27/06/2011
Chagrins d’école*
Au moment d’entrer en retraite (jeudi prochain), mon regard se tourne vers le passé et, enjambant près de soixante années, me présente d’emblée le souvenir de ce jour de septembre 1953 qui fut ma première rentrée scolaire. Je me revois, accompagné de ma mère, par une fraîche et lumineuse matinée, marcher avec une grande curiosité vers « l’école ». Avant même le soir, j’avais déchanté. Mais c’était trop tard, je venais d’entrer dans le système et d’en prendre pour plus de dix ans. L’école de la République, à l’époque, ne le cédait en rien à certains pensionnats religieux pourtant célébrés pour leur sévérité. Car on célébrait alors la sévérité. Les adultes et les enfants, dans ce monde de l’après-guerre, formaient deux castes aussi séparées que celles, en Inde, des intouchables et des brahmanes. A peu qu’on nous considérât, nous autres, les mioches, comme une espèce vaguement nuisible. Notre gaité semblait une provocation aux yeux des adultes. Ils paraissaient agacés que nous pussions oublier qu’ils portaient le monde sur leurs épaules. Le choc de l’école fut sans doute d’autant plus rude pour moi que je venais d’une famille qui accordait de l’importance à la tendresse et au respect, quelqu'âge que l’on eût. Heureusement, j’étais doué alors d’une vive intelligence, d’une mémoire puissante et d’une curiosité insatiable, et je survécus. Mais, malgré mes tableaux d’honneur et mes prix d’excellence successifs, ce fut sans plaisir et sans confort. J’en ai gardé les pulsions rebelles de celui qui a été emprisonné injustement. Après tout, c’est peut-être bien ainsi. J’y ai puisé non la pensée reproductrice mais celle qui doute par principe et qui doute d’autant plus que les certitudes sont proposées par l’autorité.
Ma relation à l’école est restée ambiguë. Ce qui la sauve d’un jugement téméraire, ce sont quelques enseignants que j’ai connus pendant ma scolarité, et quelques amis que j’ai ou que j’ai eus dans ce milieu et qui, d’évidence pour moi, sont d’honnêtes gens. Mais, globalement, prononcez devant moi le mot « école » et je me dresse sur les pattes de derrière. Le « malaise de l’école », dont on ne cesse de nous rebattre les oreilles et qui est le prétexte ministériel à une succession de réformes ratées, n’est pas qu’à l’intérieur de l’institution, il est aussi dans le souvenir de personnes comme moi. Mon ami Armen Tarpinian, dont j’admire la constance et la lumineuse capacité d’espoir, cherche à me persuader qu’une transformation du système reste possible, qui serait salutaire tant pour les maîtres que pour les enfants. Un tel espoir s’appelle générosité. Moi, je repense au titre et aux analyses de Crozier: « La société bloquée ». Je n’arrive pas à sortir de mon doute. Trente ans après moi, et bien que les relations enseignants – élèves aient changé, j’ai vu tout près de moi des gamins cassés par le système, notamment par l’aveuglement des maîtres à celui qui n’est pas comme le troupeau et par l'ironie « innocente » que reprennent et amplifient les rires serviles des autres élèves. Tout récemment, à travers le travail de Dina Scherrer, j’ai vu aussi comment le corporatisme consanguin, par rejet sans examen - voire par diabolisation - de ce qui ne vient pas de lui, peut parfois bannir des expériences dignes d’intérêt. Pour être juste, j’ai vu aussi l’inverse, car il y a partout des hommes et des femmes de bonne volonté. Mais ce système où chaque partie prenante se raidit dès lors qu’une autre propose quelque chose me semble plus prégnant que les initiatives des meilleurs de ses acteurs.
Cependant, Armen publie ces jours-ci un ouvrage qui réunit, avec une introduction d’Edgar Morin, une dizaine de signatures de qualité. Il s’intitule : « Donner toute sa chance à l’école, Treize transformations nécessaires et possibles ». C’est à lire, indéniablement. C'est un texte ambitieux et généreux. Je vous le recommande et je veux bien en rejoindre les auteurs dans leur espoir d'être entendus.
Voici la présentation du livre: donner toute sa chance à l'école 2.pdf
Voici le site de "Ecole, changer de cap":http://www.ecolechangerdecap.net/
* J'ai mis au pluriel le titre emprunté à Daniel Pennac.
06:57 | Lien permanent | Commentaires (1)
Commentaires
Que c'est triste l'école... sur un air connu :-)
Écrit par : Françoise | 27/06/2011
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