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15/05/2022

Faire sécession (V)

 

Cartographier notre Nouveau Monde

Remplir les cases du tableau ci-dessous, qui reprend la liste des besoins établie par Manfred Max-Neef avec les quatre modes de réponse, pourrait constituer la cartographie du nouveau monde - ou de l’oasis - à créer pour des volontaires de la sécession. 

 

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* La spiritualité a été ajoutée sur le tard par Manfred Max-Neef et peut se traduire par « donner un sens - une direction et une signification - à sa vie ». 

 

Les limites de la rationalité 

 

Je ne pense pas que l’on puisse se contenter de la rationalité et des connaissances actuellement disponibles pour remplir les cases de ce tableau. Je ne pense pas non plus qu’un individu ou une poignée d’individus, si intelligents et documentés soient-ils, puissent le faire de manière suffisamment audacieuse. A cela, je donnerais deux raisons. La première est qu’il s’agit de créer un autre monde et qui dit créer dit inventer, donc inviter l’imagination. Cela, d’autant plus que nous sommes encore immergés dans le monde actuel qui a grandement conditionné nos façons de penser. En second lieu, nous avons un grand besoin de reprendre notre vie en mains et ce ne serait pas le faire que ne pas être co-créateurs des innovations, de laisser à d’autres, quelque experts qu’ils puissent être, le privilège d’énoncer les réponses. Ce serait même, je le crois, le meilleur moyen d’étouffer notre énergie. 

 

Il existe des techniques éprouvées pour stimuler tant l’intelligence collective que la créativité. J’en ai moi-même utilisé pour des groupes allant de quelques personnes à près de trois cents. Mon expérience la plus impressionnante - mais le dispositif était particulier et disposait de moyens importants - a concerné les assises d’une entreprise coopérative qui a réuni plus de deux mille participants. Imaginez un chapiteau sous lequel avait été organisée comme une immense salle de café, avec deux-cents tables rondes autour desquelles des hommes et des femmes de toutes les régions de France se sont retrouvés pour une journée ! Outre la production qui en a résulté, ce fut d’abord un bonheur d’entendre le bourdonnement de cette ruche humaine, de ressentir l’atmosphère conviviale et jubilatoire qu’elle dégageait. Je me prends à rêver que l’on puisse un jour monter un pareil dispositif pour dessiner la société dont nous voulons et en planter les bases. 

(A suivre)

 

13/05/2022

Faire sécession (IV)

Le besoin créateur

 

Selon Manfred Max-Neef, le besoin n’est pas un phénomène purement négatif de privation mais doit surtout être envisagé comme le ressort d’une dynamique possible, d’une énergie pour se mettre en route, donc comme une potentialité. Le besoin est, dans son essence, créateur. On l’a vu dans le cas des réactions aux confinements et on le reverra dans l’exemple de la « cité aux mains vertes » que j’évoquerai dans un moment. En outre, la dynamique coopérative traverse le modèle de Max-Neef. C’est, au delà de la signification psychologique, le sens de la phrase du Dr Louis Fouché que j’ai citée dans une précédente chronique: « "Tu ne peux pas être marginal tout en restant dans le monde tel qu'il est si tu es seul ». 

 

Imaginer, inventer, matérialiser les réponses à un besoin est donc un levier pour faire ou refaire société. Mais c’est aussi nous remettre en lien avec notre environnement naturel, de sorte qu’il nous procure de manière durable ce qui nous est nécessaire.

 

 

Les dix besoins humains fondamentaux selon Manfred Max-Neef

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Ce dessin est particulièrement intéressant car il permet de méditer les liens entre les besoins. Quels rapports entretiennent-ils entre eux ? Sont-ils - et dans quelles circonstances ? - en relation de soutien réciproque ou de concurrence ? 

 

De la réponse destructrice à la réponse synergique

 

Selon Manfred Max-Neef, nous avons cinq types de réponse possible à nos besoins: destructrice, inadaptée, inhibitrice, univoque, synergique.

- destructrice quand elle détruit les moyens de répondre à un autre besoin. Par exemple, afin de loger une population, on bétonne un sol fertile occupé jusque là par des potagers;

- inadaptée quand elle apaise le symptôme d’une carence sans la prendre à la racine. Par exemple, l’usage de l’alcool ou de la drogue pour masquer son mal-être;

- inhibitrice, quand la satisfaction d’un besoin empêche la satisfaction d’un autre: le besoin de se divertir qui déborde excessivement sur le temps consacré à produire la nourriture, ou le besoin de protection qui obère la liberté;

- univoque quand elle satisfait un seul besoin: j’ai faim et j’achète de quoi manger;

- enfin, la réponse synergique permet de satisfaire à la fois plusieurs besoins. 

J’aimerais m’attarder un peu plus sur cette dernière, car j’en ai un exemple magnifique à vous présenter.

 

La cité aux mains vertes

 

Dans une cité de Valence, dans la Drôme, une soixantaine de nationalités échouées là se regardent en chiens de faïence. Le pied des immeubles est accaparé par les dealers, les prétendus espaces verts sont un terrain à rodéos pour les vélomoteurs. Chacun vit rencogné chez soi, méfiant de son voisinage, sans intérêt pour les espaces communs. Ce qui se traduit, entre autres comportements, par les réfrigérateurs hors d'usage que, du balcon de son appartement, on jette tout bonnement dans la cour. 

 

La réponse synergique va naître d’une demande à la mairie: celle d’autoriser les résidents à transformer en potagers ces « espaces verts » qui n’en sont pas. Cela permettrait à cette population plutôt pauvre ou très pauvre de mieux se nourrir. La mairie donne son accord. Un cercle vertueux inattendu s’amorce alors. Cette simple autorisation va transformer le quartier, la vie des gens qui y habitent et les gens eux-mêmes. D’abord, cette population est encore très proche de la terre et sait comment jardiner. Pour elle qui s’ennuie, c’est une aubaine devant laquelle elle ne rechigne pas longtemps. Un exemple en entraîne d’autres. 

 

Mais, à partir du moment où l’on jardine, il n’est pas question que des deux-roues pétaradants viennent abîmer les cultures. La conscience d’être responsable d’un « commun » se forme donc et entraîne les habitants à augmenter collectivement leur responsabilité de ces espaces. Dealers et vélomoteurs vont rapidement migrer sans que la police municipale doive camper sur place. Les résidents, sortis des appartements où ils se confinaient, se rencontrent au grand air, se découvrent et, en se rendant de mutuels petits services, tissent des liens. Quand on jardine, on peut toujours avoir besoin de quelque chose, un outil, un conseil, un coup de main. Tel jour, on sera absent: si quelqu’un voulait bien arroser mes plants... Bientôt, ils auront l’autorisation supplémentaire de construire chacun un cabanon sur leurs parcelles. Cela initiera une sorte de concours spontané à qui construira le plus joli. Le cabanon deviendra un lieu où l’on se rend visite. Tout cela, que j’ai vu de mes yeux il y a quelques années, est conté dans le livre de Béatrice Barras qui y fut un acteur de premier plan*.

 

Si l’on emprunte la grille de lecture de Manfred Max-Neef, on voit que d’autres besoins que le seul besoin alimentaire ont été concernés positivement par la création de ce jardin partagé. On voit également qu’une grande partie des réponses aux besoins des résidents ont migré du mode « avoir » vers les modes « faire », « interagir » et « être ». 

 

 

* Béatrice Barras, La Cité aux mains vertes, Editions REPAS.

11/05/2022

Faire sécession (III)

« Construire à côté »

 

Dans la pratique du Qi Gong, le geste et la respiration s’accompagnent d’une représentation mentale, celle d’un flux entrant d’énergies lumineuses, fraîches et pures qui évacuent les scories des énergies consommées et régénèrent le corps. 

 

Une fois que l’on a accompli un travail analogue avec notre cerveau et nos relations, quels sont les repères qui nous permettront de « construire à côté » avec pertinence et créativité ? La réponse n’est pas à chercher ailleurs que dans nos besoins. Tous les humains ont globalement les mêmes, ils doivent respirer, se nourrir, se loger, se soigner, s’amuser, etc. sinon ils dépérissent. Mais il existe une infinité de manières de les satisfaire. La priorité donnée à certains besoins au détriment d’autres et la façon dont on va leur trouver réponse sont ce qui différencie les civilisations les unes des autres. L’histoire de l’apparition et du développement des techniques montre aussi que certaines bifurcations de nos sociétés ont résulté de hasards qui ont réussi, mais qui, en même temps, ont fait oublier les autres voies possibles. C’est ce que montre Alain Gras dans son livre « Le choix du feu ». Au surplus, lorsqu'une technologie réussit, elle a tendance à s'autonomiser, c'est-à-dire à s'éloigner du service qu'elle rend à la société pour ne plus considérer que son propre intérêt. C'est ainsi qu'elle contribuera à mettre sous le boisseau voire à éradiquer tout ce qui pourrait lui faire concurrence. La recherche médicale actuelle souffre particulièrement de ce biais. Revenir à nos besoins et aux diverses manières de les satisfaire, connues ou à découvrir, est donc, selon moi, la clé du "construire à côté".

 

Deux outils

 

Dans mon parcours Cap au Large, nous présentons aux participants deux outils que je trouve particulièrement puissants: nos trois besoins psychologiques fondamentaux selon l’anthropologue américain Robert Ardrey (1908-1980) et le « Système des besoins humains » de l’économiste chilien Manfred Max-Neef (1932-2019). Voici, brièvement, les réflexions qu’ils permettent d’ouvrir. 

 

Selon Ardrey, nous avons un triple besoin: de stimulation, de sécurité, d’identité. Quand il y a un malaise dans notre vie, quand nous avons envie de tout envoyer au diable pour dire les choses simplement, il est bon d’examiner où nous en sommes sur ces trois axes. Qu’est-ce qui, habituellement, nous stimule et qui, aujourd’hui, nous fait défaut ? Où et comment régénérer cette stimulation dont nous avons besoin pour nous sentir heureux de vivre ? Qu’est-ce qui nous procurait le sentiment de sécurité que nous n’avons plus ? Qu’est-ce qui fait qu’aujourd’hui nous ne savons plus trop qui nous sommes, que notre environnement social ne nous renvoie pas ce sentiment d’exister en tant que personne singulière? Et une interrogation essentielle: les réponses que nous donnons à nos trois besoins sont-elles pertinentes ? C’est le début d’un chemin qui pourra être plus ou moins long, mais comme disait Théodore Monot: « Les questions font avancer, les réponses font camper ». Il convient d’explorer le terrain avant de choisir où planter notre tente. 

 

Manfred Max-Neef, quant à lui, a élaboré une liste de dix besoins fondamentaux, mais je ne la reprendrai pas maintenant. Ce que je trouve de particulièrement intéressant pour mon propos d’aujourd’hui, c’est de mettre en avant les quatre modes de satisfaction de nos besoins que l’économiste chilien a tiré de ses observations - l’avoir, le faire, l’interagir et l’être - ainsi que le concept de « transaction ». 

 

Compte tenu de l’expérience que nous avons vécue au cours de ces deux dernières années, ce dernier concept sera vite compris: la transaction consiste à renoncer à la satisfaction d’un besoin afin d’en satisfaire un autre. En l’occurrence, on ne peut pas ne pas penser au renoncement à exercer des libertés habituelles afin de se protéger d’une épidémie. C’est la concurrence à vrai dire classique dans l’histoire entre la liberté et la sécurité, entre les tenants de l’une et les tenants de l’autre. Dans une prochaine chronique, je reviendrai plus en détail sur le système de Manfred Max-Neef car, selon moi, c’est une cartographie pertinente pour poser concrètement la problématique de la sécession. 

 

Mais, déjà, jouer avec les quatre modalités de satisfaction de nos besoins permettra d’amorcer la réinvention à laquelle nous invite le « construire à côté ». Prenons l’exemple de la nourriture, qui est sans doute le plus évocateur. En mode « avoir », je me procure ma nourriture en l’achetant. En mode « faire », je la cultive dans mon jardin. En mode « interagir », je peux la produire dans le cadre d’un projet collectif, par exemple un potager cultivé à plusieurs, où l’on se partage les tâches et les productions. Enfin, s’agissant de « l’être », l’assouvissement de mon besoin alimentaire est en quelque sorte filtré par une sagesse qui limite ma gourmandise en volume, en apprenant par exemple à mieux apprécier les saveurs, à ne pas en faire la compensation de blessures psychiques, etc. Ainsi, la consommation étant moindre et pour peu que je sache conserver les aliments, à volume égal la satisfaction de mes besoins alimentaires sera assurée sur une plus longue durée. Bien évidemment, ces quatre modes peuvent se combiner en proportions variables selon les contraintes ou les opportunités. 

 

L’autonomie alimentaire

 

L’autonomie alimentaire locale est l’une des stratégies à développer afin de limiter les effets d’une pénurie qui affecterait la satisfaction de ce besoin vital. C'est un sujet qu’il convient selon moi de traiter en urgence car l’accès aux ressources, en se mondialisant, est devenu fragile et les tensions internationales que l’on cultive en ce moment ne font qu’aggraver le risque.

 

Souvenons-nous que la force d’une chaîne n’est que celle de son maillon le plus faible. On pense évidemment d’abord à ce qui peut affecter la production elle-même: phénomènes climatiques, épisodes épidémiques frappant les hommes ou les animaux. Je rappelle qu’au début du printemps des millions de canards ont été infectés par la grippe aviaire dans le Grand Ouest et singulièrement en Vendée. Ils ont dû être abattus. Des millions de canards abattus équivalent à des millions de repas supprimés. C’est un énorme manque dans la production alimentaire, que nous ne mesurons pas parce que nous baignons encore dans l’aisance.

 

Mais la logistique qui permet de distribuer où il les faut les matériaux intermédiaires à la production alimentaire, ou d’acheminer les produits finis vers leurs destinataires, peut rencontrer aussi des difficultés. Les systèmes complexes tels que l’est celui-ci peuvent connaître des « effets papillon »  redoutables. Un manque d’énergie dû à des causes physiques, sociales ou politiques peut affecter un point de la chaîne dont nous dépendons. L’ensemencement peut être retardé, l’engrais ou les pesticides être indisponibles au moment opportun, la récolte perturbée, la cuisson et la mise en conserve, en réfrigérateur ou en congélateur suspendues, les transports bloqués. Or, les plateformes de distribution n’ont guère que trois jours de stock devant elles et aucune de nos régions, même la plus agricole, n’est plus en mesure d’assurer du jour au lendemain la nourriture de sa propre population. La panique qui s’emparera des familles - car c’est, pour nos générations, un phénomène dont nous n’avons pas fait l’expérience - pourra encore aggraver la situation.

 

Chacun de nous est concerné par ce risque, mais est aussi porteur d’une parcelle de la solution. C’est pourquoi, sur mon initiative, François et Sabine Rouillay, des experts de l’autonomie alimentaire, viendront en Vendée prochainement pour une après-midi très participative autour de la question: « Comment un réseau départemental peut-il aider à traverser une crise alimentaire ? » 

 

Cependant « construire à côté » ne peut se réduire à la production de nourriture. Le caractère vital de l’alimentation ne doit pas nous faire oublier les autres besoins de notre fonctionnement physiologique et psychologique qu'il convient de satisfaire pour que notre vie non seulement soit entretenue mais vaille la peine d’être vécue.

 

(À suivre)