04/12/2009
Lézards
Vous vous souvenez de la série télévisée « V » ? Notre planète est envahie par des extra-terrestres qui ont l'apparence humaine et qui se prétendent amicaux. Or, ces êtres vert-de-gris, malgré les apparences, n'ont rien d'humain, mais autour d'eux on assiste à des phénomènes bien connus : l'admiration et la collaboration d'une partie de la population, l'aveuglement des naïfs, la soumission des peureux, et quand même l'organisation d'une résistance. Ce qui va trahir la véritable nature des envahisseurs, c'est ce dont ils se nourrissent. J'ai encore une image dans la tête, celle d'une superbe femme brune qui se révèle être un reptile quand elle retire son masque pour avaler un rat vivant. Il m'arrive de revivre cet épisode quand je suis confronté à des réactions qui révèlent inopinément les pulsions archaïques d'un interlocuteur à l'apparence civilisée.
C'est ce que vient de vivre Dina Scherrer, ce matin, en banlieue parisienne. Issue d'une famille modeste, Dina a été orientée à son entrée en sixième en « classe de transition » : l'administration avait jugé qu'elle souffrait d'une insuffisance de neurones. Au bout de quelques années, la gamine a fini par sortir du système scolaire avec un CAP de sténodactylo et beaucoup de doutes sur elle-même. Heureusement, la vie professionnelle lui a permis de se découvrir. Elle a trouvé en elle des leviers et des ressources que dissimulait la piètre opinion qu'elle avait appris à avoir d'elle-même. Cela lui a permis, dans les vingt années qui suivirent, d'accéder à divers postes de direction dans des entreprises de premier plan. Puis elle s'est offert le luxe de décrocher un diplôme d'études supérieures universitaires et de réorienter sa vie vers le développement de l'humain. Et, principalement, elle intervient auprès de jeunes qui sont dans la situation qu'elle a elle-même connue pour leur redonner foi en eux-mêmes en s'appuyant sur les recherches de Michael White et sur le postulat de Boris Cyrulnik pour qui « ce que nous nous racontons à propos de ce qui nous arrive est plus déterminant que ce qui nous arrive ».
Dans le cadre de cette activité, elle s'est présentée ce matin à la porte d'un lycée de la banlieue parisienne. Voici son récit :
Je n'en croyais pas mes yeux ni mes oreilles. J'avais devant moi un barrage humain qui m'empêchait de faire mon travail. J'avais l'impression d'être au Chili sous Pinochet. Les professeurs - je n'aimerais pas avoir ces intolérants comme enseignants- n'ont dit que j'appartenais à une secte et que je devais rentrer chez moi au lieu d'exercer mon métier. Alors que je suis tout simplement coach. La veille j'étais venu ici devant des élèves contents de me voir, de s'exprimer, de participer à quelque chose de différent pour eux, tous ouverts à ce que je proposais. Et aujourd'hui, ils étaient tous là à m'attendre.
J'ai l'impression que comme j'ai éveillé l'intérêt de ces jeunes gens, je suis devenue un danger pour la communauté des professeurs. Ma fonction de coach a déstabilisé ces fonctionnaires de l'Education nationale. Ils ont réagi en obscurantistes. On eût dit que j'étais Galilée disant que la terre est ronde à des gens qui croient qu'au bout de l'horizon, les gens tombent. Ils m'ont craint comme ceux qui ont jeté des pierres à Freud, il y a un siècle. Sur la face de ces enseignants, il y avait la burqa d'une confrérie qui a l'impression d'être dépossédée de son gagne-pain. Et puis je ne suis qu'une femme...
J'ai tenu à dire au revoir aux jeunes et à les informer de ce qui s'était passé. Un vote d'enseignants m'empêchait de travailler avec eux (8 pour ma présence contre 9 hostiles). Il suffit d'une voix pour nous couper la tête.
Tout ça a eu lieu en France, le 4 décembre 2009.
On me présente souvent les jeunes que j'accompagne en banlieue comme violents. La violence ce matin ce sont des professeurs qui me l'on fait subir. Si les élèves subissent tous les jours l'humiliation que les professeurs m'ont infligée, je comprends qu'ils m'aient accueillie si chaleureusement. Les élèves ont été courtois et très sérieux, eux.
Cette scène est digne des Sorcières Salem. Je suis sidéré qu'on puisse se laisser emporter ainsi par la paranoïa, porter des accusations aussi graves sur quelqu'un et l'empêcher de travailler. Dina Scherrer m'a dit en outre que ces enseignants étaient invités à assister au séminaire et qu'ils n'avaient pas daigné se montrer. On croirait des ayatollahs qui ont peur de se souiller au contact des roumis. Sans aucun doute, la meilleure façon de continuer à vivre avec ses mensonges c'est de ne pas s'exposer à la vérité.
Je suis triste pour ces jeunes gens qui avaient commencé à faire quelque chose pour eux-mêmes et à qui on n'a même pas demandé leur avis - une autre façon de leur faire comprendre qu'ils ne sont que des nuls. Voudrait-on fabriquer des désespérés et des révoltés qu'on ne s'y prendrait pas autrement. L'Education nationale ? Il y a comme un lézard.
16:13 | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : éducation nationale, banlieues, enseignants, échecs scolaires
Commentaires
Bravo Thierry pour ce magnifique billet, je rajoute ma colère et ma stupeur aux tiennes. Dina a fait un travail magnifique pendant toute l'année dernière avec 3 classes de 3ème Segpa (les anciennes classes de "transition") de jeunes de banlieue parisienne, que l'on considérait comme "irrécupérables". J'ai eu le bonheur et le privilège d'être associé à ces travaux et j'ai rencontré des enseignants curieux, intéressés et respectueux d'une approche que ne connaissant pas, ils venaient découvrir de bonne foi. Dina est en train de tirer un livre de cette expérience, qui a été menée avec le soutien des Académies concernées qui l'ont chaleureusement félicitée.
Ce qui s'est passé aujourd'hui est extrêmement grave et ta métaphore des lézards extra-terrestres est tout à fait appropriée. Je vois plutôt pour ma part une tribu tremblante enfermée dans sa vision du monde, luttant pour des privilèges d'un autre âge, prompts à localiser le problème chez l'autre afin d'éviter toute remise en question. Me dire que c'est cela que sont devenus les hussards de la république, (enfin certains d'entre eux, gardons nous de totaliser à notre tour) ;me dire en tant que père que c'est à eux qu'échoit la mission d'éveiller la curiosité, l'esprit critique et la faculté de penser par eux-mêmes de nos enfants, façonnant ainsi culturellement les générations futures, rajoute beaucoup d'inquiétude et de perplexité à mon indignation.
Je souhaite juste qu'une praticienne narrative talentueuse, l'une des plus prometteuses que nous ayons en France, ne soit pas abimée ou replongée dans des histoires dominantes qu'elle a su combattre et apprivoiser, par ces étranges lézards venus de l'espace.
Écrit par : Pierre Blanc-Sahnoun | 04/12/2009
Cela m'étonnerait, la connaissant un peu, que son ressort soit atteint. Elle en a vu d'autres. Heureusement, car des artisans de paix comme elle, on en a grand besoin. Un seul mot: Résistance. Dans tous les sens du terme.
Écrit par : Thierry | 04/12/2009
Merci Pierre et Thierry de porter avec moi cette colère. Elle est bien moins lourde à présent. Et c'est tant mieux car lundi et mardi prochains je recommence dans un autre lycée à Paris. Et cette fois une personne du rectorat (qui a porté et acheté ce projet) va passer la journée avec nous.
J'espère que ma copine "y'a aucune raison que ca se passe mal" ne me fera pas faux bond. Amitiés.
Écrit par : dina | 05/12/2009
Si de temps en temps tu ne faisais pas de vagues, c'est que tu n'apporterais dans ce monde rien de vraiment nécessaire. Quoi de positif ? L'adversaire a montré un de ses visages. Celui de l'ignorance qui se nourrit de préjugés. Celui de la médiocrité à la recherche d'une "cause" qui lui donnera l'illusion de la grandeur. Alors, réjouis-toi d'être du bon côté du combat!
Écrit par : Thierry | 05/12/2009
La misère et violence humaines dans toute sa "splendeur"
Les transmetteurs de savoir donc de lumière prennent la face de l'obscurité la plus épaisse !
Bandes de brutes
Uns fois de plus, on peut comprendre à la lumière de cet événement comment l'immonde Hitler a pu s'installer sans trop d'obstacles au pouvoir !
OUI un seul mot RESISTANCE.
Prévenir la presse de cet événement me semble une possibilité à ne pas manquer (le canard enchainé qui l'est moins que les autres..ou media part sur le net...le monde de l'éducation, écrire au ministère, aux syndicats de ces chers professeurs..tout ce qui est faisable)
Et ne pas hésiter à nommer le lieu, l'établissement.
Non pas pour punir mais pour tendre le miroir !
Ce n'est qu'en exposant la vermine au soleil qu'elle se dessèche pour faire peau neuve !
Écrit par : martine gentis | 06/12/2009
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