19/03/2020
J'ai fait l'expérience du confinement
A l’âge de dix-sept ans, alors que j’attendais avec impatience mes vacances annuelles aux Sables d’Olonne, on me diagnostiqua au printemps une tuberculose pulmonaire. Ayant eu le BCG comme toute ma génération, vivant dans un milieu tout ce qu’il y a de propre et bien nourri, c’était étrange. Mais, depuis quelque temps, je me réveillais en sueur au milieu de la nuit et je percevais au creux de ma poitrine une sorte de râle très discret. J’eus ainsi moi-même le soupçon qu’une radiographie des poumons confirma. Et la sanction tomba : antibiotiques en cachets et en piqûres, analyse régulière des crachats, examen périodique des poumons, repos et confinement. Pas d’activité physique et, le pire, surtout pas de séjour à la mer.
A l’époque, le mot « confinement » ne fut pas davantage prononcé par le pneumologue que par Emmanuel Macron l’autre soir. Mais, de même qu’aujourd’hui, il s’agissait bien de cela. C’était même pire : je pouvais être soigné à domicile pourvu que je restasse dans ma chambre, couché, jour et nuit, sans voir personne d’autre que mon père et ma mère. Et cela pendant un an. Ensuite, il y aurait une année de plus où je n’aurais pas davantage le droit de sortir mais où je pourrais me lever quelques heures par jour. Bref - si je puis dire - une réclusion certes confortable mais de deux années. Deux années ! Grâce à ces mesures, mes poumons cicatrisèrent et je n’ai jamais eu à souffrir de la moindre séquelle ou pneumopathie quelconque. J’exprime d’ailleurs ma reconnaissance à feu le Dr Le Nouène, du dispensaire de Villeneuve-sur-Lot, un homme intelligent et humain que je vois encore, assis derrière sa machine, protégé des radiations par son tablier de plomb.
Mais, psychologiquement, ce fut d’abord très dur. Je fus terriblement abattu de voir se dérober, à quinze jours du départ, ce répit annuel que je trouvais aux Sables d’Olonne, que j’attendais d’une année sur l’autre. Sur un autre plan, cependant, cette interruption de la vie « normale » m’apportait un soulagement. To make a long story short, arrivé au lycée en tant qu’excellent élève, j’avais vu mes notes décliner au fur et à mesure des années, y compris dans les matières que jusque là je maîtrisais sans effort. Cela reste encore un mystère pour moi. Si l’on accepte la théorie psychosomatique, il se peut que cette tuberculose dénonçait quelque chose qui, dans ma vie, n’était pas juste.
Le lycée quitté, je réalisai que les autres continuaient à apprendre, et cela me mit mal à l’aise. J’étais comme un marin abandonné qui voit s’éloigner le navire. L’institution scolaire m’avait pesé, mais, celle-ci écartée, l’exigence de mon besoin d’apprendre se manifesta de nouveau. C’est ainsi que, d’opportunité d’un long pas de côté, mon confinement devint une opportunité de me cultiver. J’avais vu dans ses Confessions que Jean-Jacques Rousseau, alors pensionnaire de Madame de Warens, s’était fait un programme d’études. Cela m’inspira et je m’en fis un. Chaque journée de ces deux années de confinement fut ainsi rythmée, d’heure en heure, par des thèmes de lecture, des émissions de radio et des cours de langue sur vynile.
Face aujourd’hui à un confinement dont la durée nous échappe, nous avons plusieurs enjeux. D’abord, et c’est évident, celui de la santé physique, la nôtre et celle de nos semblables que nous pourrions contaminer. Mais, sauf pour une minorité d’asociaux, au bout de quelques jours ou de quelque semaines, le confinement pourra se révéler éprouvant. Nous sommes des êtres de chair et d’âme, réduire notre environnement relationnel à des mails, des chats ou des visioconférences ne comble pas ce qui nous fait humains. Mais il y a plus : nous avons aussi un besoin de sens. Or, cette agression perpétrée par un agent jusque là inconnu de nous et aussi omniprésent qu’invisible, ces mesures de confinement inouïes prises par un pouvoir politique dont le moins qu’on puisse dire est qu’il n’a pas entretenu notre confiance, les flottements des scientifiques quant à l’origine et aux traitements de la pathologie, tout cela exacerbe le sentiment d’absurdité que nous pouvons avoir de cette situation.
Nul doute que cette période de retrait que nous n’avons pas choisie engendrera des malaises, des prises de conscience et peut-être des bifurcations dans la vie de beaucoup d’entre nous. On peut en espérer un retour de la transcendance qu’a évacuée le récit matérialiste de nos sociétés. Cette transcendance qui permettrait de remettre à leur place les idéologies, les croyances, les modes de vie et les comportements qui détruisent le Vivant. L’âme, disait le philosophe Alain, est ce qui dit non. N’est-il pas significatif que la crise que nous vivons, qui menace notre machine économique et financière, allége en même temps notre empreinte écologique ? Lorsqu’elle relâchera son étreinte, retournerons-nous à nos errements ou saurons-nous leur dire « non » ?
Je vous propose de nous retrouver ici pour, en échangeant si vous le souhaitez nos expériences du confinement, prendre soin de nos besoins physiques, psychologiques et, osons le mot, spirituels. Et préparer notre retour à la liberté.
Je vous laisse avec quelques questions inspirées de mon expérience:
- Que pourriez-vous cultiver pour faire de ce confinement non choisi une opportunité ?
- Quel soulagement ce confinement vous apporte-t-il ?
- Qu'est-ce que cela peut dire d'un éventuel déséquilibre dans votre vie ?
23:38 | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : confinement, coronavirus, sables d'olonne, opportunité, besoin de sens
Commentaires
Très intéressant,
Je te répondrai et participera un peu plus tard.
Fais attention à toi.
Ton très jeune ami.
Serge.
Écrit par : Prifer (le célèbre) | 20/03/2020
You are welcome my dear old fellow !
Écrit par : Thierry | 21/03/2020
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