il y a le bio, Dieu soit loué ! Mais ce n’est pas si simple. En France, la demande de fruits et de légumes bio dépasse la production nationale et, en outre, le consommateur ignore ou veut ignorer la saisonnalité de l’agriculture: il trouve normal, par exemple, de manger des courgettes au coeur de l’hiver. Une bonne partie du bio - 42% - est donc importée et, parfois de loin: d’Espagne évidemment, mais aussi du Mexique ou de la République dominicaine. Si le bio est meilleur que le tout-venant pour notre organisme, il ne l’est pas forcément pour l’écosystème (15).

 

Je me souviens d’une jeune femme au demeurant sympathique qui déclara un soir, avant de se mettre à table devant les caméras d’une émission culinaire : « Moi, je suis végétarienne! » Ce qu’elle entendait par là, c’est qu’elle ne mangeait jamais de viande. Du coup, en mettant le poisson au rang des légumes, elle se dédouanait des dégâts dont les viandards se rendent coupables. Alors, parlons des poissons, même si c’est pour rappeler des données que chacun d’entre nous a plus ou moins vaguement à l’esprit. Les poissons qui se retrouvent dans nos assiettes sont de deux provenances: soit ils sont pêchés, soit ils sont élevés. S’agissant de la pêche, vivant dans une ville qui en fut jadis l’un des premiers ports français, j’ai une grande sympathie pour les gens de mer et la pêche artisanale. Dans ma salle à manger, j’ai un vieux tableau montrant à quai les bateaux aux voiles d’ocres qui, des Sables d’Olonne, partaient à Terre-Neuve faire leur campagne de pêche à la morue. Mais, comme disait Rudyard Kipling, c’est une autre histoire.

 

Nous avons tous entendu parler de « pêche durable » et nous sommes sentis plus ou moins rassurés de savoir que cela existait. Le principe de la pêche durable est de laisser dans les eaux suffisamment de poissons pour qu’ils puissent assurer leur reproduction en volume. A l’opposé, la « surpêche », à l’instar des organisations qui se sont « autonomisées » (16), vit dans le temps court et se désintéresse de l’avenir, même proche. Elle prend tout ce qu’elle peut, avec des bâtiments de plus en plus puissants et des engins de plus en plus sophistiqués. Ses filets ramènent n’importe quoi, même des dauphins, et elle rejette à la mer, en général abîmés ou sans vie, les espèces qui ne l’intéressent pas. Au surplus, elle moissonne sans tenir compte de la saison, c’est-à-dire du moment où les poissons se reproduisent et du temps nécessaire aux alevins pour atteindre la taille adulte (17). Or, il semble que, dans les supermarchés, 86% des poissons proposés ne soient pas issus de la pêche durable (18).

 

Heureusement, il y a la pisciculture ! Son expansion au cours de ces dernières années a été spectaculaire, au point que près de la moitié des poissons consommés aujourd’hui dans le monde provient des élevages. Mais voilà: le problème de l’alimentation des poissons d’élevage n’est pas sans ressembler à celui des espèces à viande. La majorité d’entre eux est carnivore. Une partie de leur alimentation est à base d’huile et de farines de poissons sauvages. Pour produire un kilogramme de saumon d’élevage, il faut ainsi quatre à six kilogrammes de sardines ou d’anchois. Ces prélèvements rompent la chaîne alimentaire des milieux marins. Les poissons carnivores sauvages, les oiseaux et les phoques en sont les premières victimes. S’ajoute à cela la pollution. Les rejets d'une ferme piscicole de moyenne importance seraient équivalents à ceux d'une ville de 50 000 habitants. En outre, peu de pisciculteurs acceptant de se contenter de rendements faibles, la densité des élevages fait que parasites et épidémies se multiplient nécessitant des traitements chimiques et antibiotiques massifs (19).

 

On peut - on doit - évoquer aussi la souffrance des animaux. On parle moins de celle des poissons que de celle des bovins, des porcs ou des volailles, sans doute parce qu’ils sont plus éloignés qu’eux de notre espèce et que nous avons peu d’occasion de les observer. Cependant, du fait du confinement des animaux dans les élevages intensifs, la souffrance est générale. Ce n’est pas le moindre des coûts du péché capital de Gourmandise.

 

Dans ce désastre silencieux, notre frivolité n’est sans doute pas seule en cause. Je me souviens d’un vieil ami, il y a longtemps, qui s’insurgeait lorsque sa fille, pour des raisons de santé, essayait de lui faire limiter sa consommation de viande. Pouvoir en manger à chaque repas sous une forme ou une autre était pour lui une conquête sur les années de misère de sa jeunesse. Pour d’autres, ce sera la symbolique rémanente attachée à la viande rouge. Pour un Anglais normal, manger ce délice que sont pour nous les escargots ou les cuisses de grenouille est impensable: la dimension culturelle est à prendre en compte au moins autant que la dimension papillaire. Il est à parier que, de même que la découverte des impressionnistes nous a conduits à voir la nature autrement, la culture influence le plaisir que nous tirons de nos papilles. (20)

 

 

 

 

NOTES


(12) https://www.opinion-internationale.com/2013/05/17/17668_17668.html et https://lesceptique.ca/2015/12/01/viande-et-vegetaux/

(13) https://www.fne.asso.fr/dossiers/cest-quoi-le-problème-av...


(14) Pour une liste des produits et des marques concernés: https://lexplorateurnature.fr/liste-de-produits-contenant... . On y trouve même la marque Ushuaïa… Une information récente: https://www.nouvelobs.com/planete/20181113.OBS5330/le-bis...


(15) https://www.capital.fr/lifestyle/quand-les-produits-bio-n...

(16) A propos de ce concept, cf. la note 7 dans « L’Avarice ».

(17) En matière de consommation de poissons issus de la pêche, la saison est importante et j’en profite pour vous signaler, si vous voulez consommer du poisson en conscience, le petit livre d’une amie: Dominique Viel, Les poissons, consommons durable, éditions Amirys, 2011.

(18) https://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/mers...

(19) https://www.viande.info/aquaculture et https://www.lexpress.fr/actualite/societe/environnement/l-elevage-du-poisson-remis-en-question_855714.html

(20) Ceux qui décident de prendre en compte le pouvoir que leur donne leur alimentation sur l’écosystème peuvent jouer sur la nature, la quantité et la périodicité, la distance d’approvisionnement et le mode de production des composantes de leurs menus. Retenons aussi le dernier point de ce chapitre: la composante culturelle. On peut conserver les plaisirs de la table et même les enrichir en s’accoutumant à des saveurs différentes.