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12/05/2009

Le grand rêve de l'économie libérale

J'inaugure aujourd'hui une nouvelle catégorie de chroniques: les avanies. J'y mettrai des faits qu'à des titres divers j'aurai trouvés scandaleux. Rapprochés au fil des jours, quelque disparates qu'ils soient, ils peuvent nous permettre discerner une éventuelle trame commune, une dérive qui serait en train d'emporter notre "cher et vieux pays". J'ai rangé d'ores et déjà dans cette chemise une précédente note "Boobed or not boobed" - ceux qui l'ont lue comprendront popurquoi - et voici maintenant l'avanie du jour. 

Le dogme des économistes qui se réclament de la rationalité et du réalisme - et en fait qui ne sont autre chose que les grands prêtres du capitalisme hyperlibéral - c'est celui de l'agent économique parfait dans un marché parfait. C'est un peu comme la musique des sphères, comme un glissement de planètes, sans le moindre frottement, dans un espace dénué de la moindre viscosité. Comme l'a écrit Kant: la colombe pourrait croire qu'elle volerait encore mieux dans le vide. Le rêve subséquent à ce dogme, c'est que tout fasse marché, non pas seulement les biens matériels, mais tout et la vie même (pensez aux semences stériles de Monsanto) et l'humain bien sûr. Je dirais même qu'il s'agirait de faire marché au lieu de faire société, car la société a fâcheuse tendance à former des grumeaux (on peut appeler cela des amitiés, des familles, des communautés, etc.) qui mettent des couacs dans l'harmonie céleste de nos sycophantes. Mais enfin, on progresse, puisque, ces jours derniers, dans la Tarn, une entreprise qui envisage de licencier neuf de ses salariés leur a proposé un reclassement à Bangalore - oui, en Inde, vous m'avez compris - avec pour prime d'expatriation un salaire mirifique de 69 euros par mois pour six jours de travail par semaine, huit heures par jour. Ce n'est pas la peine de vous frotter les yeux, vous avez bien lu. Je ne sais pas ce qui a pu l'emporter du cynisme, du mépris ou de la stupidité chez ceux qui ont osé faire pareille proposition. Mais cela en dit long sur la société dont rêvent certains et sur les conséquences qu'elle aurait sur les autres: http://tempsreel.nouvelobs.com/depeches/societe/20090509....

 

10/05/2009

Boob or not boob ?*

Mark and Spencer, considérant qu’un soutien-gorge H représente plus de tissu et de travail qu’un soutien-gorge D, décida il y a quelques temps d’enfreindre la tradition qui veut qu’un vêtement, quelle que soit sa taille, soit vendu au même prix. Une cliente anglaise de 26 ans, Beckie Williams, trouva la… mesure discriminatoire, lança sur Facebook une pétition qui recueillit 13000 signatures et annonça son intention, après avoir acheté une action de la firme, d’intervenir à son Assemblée générale. Mark and Spencer battit alors en retraite et s’excusa en déclarant : « We boobed » - boob signifiant à la fois « nichon » et « gaffe ».

 

we-boobed.jpgSi la défense des seins opprimés est capable de lever une croisade de 13 000 personnes, qu’en sera-t-il, au pays des droits de l’homme, des mésaventures qu’a vécues et que nous conte Claude-Marie Vadrot, journaliste à Politis et chargé de cours à Paris 8 ?

 

Voici, en italique, le récit qu’il en fait dans un e-mail qui se répand sur la Toile :

 

« Vendredi dernier, à titre de solidarité avec mes collègues enseignants de l’Université de Paris 8 engagés, en tant que titulaires et chercheurs de l’Education Nationale, dans une opposition difficile à Valérie Pécresse, j’ai décidé de tenir mon cours sur la biodiversité et l’origine de la protection des espèces et des espaces, que je donne habituellement dans les locaux du département de Géographie (où j’enseigne depuis 20 ans), dans l’espace du Jardin des Plantes (Muséum National d’Histoire Naturelle), là où fut inventée la protection de la nature. Une façon, avec ce «cours hors les murs», de faire découvrir ces lieux aux étudiants et d’être solidaire avec la grogne actuelle mais sans les pénaliser avant leurs partiels.

 

Mardi, arrivé à 14 h 30, avant les étudiants, j’ai eu la surprise de me voir interpeller dés l’entrée franchie par le chef du service de sécurité, tout en constatant que les deux portes du 36 rue Geoffroy Saint Hilaire était gardées par des vigiles...
- « Monsieur Vadrot ?
 - euh...oui.
 - Je suis chargé de vous signifier que l’accès du Jardin des Plantes vous est interdit.
- Pourquoi ?
- Je n’ai pas à vous donner d’explication....
- Pouvez vous me remettre un papier me signifiant cette interdiction ?

 - Non, les manifestations sont interdites dans le Muséum.
- Il ne s’agit pas d’une manifestation, mais d’un cours en plein air, sans la moindre pancarte.
 - C’est non ! »

Les étudiants, qui se baladent déjà dans le jardin, reviennent vers l’entrée, le lieu du rendez vous. Le cours se fait donc, pendant une heure et demie, dans la rue, devant l’entrée du Muséum. Un cours qui porte sur l’histoire du Muséum, l’histoire de la protection de la nature, sur Buffon. A la fin du cours, je demande à nouveau à entrer pour effectuer une visite commentée du jardin. Nouveau refus, seuls les étudiants peuvent entrer, pas leur enseignant. Ils entrent et je décide de tenter ma chance par une autre grille, rue de Buffon. Où je retrouve des membres du service de sécurité qui, possédant manifestement mon signalement, comme les premiers, m’interdisent à nouveau l’entrée. Evidemment, je finis pas le fâcher et exige, sous peine de bousculer les vigiles, la présence du Directeur de la surveillance du Jardin des Plantes. Comme le scandale menace il finit par arriver. D’abord parfaitement méprisant, il finit pas me réciter mon CV et le contenu de mon blog. Cela commence à ressembler à un procès politique, avec descriptions de mes opinions, faits et gestes. D’autres enseignants du département de Géographie, dont le Directeur Olivier Archambeau, président du Club des Explorateurs, Alain Bué et Christian Weiss, insistent et menacent d’un scandale.
Le directeur de la Surveillance, qui me dit agir au nom du Directeur du Muséum (où je pensais être honorablement connu), commençant sans doute à discerner le ridicule de sa situation, finit par nous faire une proposition incroyable, du genre de celle que j’ai pu entendre autrefois, comme journaliste, en Union soviétique:
« Ecoutez, si vous me promettez de ne pas parler de politique à vos étudiants et aux autres professeurs, je vous laisse entrer et rejoindre les étudiants ».
Je promets et, évidemment, ne tiendrai pas cette promesse, tant le propos est absurde.
J’entre donc avec l’horrible certitude que, d’ordre du directeur et probablement du ministère de l’Education Nationale, je viens de faire l’objet d’une « interdiction politique ». Pour la première fois de mon existence, en France.
Je n’ai réalisé que plus tard, après la fin de la visite se terminant au labyrinthe du Jardin des Plantes, à quel point cet incident était extraordinaire et révélateur d’un glissement angoissant de notre  société. Rétrospectivement, j’ai eu peur, très peur... »

 

Certes – pour ceux qui connaissent le blog évoqué par le vigile du Museum  http://www.mediapart.fr/club/blog/claude-marie-vadrot - la plume du journaliste enseignant est vigoureuse et téméraire et son look a de quoi agacer les maîtres d'hôtel de chez Borniol. Je nous croyais cependant, dans notre "cher et vieux pays", bien loin de tels comportements. Si les choses se sont bien passées ainsi que les décrit l’auteur, si certains personnages ont la couenne aussi sensible à la critique et s’il se trouve déjà - du plus haut niveau au sous-fifre - une telle chaîne de docilités complices, il y a de quoi se demander dans quelle histoire nous nous retrouvons…

  

* Boob or not boob : Gaffe ou pas gaffe ?


Cygnes et signes

« The black swann » - le cygne noir - de Nassim Nicholas Taleb, que j’avais découvert avec jubilation dans sa version originale, est arrivé dans nos rayons francophones et je vous invite à le lire. Un cygne noir, c’est un évènement spectaculaire qui fait irruption dans votre vie, totalement imprévu et imprévisible, et dont on se demande cependant après coup comment on ne l’avait pas vu venir. Bien sûr, on pensera à la crise financière que tout le monde aujourd’hui s’entend à expliquer alors que ceux qui l’avaient annoncée se comptent – à ma connaissance du moins – sur les doigts d’une main. Personnellement, je ne pourrais même en citer que deux : Bernard Lietaer et Paul Jorion, qui ont l’un et l’autre laissé des traces écrites de leurs avertissements. Pour la petite histoire, Nassim Nicholas Taleb avait présenté ses idées sur le cygne noir devant le top management d’une grande banque réuni à Ceylan – excusez du peu, mais il y a des cerveaux qui nécessitent des atmosphères particulières pour se nourrir. C’était quelques mois avant qu’un de leurs traders fasse éclater la grenouille à force de la gonfler, puis que les subprimes explosent à leur tour. Cependant notre penseur de l’incertain n’avait obtenu qu’un silence poli teinté de suffisance quand il avait fait l’hypothèse que, lorsqu'il se passe quelque chose de vraiment important, c’est toujours ailleurs qu’où on porte habituellement son attention.  

 

A entendre certains, nous aurions pourtant fait de grands progrès dans la détection des cygnes noirs. Et de citer en exemple la grippe cochonne. J’ai des doutes. Il y a une huitaine de jours, un grand quotidien titrait à la une : « La pandémie est imminente ». Dans le même temps, on a cité des chiffres de mortalité humaine qui étaient plus élevés le vendredi que le lundi suivant, à croire qu’il y avait eu entre temps quelques résurrections. Par ailleurs, je ne sais pas le volume des substances proches de leur date de péremption que la peur - jointe au « principe de précaution » - a permis d’écouler sur une grande échelle. Un chiffre d’affaires d’un milliard et demi de dollars, si ma mémoire est bonne, rien que pour les Etats-Unis. Ce cygne noir-là n’était peut-être qu’un malheureux cochon affublé de plumes de dindon. Si j'étais un gars de l'OMS, je prendrais le risque de regarder ailleurs.

 

Car, si l’on y regarde de plus près, est-ce parce qu’il est le rare représentant d’une espèce singulière que le cygne noir nous surprend ainsi ? Non, bien sûr. Cet animal nidifie exclusivement dans la zone aveugle de notre représentation du monde. Là, il lui faut grossir jusqu’à déborder de cette zone aveugle pour que nous puissions enfin le voir. C’est dire que sa taille sera à proportion de notre tache aveugle : rapportez cela à la crise financière issue des subprimes et vous aurez une idée de la surface qu'elle occupe dans notre cerveau. Bernard Lietaer disait d’ailleurs il y a quelques jours, à Rennes, que ce ne sont pas les crises financières – et leurs analyses - qui ont manqué au cours de l’histoire. Dès le XVIIième siècle, on trouve aux Pays-Bas la folie de la tulipe qui n’a pas grande différence avec ce que nous vivons. La tache aveugle est aussi le trou noir de notre mémoire.

 

Nous avons tous, individuellement ou collectivement des taches aveugles. C’est dans notre condition d’êtres humains. En général, dans une culture donnée, elles se situent aux mêmes endroits. C’est pourquoi, de ce point de vue-là, nous ne pouvons guère être un secours les uns pour les autres. Quelques originaux, cependant, les ont ailleurs. Ceux-là pourraient nous avertir. Mais ils nous disent des choses que nous n’entendons pas – l’oreille a aussi ses taches de surdité – ou qui nous dérangent tellement, qui nous agacent à un tel point qu’elles nous font rejeter ces fâcheux, ces empêcheurs de penser en rond, en même temps que leur discours.

 

Aujourd’hui, les originaux disent des choses du genre : la crise ne fait que commencer, les remèdes actuels n’apporteront qu’une amélioration provisoire. Ils disent aussi : pas de société durable sans une relocalisation relative de l’économie, la mondialisation est le monopoly des riches. Ou encore : les OGM sont une fausse bonne solution. Et encore : le consensus sur le réchauffement climatique est une erreur historique d’analyse...

 

Et si nous n'étions pas dans le monde que nous croyons ? Le cygne noir devra-t-il atteindre  la taille d’un pachyderme pour que nous lui accordions un regard ?