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11/05/2022

Faire sécession (III)

« Construire à côté »

 

Dans la pratique du Qi Gong, le geste et la respiration s’accompagnent d’une représentation mentale, celle d’un flux entrant d’énergies lumineuses, fraîches et pures qui évacuent les scories des énergies consommées et régénèrent le corps. 

 

Une fois que l’on a accompli un travail analogue avec notre cerveau et nos relations, quels sont les repères qui nous permettront de « construire à côté » avec pertinence et créativité ? La réponse n’est pas à chercher ailleurs que dans nos besoins. Tous les humains ont globalement les mêmes, ils doivent respirer, se nourrir, se loger, se soigner, s’amuser, etc. sinon ils dépérissent. Mais il existe une infinité de manières de les satisfaire. La priorité donnée à certains besoins au détriment d’autres et la façon dont on va leur trouver réponse sont ce qui différencie les civilisations les unes des autres. L’histoire de l’apparition et du développement des techniques montre aussi que certaines bifurcations de nos sociétés ont résulté de hasards qui ont réussi, mais qui, en même temps, ont fait oublier les autres voies possibles. C’est ce que montre Alain Gras dans son livre « Le choix du feu ». Au surplus, lorsqu'une technologie réussit, elle a tendance à s'autonomiser, c'est-à-dire à s'éloigner du service qu'elle rend à la société pour ne plus considérer que son propre intérêt. C'est ainsi qu'elle contribuera à mettre sous le boisseau voire à éradiquer tout ce qui pourrait lui faire concurrence. La recherche médicale actuelle souffre particulièrement de ce biais. Revenir à nos besoins et aux diverses manières de les satisfaire, connues ou à découvrir, est donc, selon moi, la clé du "construire à côté".

 

Deux outils

 

Dans mon parcours Cap au Large, nous présentons aux participants deux outils que je trouve particulièrement puissants: nos trois besoins psychologiques fondamentaux selon l’anthropologue américain Robert Ardrey (1908-1980) et le « Système des besoins humains » de l’économiste chilien Manfred Max-Neef (1932-2019). Voici, brièvement, les réflexions qu’ils permettent d’ouvrir. 

 

Selon Ardrey, nous avons un triple besoin: de stimulation, de sécurité, d’identité. Quand il y a un malaise dans notre vie, quand nous avons envie de tout envoyer au diable pour dire les choses simplement, il est bon d’examiner où nous en sommes sur ces trois axes. Qu’est-ce qui, habituellement, nous stimule et qui, aujourd’hui, nous fait défaut ? Où et comment régénérer cette stimulation dont nous avons besoin pour nous sentir heureux de vivre ? Qu’est-ce qui nous procurait le sentiment de sécurité que nous n’avons plus ? Qu’est-ce qui fait qu’aujourd’hui nous ne savons plus trop qui nous sommes, que notre environnement social ne nous renvoie pas ce sentiment d’exister en tant que personne singulière? Et une interrogation essentielle: les réponses que nous donnons à nos trois besoins sont-elles pertinentes ? C’est le début d’un chemin qui pourra être plus ou moins long, mais comme disait Théodore Monot: « Les questions font avancer, les réponses font camper ». Il convient d’explorer le terrain avant de choisir où planter notre tente. 

 

Manfred Max-Neef, quant à lui, a élaboré une liste de dix besoins fondamentaux, mais je ne la reprendrai pas maintenant. Ce que je trouve de particulièrement intéressant pour mon propos d’aujourd’hui, c’est de mettre en avant les quatre modes de satisfaction de nos besoins que l’économiste chilien a tiré de ses observations - l’avoir, le faire, l’interagir et l’être - ainsi que le concept de « transaction ». 

 

Compte tenu de l’expérience que nous avons vécue au cours de ces deux dernières années, ce dernier concept sera vite compris: la transaction consiste à renoncer à la satisfaction d’un besoin afin d’en satisfaire un autre. En l’occurrence, on ne peut pas ne pas penser au renoncement à exercer des libertés habituelles afin de se protéger d’une épidémie. C’est la concurrence à vrai dire classique dans l’histoire entre la liberté et la sécurité, entre les tenants de l’une et les tenants de l’autre. Dans une prochaine chronique, je reviendrai plus en détail sur le système de Manfred Max-Neef car, selon moi, c’est une cartographie pertinente pour poser concrètement la problématique de la sécession. 

 

Mais, déjà, jouer avec les quatre modalités de satisfaction de nos besoins permettra d’amorcer la réinvention à laquelle nous invite le « construire à côté ». Prenons l’exemple de la nourriture, qui est sans doute le plus évocateur. En mode « avoir », je me procure ma nourriture en l’achetant. En mode « faire », je la cultive dans mon jardin. En mode « interagir », je peux la produire dans le cadre d’un projet collectif, par exemple un potager cultivé à plusieurs, où l’on se partage les tâches et les productions. Enfin, s’agissant de « l’être », l’assouvissement de mon besoin alimentaire est en quelque sorte filtré par une sagesse qui limite ma gourmandise en volume, en apprenant par exemple à mieux apprécier les saveurs, à ne pas en faire la compensation de blessures psychiques, etc. Ainsi, la consommation étant moindre et pour peu que je sache conserver les aliments, à volume égal la satisfaction de mes besoins alimentaires sera assurée sur une plus longue durée. Bien évidemment, ces quatre modes peuvent se combiner en proportions variables selon les contraintes ou les opportunités. 

 

L’autonomie alimentaire

 

L’autonomie alimentaire locale est l’une des stratégies à développer afin de limiter les effets d’une pénurie qui affecterait la satisfaction de ce besoin vital. C'est un sujet qu’il convient selon moi de traiter en urgence car l’accès aux ressources, en se mondialisant, est devenu fragile et les tensions internationales que l’on cultive en ce moment ne font qu’aggraver le risque.

 

Souvenons-nous que la force d’une chaîne n’est que celle de son maillon le plus faible. On pense évidemment d’abord à ce qui peut affecter la production elle-même: phénomènes climatiques, épisodes épidémiques frappant les hommes ou les animaux. Je rappelle qu’au début du printemps des millions de canards ont été infectés par la grippe aviaire dans le Grand Ouest et singulièrement en Vendée. Ils ont dû être abattus. Des millions de canards abattus équivalent à des millions de repas supprimés. C’est un énorme manque dans la production alimentaire, que nous ne mesurons pas parce que nous baignons encore dans l’aisance.

 

Mais la logistique qui permet de distribuer où il les faut les matériaux intermédiaires à la production alimentaire, ou d’acheminer les produits finis vers leurs destinataires, peut rencontrer aussi des difficultés. Les systèmes complexes tels que l’est celui-ci peuvent connaître des « effets papillon »  redoutables. Un manque d’énergie dû à des causes physiques, sociales ou politiques peut affecter un point de la chaîne dont nous dépendons. L’ensemencement peut être retardé, l’engrais ou les pesticides être indisponibles au moment opportun, la récolte perturbée, la cuisson et la mise en conserve, en réfrigérateur ou en congélateur suspendues, les transports bloqués. Or, les plateformes de distribution n’ont guère que trois jours de stock devant elles et aucune de nos régions, même la plus agricole, n’est plus en mesure d’assurer du jour au lendemain la nourriture de sa propre population. La panique qui s’emparera des familles - car c’est, pour nos générations, un phénomène dont nous n’avons pas fait l’expérience - pourra encore aggraver la situation.

 

Chacun de nous est concerné par ce risque, mais est aussi porteur d’une parcelle de la solution. C’est pourquoi, sur mon initiative, François et Sabine Rouillay, des experts de l’autonomie alimentaire, viendront en Vendée prochainement pour une après-midi très participative autour de la question: « Comment un réseau départemental peut-il aider à traverser une crise alimentaire ? » 

 

Cependant « construire à côté » ne peut se réduire à la production de nourriture. Le caractère vital de l’alimentation ne doit pas nous faire oublier les autres besoins de notre fonctionnement physiologique et psychologique qu'il convient de satisfaire pour que notre vie non seulement soit entretenue mais vaille la peine d’être vécue.

 

(À suivre) 

 

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