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22/05/2019

"Seven" et la transition écologique: l’Envie

 

 

Lorsque je flâne sur les quais des Sables, je suis toujours étonné du nombre de bateaux de plaisance. Si l’on a une petite idée du prix d’un voilier, même d’occasion et modeste, un hectare de port représente une fortune flottante. Mais, encore plus que de leur nombre, je suis étonné de leur immobilité. A vue d’oeil, à la meilleure période, ce n’est même pas une place sur dix qui se trouve libérée par les sorties en mer. D’ailleurs, autre signe: dans le chenal, les embouteillages sont rares. J’ai lu quelque part que la moyenne des jours de navigation de la flottille de plaisance serait inférieure à une semaine par an. Pourquoi conserver immobilisées de telles sommes, alors qu’il faut rajouter l’entretien, le coût de l’anneau et peut-être même des taxes ? Qu’est-ce qui justifie la possession d’un bien onéreux que l’on n’utilise pas ?

 

Pour l’économie classique, les hommes ont des besoins illimités mais ne disposent que de ressources rares. Tout le problème, selon elle, est donc d’augmenter la production. En cas d’insuffisance de revenu due à un défaut de ruissellement, le crédit fera le reste. Pour l’économiste et sociologue Thorstein Veblen (1857-1929), ce postulat est faux: les besoins humains ne sont pas infinis. Mais, alors qu’ils pourraient connaître la satiété, ils sont relancés par un phénomène social: le désir de consommer et d’apparaître selon les critères de la classe sociale au dessus de la nôtre. C’est ce qu’il appelle la consommation ostentatoire. L’homme qui voulait vivre sa vie, le roman de Douglas Kennedy, fournit de ce phénomène de belles illustrations. La représentation de la réussite, le plumage propre à chaque tribu, l’identité même des personnes se résument en un catalogue: les activités dignes d’être exercées, les lieux et les boutiques fréquentables, les marques de vêtements ou les modèles de voitures que l’on peut et doit arborer, les styles d’habitat - et, bien sûr, les écoles où envoyer sa progéniture.

 

La consommation ostentatoire est une manifestation de l’Envie. L’Envie conduit à la conviction que, si l’autre a une chose, je suis légitime à la vouloir également et à l’avoir. Lorsque l’envie, au surplus, vient hanter un être qui a connu des échecs ou souffre d’un sentiment d’infériorité, la satisfaction - à l’image de l’Avarice - en sera impossible. Il lui faudra toujours plus. La mode joue sur ce clavier en rendant visibles et arbitrairement honteux les produits qu’hier on était prêt à s’arracher - le vêtement, le smartphone, la machine à café, la voiture, etc.

 

Depuis Bernays (1891-1995), l’inventeur des relations publiques et de la manipulation de l’opinion, les entreprises savent exploiter le filon de l’Envie. Elles ont décliné le « Pourquoi pas moi! » en: « Pourquoi pas vous ? » C’est que, si les besoins humains se satisfaisaient trop vite et trop facilement, le business tournerait court. Ce ne sont pas les besoins fondamentaux qui font le chiffre et les marges, mais les désirs. Le premier exploit d’Edward Bernays a été de quasiment doubler le marché du tabac en convainquant les Américaines de fumer. A l’époque, le machisme ne se cache pas. Il y a des fumoirs, mais ils sont réservés aux hommes. Fumer donne mauvais genre à une femme. Or, le marché de la cigarette stagne. S’appuyant sur les travaux de son oncle qui se trouve être Sigmund Freud, Bernays fera oeuvre de féminisme. Il fera de la cigarette le symbole d’un combat pour l’égalité. Victimes de son savoir-faire, des générations de femmes depuis lors ont contracté et continuent de contracter des cancers d’origine tabagique.

 

Mais, il s’agit de plaies que l’espèce humaine s’inflige à elle-même. Dans cette série d’articles qui essaye de discerner quelques liens entre les sept péchés capitaux et les problèmes écologiques, ne nous sommes-nous pas éloignés de notre fil conducteur ? Pas tant que cela: nous avons juste fait un détour par les mécanismes de la consommation non essentielle. Tout ce que nous produisons ou fabriquons, tabac ou bateaux, vêtements ou voitures, capsules de café ou smartphones, a un coût écologique: consommation de surfaces et de ressources naturelles, pollutions engendrées par les processus de production, de fabrication, de transport, d’usage, etc.
Écologiquement, la surconsommation, c’est-à-dire la consommation qui ne se justifie pas par de vrais besoins mais par le narcissisme du consommateur - son « désir mimétique » (24) - contribue sans contrepartie vitale au gaspillage et à la pollution. La mode, cette forme d’obsolescence artificielle qui s’ajoute à la consommation ostentatoire, est une catastrophe par le nombre d’objets qu’elle fait abandonner alors même qu’ils ont encore devant eux une grande durée de vie et qu’ils représentent une part de la consommation des ressources terrestres, des surfaces de culture et des processus industriels.

 

Le coton, par exemple, est directement concerné par les modes vestimentaires. Il représente 40% de la production mondiale de textiles (21). Sa culture est très polluante. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, quoique elle ne couvre qu’environ 2,5% des surfaces cultivées mondiales, elle consomme 25% des insecticides et 10 % des herbicides. La culture du coton nécessite aussi énormément d’eau. Un t-shirt de 250 grammes requiert ainsi environ 2 500 litres d’eau d’irrigation. Une fois la fibre produite, il s’agit d’en faire du tissu, il faut lui donner des couleurs, des qualités tactiles, etc. « Chlore, ammoniaque, soude, acide sulfurique, métaux lourds, formaldéhyde, solvants organiques et aromatiques… sont des produits utilisés quotidiennement dans les usines de l’industrie textile conventionnelle » (22) (23). Le bilan écologique des fibres artificielles, comme on peut s’en douter, est différent mais pas meilleur.

 

L’économiste chilien Manfred Max-Neef s’est intéressé aux besoins fondamentaux des humains. Pour ne pas dépasser les limites de cet article, je me contenterai d’évoquer deux concepts que je trouve particulièrement puissants. D’une part, dit Max-Neef, nous avons quatre modes de réponse à nos besoins: le faire, l’avoir, l’inter-agir et l’être. On imagine qu’en fonction du mode que nous retenons, l’effet sur l’écosystème sera différent. Nous pouvons, par exemple, cultiver notre jardin, acheter nos aliments, les produire localement en réseau avec d’autres, adopter à l’égard de la nourriture une attitude de respect et de sobriété. L’autre concept est celui des transactions entre les besoins. Nous pouvons décider d’être moins exigeants sur certains afin de mieux en satisfaire d’autres. Un exemple parlant est la balance que nous faisons entre le besoin de liberté et celui de sécurité.


(à suivre)

PS: Vous pouvez, en commentaire, donner d'autres exemples de relation entre les péchés évoqués et les dégâts de nature écologique qu'ils engendrent. 

(21) http://www.natura-sciences.com/environnement/impacts-envi...

(22) Cf. article précité.

(23) Il y a des offres plus éthiques: https://www.le-tshirt-propre.fr

(24) Cf. Les travaux de l’anthropologue René Girard.

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