19/11/2012
Le syndrome du larbin
Je vous invite à lire l'intervention de l'impavide Flore Brasseur au colloque "Pour une éthique de la performance", en ligne sur son blog:
19:02 | Lien permanent | Commentaires (1)
14/11/2012
Horatio
Voici pour commencer une histoire que contait le New York Time dans son édition électronique du 28 octobre:The Island Where People Forget To Die. L’île où les gens oublient de mourir. Le héros s’appelle Stamatis Moraitis. Comme son nom l’indique, c’est un Grec. Il a rallié les Etats-unis à la fin de la seconde guerre mondiale et s’y est établi. A l’âge de soixante-deux ans, on lui trouve un cancer du poumon. Il lui reste neuf mois à vivre. Le diagnostic est confirmé par huit autres médecins. Stamatis décide alors de revenir dans son pays pour y mourir. Il se retrouve sur Icare, son île natale, se met au lit, soigné par sa mère et sa femme, et attend. Il se dit qu’il pourrait renouer avec la religion de son enfance, celle de l’Eglise orthodoxe, et recommence à fréquenter l’office du dimanche. Cependant, la nouvelle de son retour se répand. Des amis d’enfance proposent de lui rendre visite. Il accepte. Ils viennent, apportant une ou deux bouteilles de vin local. La visite amicale devient quotidienne, toujours aussi arrosée. Un jour, ne se sentant pas si mal que cela, Stamatis plante quelques légumes dans le jardin. Il ne pense pas qu’il les récoltera, ce sera un cadeau pour son épouse quand il sera mort. Puis il trouve du plaisir à être au grand air et il continue son jardinage. Quelques mois passent. Stamatis a agrandi le potager, il a même remis en production la vigne de son père. L’agonie annoncée ne vient pas.
Stamatis Moraitis a fêté cette année ses quatre-vingt-dix-sept ans. Quoique il n’ait subi aucun traitement, son cancer a disparu. Les chercheurs du National Geographic ont raconté son histoire au terme d’une enquête sur les lieux du monde où les populations présentent le plus de centenaires. Ils se sont bien sûr intéressés aux coutumes alimentaires de l’île. En résumé, très peu de charcuterie, peu de viande, un peu de poisson, beaucoup de légumes, du vin local et certaines tisanes spécifiques. Ce que le corps absorbe joue un rôle important, et dans certains cas sans doute déterminant, mais il faudrait se garder de s’en tenir à cette vision finalement matérialiste des processus de guérison et oublier l’ensemble de composantes qui a agi sur la santé de Stamatis. L’hypothèse d’un effet synergique mériterait d’être retenue.
L’histoire de Stamatis Moraitis vous semble trop belle ? Elle est scientifiquement invraisemblable ? Elle peut se fonder sur des informations insuffisamment avérées ? En voici une autre. A l’âge de trente ans, Guibert del Marmol - que je viens d’interviewer pour Commencements 4 - se voit diagnostiquer au cerveau un cancer de la taille d’une balle de golf. Le temps qu’on l’opère et, en plus des autres symptômes, sa vision décline dramatiquement. Au réveil, soulagement, il a retrouvé la vue. Mais le chirurgien lui explique que, s’il a pu ôter la quasi-totalité de la tumeur - dont on achèvera les restes à coup de radiothérapie - il a dû aussi lui enlever l’hypophyse. Il l’informe des conséquences de cette ablation: le risque permanent de tomber en dépression, la nécessité ad vitam aeternam de supplémenter son organisme avec des hormones de synthèse, et la stérilité définitive.
Mais Guibert n’entend pas s’enfermer dans la prédiction médicale si autorisée soit-elle: il n’a jamais pu accepter l’infaillibilité quelle que soit l’autorité qui s’en prévale. Il a l’intuition très forte - une intuition organique - qu’une autre histoire est possible et qu’elle passe par la ré-harmonisation de sa vie. Il a la chance d’avoir pour épouse une personne de ressource qui va l’accompagner sur ce nouveau chemin. Il commence par redonner à son corps des activités physiques régulières et il revoit complètement ses habitudes alimentaires. Mais ce n’est pas tout. Il explore les médecines alternatives. Il mène des investigations du côté de la psycho-immuno-endocrinologie. Il se penche sur le message que transmettent les spiritualités et se met à pratiquer la méditation. Peu à peu, le processus de ré-harmonisation embrasse de plus en plus large, jusqu’à lui faire reconsidérer sa vie professionnelle qu’il a cependant reprise tambour battant. Comment réussir son alignement personnel s’il ne prend pas en compte les besoins du monde dans lequel il vit? Or, ce monde-là va plutôt mal: crises écologiques, financières, économiques, sociales... Sa santé, il le sent, est liée à son rapport à ce monde et ce dernier ne peut pas être que le décor ou la ressource de sa réussite personnelle. En paraphrasant Teilhard de Chardin, qu’il a lu, on pourrait dire que «ce qui compte, ce n’est pas la joie de Guibert dans le monde, mais la joie du monde en Guibert». Alors, comme ce qu’il connaît le mieux c’est la direction d’entreprise et que les entreprises sont peut-être l’acteur le plus puissant du monde actuel, il met cette compétence au service de leur évolution. Il se lance dans le conseil en développement durable et développe une clientèle de dirigeants audacieux.
Le diagnostic de cancer, c’était il y a quinze ans. Depuis longtemps, Guibert del Marmol se passe de suppléments hormonaux. Il ne mène pas une vie de potiche fragile: il voyage dans le monde entier pour accompagner des dirigeants sur la voie du développement durable, donner des conférences, animer des groupes de travail, enrichir sa connaissance des bonnes pratiques. Il n’a jamais côtoyé la dépression. Il a eu la surprise et la joie d’être père deux fois encore. Les médecins ne comprennent pas: sans hypophyse, ce n’est «normalement» pas possible. Guibert évoque les ouvrages du biologiste Bruce Lipton, la médecine quantique. Il se désole du rationalisme étroit qui, comme une religion moyenâgeuse, jette l’anathème sur des Beljanski ou des Benveniste, et qui, faisant parfois un amalgame paranoïde entre médecines alternatives et dérives sectaires, empêche d’étudier le processus des guérisons «anormales».
Dans Hamlet, Shakespeare fait dire à un de ses personnages: «Il y a plus de choses dans le ciel et sur la Terre, Horatio, que n’en rêve votre philosophie.» Cette phrase mériterait d’être gravée au fronton de nos croyances et j’inclus au rang de celles-ci les vérités scientifiques. Celles-ci deviennent folles dès lors qu’on les transforme en dogmes. Me revient à la mémoire cette phrase terrible d’un médecin évoquant le milieu médical: «Il est moins dangereux de tuer dans les normes que de guérir hors des normes». Les dogmes ne servent guère que les pouvoirs établis, les pyramides d’égos et d’argent, et ils virent immanquablement à l’intolérance et au fanatisme. L’histoire des sciences montre qu’ils retardent l’évolution des connaissances et des techniques. Mais ils retardent aussi l’évolution de l’économie et de la société. Au nom d’une rationalité qui n’est rien d’autre qu’une idéologie, ils voudraient nous faire renoncer à l’idéal d’une société juste et écologique. Ils voudraient nous faire accepter qu’il n’y a d’autre avenir que d’accepter des organisations règlementaires, politiques, financières et monétaires qui, loin d’apporter les solutions qu’on en attend, constituent en réalité le problème. La faiblesse des dogmes: ils ne doivent leur force qu’au respect que nous voulons bien leur accorder.
15:06 | Lien permanent | Commentaires (2)
03/11/2012
De la confusion des genres
Il fut un temps où l’Eglise avait la prétention de détenir la vérité sur l’univers physique. Cela nous semble aujourd’hui grotesque, d’autant que nous ne voyons pas le lien qu’il peut y avoir entre le salut des âmes et le fait que la Terre soit ronde ou plate et qu’elle tourne ou non autour du soleil. Alors, nous nous en gaussons et ne cherchons pas à comprendre les ressorts de l’histoire. Je soutiens l’hypothèse que de tels errements, pour caricaturaux qu’ils nous paraissent, relèvent des dérives banales de l’esprit humain, qu’ils se produisent encore sous nos yeux à notre insu, sans que la religion y ait forcément à voir quoi que ce soit, et que notre époque a sûrement ses Galilée et ses Giordano Bruno. Au surplus, je ne crois pas que l’on puisse faire l’économie de la réflexion en concluant simplement à la stupidité ou à la malhonnêteté des hommes. J’ai tendance à penser qu’à l’origine de la plupart des phénomènes priment la sincérité et la bonne foi. C’est la manifestation de ma propre foi en l’homme. Pour certains, c’est peut-être de la naïveté. Je n’en ai cure.
Le mot-clé de l’histoire que j’évoquais, selon moi, est «amalgame». S’agissant des croyances de l’Eglise sur l’univers physique, il y eut un premier amalgame spontané entre la vérité dont elle est le canal, vérité qui est d’ordre purement spirituel, et la représentation du monde physique dans lequel cette vérité a été révélée. Une des premières conséquences de cet amalgame a été de conduire à croire que la vérité spirituelle était menacée par un changement dans cette représentation. Or, quelle relation peut-il y avoir entre le «Aime ton prochain comme toi-même» et la rotondité ou la platitude de la planète ? Jésus, d’ailleurs, a-t-il jamais évoqué l’astronomie ou la physique ? «Le Royaume de Dieu est au dedans de vous» ne nous parle que du monde intérieur.
Mais ce n’est pas tout. La loi qui régit les amalgames est la croissance. Cette croissance se fait par phagocytose: l’amalgame s’accroît par absorptions successives. C’est ainsi que l’Eglise, gardienne à l’origine des seules vérités de la foi, s’institue garante d’une représentation du monde physique tirée de l’Ancien Testament, puis, par voie de conséquence, se retrouve évidemment menacée par le progrès de la science qui remet en question cette représentation. Ce qui va la conduire aux prises de position délirantes que l’on sait. L’amalgame qui va enfermer l’Eglise dans sa gangue ne se résume cependant pas encore à cette confusion entre la connaissance du monde physique et celle du monde spirituel. Issu du prosélytisme d’une secte juive au sein de la Diaspora, irrigué du sang des martyrs aux époques de persécutions, le christianisme est devenu en quelques siècles un centre d’influence et bientôt une faction au sein de l’empire romain. On peut comprendre qu’à l’origine de cette évolution temporelle, il y ait eu le désir de protéger ceux qui confessaient la nouvelle religion et dont les ancêtres l’avaient payé de leur vie. Mais, comme l’a dit Charles Péguy, tout commence en mystique et finit en politique. C’est un moment de l’Histoire peu souvent évoqué et dont le film d’Alejandro Amenabar, Agora, donne un aperçu. On y retrouve la confrontation des représentations du monde physique - l’héroïne, Hypatie (370-415), qui finira lapidée par les chrétiens, est l’héritière des Grecs, elle spécule sur le caractère héliocentrique ou géocentrique de l’univers - qui se mêlent aux enjeux terrestres de la politique, aux ambitions personnelles des uns et des autres, aux luttes d’influence et de pouvoir. Voici donc notre amalgame complété: enjeux spirituels et enjeux terrestres s’y trouvent inextricablement mêlés.
Tournons-nous maintenant vers le monde d’aujourd’hui et vers l'un des dieux qu’il conserve: la science! J’emploie à dessein le mot «dieu» car la confiance totale que certains expriment à son égard relève pour moi d’un acte de foi et non de pensée. Ce qui compte dans le fonctionnement psychique, ce n’est pas le vocabulaire qu’on utilise mais la posture de l’esprit. Questionne-t-il ou vénère-t-il ? Est-il vigilant ou fasciné ? Le culte de la déesse Raison, instauré par Robespierre, n’est qu’un nouvel opium du peuple et va à l’encontre du dessein initial qui est de promouvoir l’exercice de la raison. La manière dont on donne aujourd’hui autorité au monde scientifique par dessus tout autre, la vergogne qu’on a à lui mettre la bride quand cela serait nécessaire vont à l’encontre de notre légitimité inaliénable d’êtres vivants. Et du progrès lui-même: je vais y venir.
D’abord, pour ceux qui s’imaginent les progrès de la science comme le déploiement d’une lumineuse infaillibilité, je recommanderai le livre d’Arthur Koestler: Les somnambules, qui décrit fort bien la succession de représentations tâtonnantes - de brouillons - qu’esquisse l’intelligence humaine au milieu des ombres de la réalité. Je rappellerai - pour ceux qui croiraient que nous avons atteint des vérités définitives - qu’au moment où Einstein mûrissait la théorie de la Relativité, les physiciens de son temps jugeaient que l’univers n’avait plus guère de secrets à nous révéler. Le petit employé aux brevets chamboula ces belles certitudes. Mais, à peine la Relativité avait-elle été énoncée que pointait une autre révolution, celle de la physique quantique qui n’en est pas encore à ses derniers développements. Dans un autre domaine, je rappellerai comment des médecins ont discrédité, au nom des Lumières, le malheureux Semmelweis parce qu’il voyait dans le décès des femmes en couches l’effet d’un facteur invisible provenant des salles de dissection. C’est ce mot: «invisible», qui l’a perdu! Pensez donc, une cause que l’on ne peut percevoir! «Mais, mon cher, ce Hongrois veut nous faire revenir à l’âge des sorcières!» Voici à l’oeuvre un autre amalgame: l’invisible - ou l’inconcevable - confondu avec le mensonge ou la superstition! Semmelweis eut beau démontrer par l’expérience ce qu’il soutenait, il eut beau diviser par cinquante les décès puerpéraux, l’entêtement idéologique du milieu médical viennois fut le plus fort. A cause de l’aveuglement de ceux qui se réclamaient de Lumières, des milliers de femmes continuèrent de mourir en couches chaque année. Jusqu’à ce que, quelques dizaines d’années plus tard, Pasteur et son microscope rendent visible l’invisible.
Les vérités deviennent folles dès lors qu’elles se veulent définitives. Elles deviennent vicieuses quand elles versent dans l’intolérance et épousent des causes qui ne sont pas de leur registre: la connaissance de l’univers physique et le pouvoir temporel s’agissant de l’Eglise, des idéologies et des causes politiques s’agissant de la démarche scientifique. Or, les amalgames d’aujourd’hui, s’ils laissent de côté les croyances religieuses, intègrent à haute dose un nouveau composant aussi redoutable qu’une idéologie: la rapacité financière. La puissance exploratrice de la recherche médicale est une des victimes de cette évolution, car ses orientations sont choisies par des empires industriels que nos amis américains englobent sous l’appellation de «Big Pharma». Comme ces empires vivent de la vente de ce qu’ils savent fabriquer, la médecine d’aujourd’hui est essentiellement une médecine de vaccins et de produits chimiques. Avec le recours à un storytelling qui vaut la Légende dorée de Jacques de Voragine. Avec un lobbying qui n’a son pareil que chez les semenciers industriels et les chimistes de l’agriculture. Avec aussi, parfois, des couacs que l’on entend, comme le Médiator ou la campagne de vaccination contre le H1N1 - et d’autres que l’on n’entend pas, comme les conséquences de la survaccination.
Mais j’oserai dire que, le plus grave, ce ne sont pas les accidents. Le plus grave, ce sont les dogmes qui, sous peine d’anathème et d’excommunication, au nom de la rationalité scientifique, interdisent d’explorer les terrains vagues. Or, c’est un phénomène récurrent dans l’histoire de la science que celle-ci progresse dans les zones d’ombre de ses théories successives. Si Einstein a conçu la théorie de la relativité, ce n’est pas au nom de la représentation newtonienne de l’univers, c’est parce qu’il y avait une bizarrerie que celle-ci n’expliquait pas. Si Flemming a découvert la pénicilline, c’est qu’au moment de jeter des boîtes de Petri accidentellement contaminées, geste banal s’il en est, il s’est posé une question saugrenue: pourquoi l’une d’elles avait-elle été protégée des bactéries ? Or, les dogmes actuels de la science médicale reposent sur une idéologie matérialiste - entendez par là que, pour elle, tout est matière - et reviennent finalement à la négation de l’invisible qui fit le malheur de Semmelweis. Au nom de cette idéologie, l’homéopathie est régulièrement condamnée comme une superstition et, si l’on en croit les Torquemada de la Miviludes, recourir aux médecines alternatives est un signe extérieur d’appartenance à un mouvement sectaire.
Le biologiste américain Bruce Lipton, qui a une vision audacieuse de la médecine, raconte que certains laboratoires essaient de repérer, pour les éliminer de leurs groupes-test, les personnes susceptibles de développer facilement un effet placebo. Il faut dire que celles-ci sont parfois plus nombreuses à être améliorées par une fausse pilule que celles à qui on a administré la substance testée! Mais, au lieu de jouer à cache-cache avec le phénomène, ne devrait-on pas au contraire s’y intéresser, essayer de comprendre comment fonctionne cet effet placebo ? Si l’on arrive dans certains cas à guérir sans médicament, il y a là une bizarrerie qui, aux yeux d’un Einstein de la médecine, devrait paraître sacrément prometteuse! Au lieu de cela, on se contente depuis des lustres de discréditer le phénomène et de le balayer sous le tapis: «C’est l’effet placebo!». Sous-entendu: «Circulez, il n’y a rien à voir». Il est vrai que guérir sans chimie ne rapporterait pas grand chose à ceux qui tiennent officine d’apothicaire... Si la recherche médicale n’était pas majoritairement aux mains de financiers qui protègent leur fonds de commerce, elle s’intéresserait aux guérisons inexplicables comme le petit employé aux brevets de Genève s’intéressa à la courbure anormale des rayons lumineux. Mais on risquerait alors de découvrir accidentellement l’art de ne pas tomber malade, et ce ne serait pas une bonne affaire! Il vaut mieux continuer de croire que la Terre est plate et qu’elle est le centre de l‘univers. Assignez donc Galilée à résidence et préparez le bûcher pour Bruno!
17:18 | Lien permanent | Commentaires (2)