31/01/2010
Faut-il se voiler la face ?
Encore un coup, je ne vais peut-être pas me faire que des amis - et surtout des amies - mais en me cramponnant à la devise de Jules Lagneau selon qui il faut savoir "penser difficilement les choses faciles", je vous invite à réfléchir différemment sur le problème du voile islamique.
Selon les ex-RG, il y a quelques mois, le port de la burqa concernait en France moins de 1000 femmes. Or, ce sujet aura mobilisé ces derniers temps plus de députés, de sénateurs et, globalement, de professionnels du spectacle politique que n'a pu le faire le sort des 600 000 chômeurs qui, pour la première fois dans l'histoire de la France moderne, vont se retrouver sans le moindre euro de revenu. Il a mobilisé plus d'attention et d'énergie que les bonus les plus élevés que se soient attribués les nouveaux seigneurs qui ont fait main basse sur l'économie du monde, et cela avant même que celle-ci se soit remise à créer de l'emploi et des richesses réelles. Alors, la disproportion est telle que, pardonnez-moi, je trouve ce zèle "anti-voile" légèrement suspect.
Dans Douze hommes en colère, l'extraordinaire film de Sidney Lumet, un jury se réunit et, dès la première minute, la sentence s'impose: l'accusé est un jeune des bas-quartiers, issu au surplus d'une communauté qui alimente en délits et en violences les statistiques de la police, et l'arme du crime lui appartenait. Il ne peut être que coupable, la cause est simple et entendue. Seulement, il s'agit du meurtre de son père - qui le battait régulièrement - et il s'agit de rien moins que sa tête. Au tour de table préliminaire, destiné à constater une éventuelle unanimité qui abrègerait la séance, Davis, un architecte qu"incarne Henry Fonda, ne vote pas la culpabilité. Il est seul face aux onze autres. Gros émois. "Mais alors, vous le croyez innocent!" s'exclament ceux-ci, scandalisés. Et Davis de donner cette superbe réponse, qui fonde toute la posture démocratique: "Je ne sais pas s'il est innocent ou coupable, je veux juste qu'on en parle". Le débat doit avoir lieu et ceux qui pensaient plus important de retourner à leurs affaires personnelles, à leur match de basket ou à leur soirée au coin du feu, sont furieux. Les voilà en demeure de penser!
Je ne suis pas pour le voile islamique. Je ne vois ni ma fille ni ma chérie porter la burqa. Pour reprendre le texte de Fonda, "je veux juste qu'on en parle". Et en évitant, si possible, de tomber dans les stéréotypes qui font que notre pensée devient aussi mécanique qu'un tunnel à transformer les cochons en saucisses de Strasbourg. Et je voudrais partager rapidement trois remarques et une réflexion dont vous ferez ce que vous voudrez. La première remarque, c'est que, lorsqu'on ne peut pas ou ne veut pas s'empoigner avec les vrais problèmes, on en monte un mineur en épingle. Cela fait diversion. C'est l'encre de la seiche, la muleta du torero, le mouchoir du prestidigitateur, bref l'arbre planté devant la forêt. La deuxième, c'est qu'il y a en ce moment une diabolisation de l'Islam qui se nourrit d'un amalgame. Pour faire vite, on dira qu'on y trouve le 11 septembre, la délinquance en banlieue et le malaise identitaire des Français qui ne sont plus ce qu'ils avaient l'habitude d'être, qui se sentent partir à vau-l'eau et ont besoin de cristalliser leurs peurs, leurs humiliations et peut-être plus sur "l'étranger". Ma dernière remarque (pour aujourd'hui), c'est qu'une manière des médiocres de se sentir de nouveau puissants est de s'instituer en donneurs de leçons et de se donner une cause qui permet de cracher leur venin en toute impunité. Je ne dis pas que les inquiétudes qui s'expriment relèvent toutes des trois caricatures que je viens de brosser. Je dis qu'il faut se méfier de ces phénomènes sournois qui, trop souvent au cours de l'Histoire, ont déjà transformé l'homo sapiens en homo demens comme dirait Edgar Morin. - A minima, de mauvais mobiles ont trop souvent desservi les meilleures causes et les meilleures causes peuvent attiser de sales passions.
Je vous avais aussi annoncé une réflexion, c'est-à-dire une approche plus approfondie. La voici. Il s'agit d'un article écrit par Tülay Umay, une sociologue anatolienne établie en Belgique, et je vous le laisse à méditer: http://www.voltairenet.org/article162762.html#article162762
11:33 | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : burqa, politique, identité nationale
Commentaires
En écho Thierry. J'ai lu récemment le cas d'une femme qui a quitté la burqa... elle serait menacée de mort par sa famille, ses proches.
Pour des politiciens (et autres philosophes, sociologues....) légiférer permettrait à certaines femmes de "s'émanciper", de ne plus subir... dese libérer... de quoi finalement ? d'un vêtement mais pas d'une tradition....
Imaginons qu'une loi interdise le port de la burqa en certains endroits dits "publics", que la famille, par tradition s'y oppose... que vont devenir ces femmes... des recluses ? et on appellera ça un "effet pervers"... et vogue la galère.....
Comme on dit chez nous "on n'est pas sorti de l'auberge"....
Écrit par : Françoise | 31/01/2010
Oui, il faut se méfier des effets pervers, c'est bien là le problème. Plus on stigmatisera le voile, plus on aura de femmes voilées. Si on l'interdit, les malheureuses n'auront comme recours que de rester chez elles. Mais, dans tous les pays, l'élévation du niveau de vie amène une diminution du nombre des naissances. Pourquoi la coutume du voile ne serait-elle pas influencée de même ? Il faut rajouter à cela que le voile n'est pas plus une ordonnance de l'Islam que le puritanisme de certaines sectes chrétiennes une injonction évangélique. L'amalgame ici serait humiliant pour nos amis musulmans qui ne demandent pas à leurs épouses ou à leurs filles de se voiler et qui sont infiniment plus nombreux. Ne faisons pas du voile un enjeu identitaire nourri par une humiliation qui lui permettrait de se trouver des alliés chez les modérés eux-mêmes.
Écrit par : Thierry | 31/01/2010
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