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25/05/2020

Se jardiner

 

 

Que se passe-t-il quand on se lance dans une activité complètement différente de tout ce que l’on avait fait jusque là ? Il y a un an, en jardinage, je n’y connaissais rien. J’avais passé une grande partie de ma vie dans les bureaux et en appartement, sans avoir le moindre bout de terrain à ma disposition. Mais j’étais parvenu à la conviction qu’il est nécessaire de rapprocher la production alimentaire de sa consommation et j’étais nourri par l’heureux souvenir des jardins de mon enfance, à Pujols, à Grosbreuil puis, plus tard, aux Sables d’Olonne.

 

Ayant hérité la maison de ma tante aux Sables, après avoir payé sa part à l’Etat, j’ai décidé de m’aligner sur mes idées et de remettre en culture les quelques ares du jardin, en friche depuis plusieurs années. Je me suis donné deux règles un peu ambitieuses: le faire selon les principes du « bio » et refuser l’utilisation de tout engin à moteur. Un MOOC des Colibris m’a un peu rassuré par rapport à la difficulté de ce que j’entreprenais et m’a donné une esquisse de compréhension quant aux principes de la permaculture. C’était fascinant: j’ai découvert que la permaculture, loin d’être seulement une méthode pour cultiver le radis sans fatigue, est une éthique et une philosophie du rapport au vivant dans son ensemble, humains compris. L’aventure commença donc intellectuellement. Pour passer de l’esprit à la matière, j’ai eu la chance de rencontrer une personne qui avait fait la même traversée, Corinne Daigre, ancienne libraire devenue agricultrice à Grosbreuil (1), qui est venue voir mon terrain et dont l’élan chaleureux m’a donné la chiquenaude nécessaire. Puis, sur FB, j’ai retrouvé l’inépuisable René Chaboy, de Liens en Pays d’Oc (2), j’ai fait la connaissance des promoteurs de l’Autonomie alimentaire, François Rouillay et Sabine Becker (3) et de tout un fourmillement d’acteurs et d’initiatives.

 

Je suis naturellement introspectif. La façon dont les choses se passent à l’intérieur de nous m’a toujours passionné. Si j’observe cette expérience personnelle, je repère quelques-uns des ingrédients qui ont facilité ce processus d’évolution. Car, aborder une activité vraiment nouvelle, en l’occurrence jardiner, c’est d’abord « se jardiner » soi-même, c'est choisir ce que vous allez semer et cultiver en vous tout autant qu'à l'extérieur. Vous êtes l’ouvrier, certes, mais vous êtes aussi la matière et l’outil de votre travail. L’un des principes de la permaculture est l’observation, notamment celle des interactions. Jardiner est justement l’occasion de créer de nouvelles interactions de soi avec un environnement à découvrir, et d’observer, tant au dedans de soi qu’au dehors. S’agissant de cette expérience, je vois donc en moi plusieurs éléments qui se sont combinés comme en une lente spirale. Il y a cette conviction, d’origine intellectuelle, fondée sur des lectures, que la fragilité du monde que nous avons construit justifie et même exige que nous rapprochions de nous la production de notre nourriture. Cette conviction est le produit d’un long dialogue intérieur stimulé et nourri par des publications comme celles de Rachel Carson (4), des Meadows (5) et de Rob Hopkins (6) - Rob que j’ai eu, en outre, l’avantage d’interviewer à Totnès en 2008. La soudaineté et l’ampleur de la crise du coronavirus, les perspectives de chaos économique qu’elle a ouvertes n’ont fait que souligner à quel point la délocalisation des productions vitales nous font vivre dangereusement. A notre insu, nous marchons sur un fil.

 

Au moteur que constitue cette conviction s’ajoute une ressource d’ordre affectif: le souvenir des jardins de mon enfance, abondants de sensations, de senteurs et de parfums, de chants d’oiseaux, de profusion végétale et animale, d’eau miroitante au fond du puits, de brises passant à travers les frondaisons. Régnaient sur ces jardins des figures familiales bienveillantes, telles que mon grand-père lotois ou ma grand-mère et mon oncle vendéens. Je n’ai pas besoin de creuser très profond pour me relier à ce passé qui fut la matrice de ma sensibilité et qui a assemblé les ressources dont bénéficie aujourd’hui ma nouvelle façon de vivre. Je suis et reste le membre d’une famille qui a sa culture et ses valeurs, j’en suis le maillon entre le passé - mon passé - et l’avenir - surtout celui de mes enfants et des enfants de mes enfants.

 

Pour que se produise le clinamen, le passage de l’intellectuel de bureau au jardinier, il manquait encore un ingrédient à ce processus : la rencontre. Au début de tout projet vraiment nouveau, au moment de faire ce que Christian Mayeur appelle un « pas de côté », nous pouvons nous sentir gauche, être renvoyé à des épisodes de notre vie où nous ne nous sommes pas trouvés à notre avantage. On peut être retenu d’agir par le sentiment que l’on a de son ignorance, de sa maladresse - voire de son inadéquation au projet que l’on couve. C’est à peu de chose près ce que je ressentais. L’échange que j'eus avec l’ancienne libraire, sur mon terrain en friche, m’a débarrassé de cette inhibition. Ce fut comme si elle m’avait dit: « Joue ! » Après tout, quel est le risque ? Tu vas rater une planche de radis ? Et alors ? Combien de stérilités cette peur de ne pas réussir n’aura-t-elle pas engendré !

 

grelinette-600x450.jpegSi je reviens dans le présent, en cette fin d’hiver, il a donc bien fallu que je retrousse mes manches. Je suis passé du clavier de l’ordinateur à la grelinette, cette providence des apprentis jardiniers vieillissants. Je me suis remis à apprendre, mais cette fois dans un registre tout autre que ceux que j’avais jusque là pratiqués. Pour les lecteurs qui ne me connaissent pas, ma vie professionnelle est passée de l’immobilier au développement territorial, puis à la formation des cadres et des dirigeants dans le milieu bancaire coopératif, et enfin à l’ingénierie de parcours de « développement de l’humain » comme Cap Senior ou Constellations. Avec la grelinette, dont je n’avais jamais entendu parler jusque là, j’avais un des nouveaux mots à accueillir dans mon vocabulaire, et, entre mes mains, un outil à manier, qui me ferait découvrir, en même temps que de nouveaux gestes, ce qu’est la terre : dure, tendre, superficielle, profonde, claire, sombre, sèche, humide, compacte, pulvérulente, hétérogène, perméable…

 

Tout a donc commencé à la fois il y a longtemps et il y a quelques mois. Mon acte séminal - c’est le cas de le dire - une fois passée la grelinette sur un carré de quatre mètres, fut de semer des fèves. Et cela, l’année où j’aurais, au printemps, mes soixante-douze ans. - A ton âge, pourquoi te fatiguer, tu ne pourrais pas rester tranquille ? - Pourquoi le ferais-je ? Pour m’ennuyer avant de mourir ? Pour que mon existence, avant qu’elle cesse, me paraisse plus longue ? J’ai, au contraire, l’impression d’ajouter une vie à celles que j’ai déjà vécues et de la semer en même temps que mes légumes. Et cette nouvelle vie est amarrée à quelque chose de plus grand que moi - la nature, dont les processus relient aux astres du ciel les obscures germinations du sol - et à des enjeux qui dépassent ma longévité. Elle me permet d’exprimer, par un modeste engagement, en même temps qu’une conviction quasiment politique, mon amour pour les miens et pour les générations à venir.

 

Aujourd’hui, je suis loin d’avoir remis en culture la totalité de ma pourtant si petite surface disponible. J’avance à mon rythme qui est lent, contemplatif et hédoniste. Mais le néophyte que je suis s’émerveille déjà. L’ail a bien pris. Mes pieds de fèves et de pommes de terre manifestent de la vigueur. J’ai, bien sûr, quelques rangs de radis. Je suis envahi par la roquette, semée un peu trop généreusement et dont la production dépasse la consommation que je peux en faire - occasion de donner ou d’échanger. Plus lentes, discrètes, les carottes se sont quand même décidées à montrer leurs tendres petites fanes. J’attends qu’apparaissent, à travers leur paillage, poireaux, oignons, choux, courgettes, haricots verts, navets, poirées, melons. Bien sûr, il y a et il y aura quelques soucis - je ne parle pas des fleurs que j’ai aussi semées. Les pieds de tomates ont un peu souffert d’une fraicheur qui s’attarde, les pucerons noirs ont attaqué les fèves alors que les coccinelles n’étaient pas encore arrivées, les oignons tardent à se montrer. Pour autant, d’ores et déjà, ce jardin me paye déjà généreusement de retour.

 

Ce n’est que le début d’un chemin dont je ne sais pas où il me mènera. J’ai déjà fait cette expérience au cours de ma vie qu’en poussant une porte d’apparence modeste, on se retrouve à avancer de plus en plus loin des voies tracées d’avance. M’intéresser concrètement au jardinage avec, en perspective, l’idée d’une autonomie alimentaire locale, m’a permis d’entrer dans une communauté - pour le moment encore très virtuelle - de kindred spirits. C’est un point fondamental. Avant de franchir le premier pas, vous pouvez souffrir d’un sentiment de solitude ou d’incongruité. Mais, comme ces cartes du métro où, en appuyant sur une touche, votre itinéraire apparaît avec ses stations, si vous acceptez de rendre votre « folie » visible, de nouveaux amis apparaissent comme escargots après la pluie. Dans une expérience que l’on aborde en apprenti, cet entourage est précieux. Il me fait penser au « Club de Vie » des pratiques narratives: le groupe bienveillant, témoin de votre histoire choisie et qui apporte son regard, sa foi et son énergie au meilleur de vous-même.

 

Je conclurai sur un thème qui m’est cher: si l’on aspire à un changement, à partir du moment où l’on accepte de semer un acte qui n’est pas la répétition d’une routine, il se passe quelque chose (7).

 

(1) https://demain-vendee.fr/reportages/les-jardins-de-corinn...

(2) Rencontré déjà il y a des années à l'occasion de mes investigations prospectives: https://lienenpaysdoc.com

(3) Auteurs de En route pour l’autonomie alimentaire aux éditions Terre Vivante. Site: http://www.autonomiealimentaire.info

(4) Rachel L. Carson, Le Printemps silencieux, Traduction Jean-François Gravand, préface de Roger Heim, Plon (Livre de poche n° 2378), 1968.

(5) Dennis Meadows, Halte à la croissance ?, Paris, Fayard, 1972. Dennis Meadows, Donella Meadows et Jorgen Randers, Les limites à la croissance (dans un monde fini) : Le rapport Meadows, 30 ans après, Rue de l'Echiquier, 2012.

(6) Rob Hopkins,The Transition Handbook : From Oil Dependency to Local Resilience, Chelsea Green Publishing, 2008 ; Manuel de Transition : de la dépendance au pétrole à la résilience locale, Éditions Écosociété, 2010.

(7) Ce que, dans Constellations, j’appelle « l’école buissonnière ».

 

19/03/2020

J'ai fait l'expérience du confinement

 

 

A l’âge de dix-sept ans, alors que j’attendais avec impatience mes vacances annuelles aux Sables d’Olonne, on me diagnostiqua au printemps une tuberculose pulmonaire. Ayant eu le BCG comme toute ma génération, vivant dans un milieu tout ce qu’il y a de propre et bien nourri, c’était étrange. Mais, depuis quelque temps, je me réveillais en sueur au milieu de la nuit et je percevais au creux de ma poitrine une sorte de râle très discret. J’eus ainsi moi-même le soupçon qu’une radiographie des poumons confirma. Et la sanction tomba : antibiotiques en cachets et en piqûres, analyse régulière des crachats, examen périodique des poumons, repos et confinement. Pas d’activité physique et, le pire, surtout pas de séjour à la mer. 

 

 

A l’époque, le mot « confinement » ne fut pas davantage prononcé par le pneumologue que par Emmanuel Macron l’autre soir. Mais, de même qu’aujourd’hui, il s’agissait bien de cela. C’était même pire : je pouvais être soigné à domicile pourvu que je restasse dans ma chambre, couché, jour et nuit, sans voir personne d’autre que mon père et ma mère. Et cela pendant un an. Ensuite, il y aurait une année de plus où je n’aurais pas davantage le droit de sortir mais où je pourrais me lever quelques heures par jour. Bref - si je puis dire - une réclusion certes confortable mais de deux années. Deux années ! Grâce à ces mesures, mes poumons cicatrisèrent et je n’ai jamais eu à souffrir de la moindre séquelle ou pneumopathie quelconque. J’exprime d’ailleurs ma reconnaissance à feu le Dr Le Nouène, du dispensaire de Villeneuve-sur-Lot, un homme intelligent et humain que je vois encore, assis derrière sa machine, protégé des radiations par son tablier de plomb.

 

 

Mais, psychologiquement, ce fut d’abord très dur. Je fus terriblement abattu de voir se dérober, à quinze jours du départ, ce répit annuel que je trouvais aux Sables d’Olonne, que j’attendais d’une année sur l’autre. Sur un autre plan, cependant, cette interruption de la vie « normale » m’apportait un soulagement. To make a long story short, arrivé au lycée en tant qu’excellent élève, j’avais vu mes notes décliner au fur et à mesure des années, y compris dans les matières que jusque là je maîtrisais sans effort. Cela reste encore un mystère pour moi. Si l’on accepte la théorie psychosomatique, il se peut que cette tuberculose dénonçait quelque chose qui, dans ma vie, n’était pas juste. 

 

 

Le lycée quitté, je réalisai que les autres continuaient à apprendre, et cela me mit mal à l’aise. J’étais comme un marin abandonné qui voit s’éloigner le navire. L’institution scolaire m’avait pesé, mais, celle-ci écartée, l’exigence de mon besoin d’apprendre se manifesta de nouveau. C’est ainsi que, d’opportunité d’un long pas de côté, mon confinement devint une opportunité de me cultiver. J’avais vu dans ses Confessions que Jean-Jacques Rousseau, alors pensionnaire de Madame de Warens, s’était fait un programme d’études. Cela m’inspira et je m’en fis un. Chaque journée de ces deux années de confinement fut ainsi rythmée, d’heure en heure, par des thèmes de lecture, des émissions de radio et des cours de langue sur vynile. 

 

 

Face aujourd’hui à un confinement dont la durée nous échappe, nous avons plusieurs enjeux. D’abord, et c’est évident, celui de la santé physique, la nôtre et celle de nos semblables que nous pourrions contaminer. Mais, sauf pour une minorité d’asociaux, au bout de quelques jours ou de quelque semaines, le confinement pourra se révéler éprouvant. Nous sommes des êtres de chair et d’âme, réduire notre environnement relationnel à des mails, des chats ou des visioconférences ne comble pas ce qui nous fait humains. Mais il y a plus : nous avons aussi un besoin de sens. Or, cette agression perpétrée par un agent jusque là inconnu de nous et aussi omniprésent qu’invisible, ces mesures de confinement inouïes prises par un pouvoir politique dont le moins qu’on puisse dire est qu’il n’a pas entretenu notre confiance, les flottements des scientifiques quant à l’origine et aux traitements de la pathologie, tout cela exacerbe le sentiment d’absurdité que nous pouvons avoir de cette situation.

 

 

Nul doute que cette période de retrait que nous n’avons pas choisie engendrera des malaises, des prises de conscience et peut-être des bifurcations dans la vie de beaucoup d’entre nous. On peut en espérer un retour de la transcendance qu’a évacuée le récit matérialiste de nos sociétés. Cette transcendance qui permettrait de remettre à leur place les idéologies, les croyances, les modes de vie et les comportements qui détruisent le Vivant. L’âme, disait le philosophe Alain, est ce qui dit non. N’est-il pas significatif que la crise que nous vivons, qui menace notre machine économique et financière, allége en même temps notre empreinte écologique ? Lorsqu’elle relâchera son étreinte, retournerons-nous à nos errements ou saurons-nous leur dire « non » ? 

 

 

Je vous propose de nous retrouver ici pour, en échangeant si vous le souhaitez nos expériences du confinement, prendre soin de nos besoins physiques, psychologiques et, osons le mot, spirituels. Et préparer notre retour à la liberté.

 

 

Je vous laisse avec quelques questions inspirées de mon expérience:

 

- Que pourriez-vous cultiver pour faire de ce confinement non choisi une opportunité ?

 

- Quel soulagement ce confinement vous apporte-t-il ? 

 

- Qu'est-ce que cela peut dire d'un éventuel déséquilibre dans votre vie ?