01/02/2009
La politique du figuier
Le philosophe Alain avait relevé dans l’Evangile un passage apparemment incohérent. Jésus a faim. Il va pour cueillir des figues, mais l’arbre n’en porte pas. Or, est-il alors précisé dans l’une des versions du récit, « ce n’était pas la saison des figues ». Le Juste, malgré cette raison des plus légitimes, flétrit l’innocent prunier.
Alain y voyait la condamnation de cet abri que procurent à l’irresponsabilité, à l’injustice et à la veulerie les lois, les règlements, les jugements et autres procédures. « Ah ! vous crevez de faim ? Désolé, je ne suis pas payé pour cela, ce n'est pas la saison, allez voir ailleurs ou repassez plus tard ! » Lors de l’hiver 53, où s’est levé celui qu’on appellerait l’Abbé Pierre, des êtres humains mouraient de froid faute de logements, mais s’il y avait eu quelqu’un à condamner c’eût été justement celui qui avait l’indécence d’agoniser sur le pavé. Ces temps-là, d’ailleurs, sont peut-être en train de revenir.
Je pensais à cela après avoir lu la menace d’anéantissement qui pèse sur la ferme de Sainte-Marthe, à Millançay en Sologne, pionnière dans le domaine du bio depuis une trentaine d’années, et aujourd’hui saisie et mise en vente par un géant de l’agro-industrie. Bien sûr, ce n’est pas parce qu’on fait du bio qu’on échappe aux obligations communes et qu’on ne doit pas payer ses dettes ou remplir ses engagements. Mais c’est justement là qu’on retrouve peut-être, au casting de cette sinistre affaire, cet innocent figuier qui ne donne pas de fruit en dehors de la saison et qui bénéficie d'un non-lieu permanent.
Si j’ai bien compris l’affaire, la Ferme de Sainte-Marthe avait initialement passé des accords, dans le cadre d’un programme européen, avec un partenaire qui, au terme d'une succession d’absorptions dignes de l’ultra-capitalisme américain, a finalement laissé la ferme sans interlocuteur, empêchant l’accomplissement du programme. Du coup, les subventions versées doivent être remboursée et, pour ce faire, le dernier avatar du partenaire initial, qui s'appelle aujourd'hui Ligea-Agralys, fait porter le chapeau à la ferme Sainte-Marthe et en ordonne la mise en vente. Les tribunaux lui emboitent le pas. Rassurez-vous, tout est légal. Les magistrats ont régulièrement étudié le dossier et statué en fonction des contrats et du droit et ne voyez dans ce commentaire aucune ironie.
Mais, bref, les figuiers ont donné ce qu’ils pouvaient donner en fonction de la saison.
Ce ne sont pas les figuiers - les règlements et les contrôles, les uns et les autres pourtant drastiques - qui nous ont épargné la gigantesque évaporation monétaire de ces derniers mois. C’est, pour la plupart, en toute légalité que quelques personnages déjà bourrés de fric jusqu’à la gueule, ont rempli leurs chaloupes avant de quitter le navire, tandis que, du fait de leurs manœuvres, l’économie réelle est au bord de l’effondrement et que la pauvreté s’étend dans les pays qu’on dit encore développés (jetez un coup d’œil au sommaire de Courrier International si vous en doutez).
Pour l’heure, le propriétaire de la Ferme Sainte-Marthe, Philippe Desbrosses - docteur en environnement, co-créateur du logo AB, expert auprès du Ministère de l’Agriculture, de la CEE et du Parlement européen – invite ses amis à un piquenique de soutien le 2 février à midi, à la ferme. Le chant du cygne - d'un cygne assassiné ? Espérons que non.
Mais vous êtes libres d’être un figuier. La loi ne s’y oppose pas.
http://www.fermedesaintemarthe.com/
PS : la France manque de culture bio. Pour faire face à la demande, nous sommes contraints d’importer, ce qui contribue à la production de CO2…
10:53 | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : économie, finance, bio, règlementations