10/01/2010
Variations niortaises
Ayant hier une heure et demie à battre la semelle à la gare de Niort en attendant le train pour Paris, j'ai butiné dans les rayons du Relais local où j'ai finalement jeté mon dévolu sur le dernier numéro de Classica qu'accompagnait un coffret de trois cd de Jean-Sébastien Bach (les Variations Goldberg, la Passion selon saint Matthieu et trois des Concertos brandebourgeois).
D'abord, je voudrais dire qu'il y a quelque chose de réconfortant à voir que l'humanité a d'autres préoccupations que la création de flux financiers spéculatifs. Même si l'art n'est pas étranger au domaine marchand, l'expérience de l'art comme celle de l'amour nous révèle un autre ordre de la vie. Certes, le Cantor semble avoir été près de ses sous et les artistes, les organisateurs de concerts et d'expositions ne sont pas de purs esprits et ils n'ont pas envie de boire le bouillon. La célébration de l'art peut même être le prétexte au déchaînement de quelques sombres passions, de conflits d'égos redoutables. Mais enfin, donner et goûter une sublime interprétation de l'Aria, c'est autre chose que produire et consommer de la junk food, des vaccins inutiles et douteux, des émissions débiles ou des discours politiques de Polichinelle. Vous me direz qu'on ne saurait vivre seulement de musique, de peinture ou de danse, et vous aurez raison. Cela dit, la contemplation artistique est peut-être le plus écologique de nos loisirs et celui aussi qui nous invite le mieux à nous mettre en relation avec nous-mêmes.
Il y a plus. Notre société a vécu et vit peut-être encore sur cette idée - ce paradigme - que l'Histoire, malgré les détours, les essais et les erreurs qu'on lui connaît, est sur la trajectoire du mieux en mieux. C'est ce qu'on a appelé le progrès - un mot et une croyance qui se font rares dans les discours actuels, vous l'aurez noté. Or, le progrès est une notion étrangère à l'art. Mozart est-il au dessus de Bach ? La peinture de Monet marque-t-elle une avancée par rapport à celle de Lascaux ? L'éditorialiste de Classica rappelle ce qu'écrivait Kundera dans Les Testaments trahis : que l'Histoire ne va pas toujours vers « le plus riche, le plus complexe, le plus subtil, le plus cultivé ». « Le nouveau (l'unique, l'inimitable, le jamais-dit) ne prend pas forcément le même chemin que l'idéologie du progrès ».
Il est vrai que ce que nous avons fait de notre vie au cours de ces dernières années ressemble singulièrement à un tableau d'Andy Warhol. L'industrialisation du monde a refoulé et réduit la diversité sous toutes ses formes. Dans nos campagnes, on ne la trouve plus guère que dans les herbes folles réfugiées ici et là au bord des fossés, dans les pierres, là où nos engins abandonnent le terrain. Il faut lire Gilles Clément : les écosystèmes comptent de moins en moins de vivants, les interactions y sont de plus en plus pauvres, la complexité de moins en moins élevée. Et il en est de même pour les langues, les cultures, les façons de s'habiller, de se nourrir, de s'amuser. A l'inverse, les normes ont proliféré qui réduisent les potentialités à la vision des « normeurs ». Or, regardez bien à qui elles profitent, ces normes, regardez ce qu'in fine elles engendrent: le gigantisme et l'uniformité.
Pas étonnant que l'âme contemporaine soit malade d'asphyxie. L'art nous fait prendre conscience qu'il y a une autre forme de richesse que l'accumulation sidérale de choses semblables. Cette autre forme de richesse c'est la production de diversité. Peut-être s'agit-il alors moins de nier la notion de progrès que de lui dessiner un autre axe...
11:52 | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : biodiversité, art, langues, cultures, progrès, mondialisation
Commentaires
Peut-être aussi faut-il que face à des comparaisons d'images allant de l'infiniment petit à l'infiniment grand, de notre intérieur à notre environnement, nous reprenions contact avec ce que nous sommes réellement, des êtres conscients qui sont partie intégrante d'une nature extraordinaire. Chaque molécule de nos petites personnes appellent la biodiversité naturelle... Et le changement passe par cette prise de conscience, sinon, nous ferons encore des catastrophes. L'homme devenant respectueux de la nature se respectera lui-même, c'est-à-dire entre hommes... Et c'est la base du lien social et de la paix.
Écrit par : Solange Saint-Arroman | 10/01/2010
Bonjour Thierry, bonjour Solange, votre échange rejoint une conversation de ce week-end avec les enfants sur la différence entre l'homme et les annimaux... finalement, nous avons conclu sur le rapport à l'environnement. Pour survivre les annimaux s'adaptent à leur environnement naturel, si celui-ci change, ils s'adaptent à nouveau suivant des stratégies diverses. L'homme au contraire, cherche à tout moment d'adapter son environnement pour améliorer sa survie. Il construit, applanit, monte, démonte, détruit... son evironnement est sa chose, il cherche à le maîtriser. Du coup en le changeant il le détruit, les annimaux eux vivent en harmonie, même si parfois des espèces se retrouvent décimées par une sècheresse ou un hiver trop froid, la vie reste là et renait de plus belle à la première occasion ! Ne devrions nous pas aussi faire confiance à la vie ? Si nous en sommes là c'est parce que nous avons peur de la mort en tant qu'individus. C'est la conscience de notre finitude et le fait que nous ne l'acceptions pas qui provoque tous ces désastres.
Écrit par : Anette | 11/01/2010
Eh oui la peur de la mort, Anette. Mais l'Homme dispose de la conscience et de l'intelligence ..hum..de quelle intelligence s'agit-il ? Coupé de sa mère nourricière Dame Nature, et se prenant pour Dieu dans un 4X4...aïe aïe aïe !
merci de votre commentaire.
Écrit par : Gentis | 13/01/2010
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