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18/04/2011

Concurrences

 

 

Depuis plusieurs années une chaîne d’hypermarchés cherche à s’implanter dans mon coin de banlieue. Les autorisations administratives lui avaient été refusées, jusqu’au mois dernier où, finalement, le permis de construire lui a été enfin accordé. La concurrence profitant au consommateur, moi qui suis un consommateur je devrais me réjouir : les prix vont baisser - n'est-ce pas ? - ou la qualité des produits et des services augmenter, ou les deux. Pourtant, je fais partie de ceux que cette implantation désole : elle va se faire, en effet, au détriment d'un bois de 18 000 m2. Bien sûr, à une poignée de kilomètres, il y a une forêt bien connue, d'une superficie de plus de 2000 hectares, où, le dimanche, quand il fait beau, on retrouve en train de suer la moitié des joggers et bikers de la circonscription. Mais, n’en déplaise aux arithméticiens qui calculeront le rapport entre les surfaces naturelles et le nombre d’habitants, ce n’est pas la même chose que d’avoir un bosquet dans son voisinage.

 

A qui profitera réellement cette implantation ? Sans aucun doute à la chaîne qui y aura un capteur supplémentaire de flux financiers. Aux quelques personnes, aussi, qui auront la chance de s’y faire embaucher. Mais ce n’est pas parce qu’il y a un magasin de plus près de chez nous que nous allons prendre un repas supplémentaire chaque jour. Cela, c’étaient les Trente Glorieuses. La tendance lourde actuelle est à l’appauvrissement progressif de la classe moyenne.  Le niveau de consommation ira donc décroissant au cours des années à venir et cette création d’emplois ne sera au final qu’un transvasement. Les caisses sans caissières, d’ailleurs, vous le remarquez sans doute aussi chez vous, apparaissent et se multiplient.

 

Alors, il faut regarder les choses en face. Nous en sommes au point où la concurrence se joue non pas entre activités marchandes, mais entre les activités marchandes d’une part et notre milieu de vie d’autre part. Et par voie de conséquence entre ce qui appartient à tous et ce qui est privatisé, partant entre ce qui est marchand, ce qui se paye, et ce qui est gratuit. Pour en revenir à mon histoire clochemerlesque, on va remplacer un lieu ouvert, où l’on peut respirer librement, dont la vue est agréable et la fréquentation gratuite, par un lieu privé, fermé, sans beauté, où dépenser de l’argent quand on en a.

 

Vous n'étouffez pas de plus en plus dans cette société qui se fonde et s’organise sur la représentation de l’humain comme un simple "agent économique" ?  Vous ne vous sentez pas bien davantage qu’un « destructeur final » - le terme consacré du marketing pour qualifier le consommateur - et, dans ces autres dimensions de votre être, vous ne vous sentez pas aujourd’hui de plus en plus nié par ce monde qui, bien sûr, est notre création, mais à qui nous laissons prendre le dessus sur nous ?

 

La vraie concurrence ne serait-elle pas, aujourd'hui, entre les représentations de l'humain ?

16/04/2011

Civilisation Alzheimer

Souvenez-vous, on a eu le grand frisson. C'était à l'automne 2008, les spéculateurs avaient fait exploser le casino mondial. On s'est cru emportés par un nouveau 1929. Des maisons célèbres - too big to fail, trop grosses pour faire faillite - furent emportées par la tourmente. Des Etats imprudents, comme l'Islande, se sont retrouvés au bord du goufre. D'autres se sont saignés pour sauver le système bancaire. On a juré "plus jamais ça". Aujourd'hui, face aux anathèmes des agences de notation, on assiste à la lente descente aux enfers des pays qui avaient les niveaux de vie les plus élevés de la planète. On s'est remis à faire de l'argent avec de l'argent et à réduire les ressources qui permettent de créer de la richesse concrète, celle qui se mange, celle qui vêt et qui abrite, celle qui soigne. On prône de nouveau le "too big to fail"...

Souvenez-vous - c'était à l'automne 2009 ? On ne parlait que de cela. Al Gore avait projeté son film - Une vérité qui dérange - aux quatre coins du monde. Jean-Louis Etienne avait mesuré la fonte des glaces polaires. On voyait des ours s'échouer avec leur morceau de banquise et certains se demandaient s'ils devaient encore se faire construire au bord de la mer. De doctes assemblées s'étaient réunies pour savoir s'il y avait, oui ou non, réchauffement climatique, et si, oui ou non, la cause en était anthropique. Puis, il y a eu Copenhague... Un trou noir. On en a même oublié les "climato-sceptiques" et l'éventualité qu'à défaut d'un réchauffement nous ayons quand même des défis climatiques, fort différents, à relever.

Souvenez-vous, c'était le 20 avril 2010, il y a aura un an dans quelques jours. C’était le début d’une gigantesque marée noire dans le golfe du Mexique : chaque jour 2 à 3 millions de litres de pétrole déversés dans l’océan et, en surface, une nappe qui, en un mois, atteignit une superficie de près de 10 000 km2. Aujourd’hui, plus un mot. Le brut a cessé de couler, l’histoire est finie. Pourtant, les atteintes au vivant, aux êtres humains et aux économies locales, ne seront pas effacées avant longtemps, si jamais elles le sont un jour.

Souvenez-vous, Fukushima : c’était le 11 mars - de cette année. Il n'y a même pas un mois et demi. Les informations, cependant, commencent à se raréfier. Sous la plume ou dans la voix de ceux qui font l'actualité, on sent venir comme l’épilogue du drame. Notre attention est requise ailleurs. Pourtant, la radioactivité suit l’air et les eaux, et le désastre, de même qu’il implique bien plus que l’aire japonaise, engage l’avenir de plusieurs générations après la nôtre.

Souvenez-vous, encore ! Les gaz de schiste ! Ce n'est même pas une question de mémoire. C’est en ce moment que cela se passe. Une spectaculaire levée de boucliers dans notre pays, tant l’exemple de ce qui se passe aux Etats-Unis est dissuasif. Des paroles d’apaisement de la part de certains représentants de l’Etat. On n’en parle plus. Circulez, il n'y a rien à voir. Eh ! bien, moi, je crains que l’histoire ne soit pas finie. Elle attend peut-être que notre regard soit tourné ailleurs pour ajouter un chapitre qu’on ne pourra plus effacer.

Jadis, l’humanité gardait la mémoire des épreuves qui l’avaient frappée. On en trouve les traces dans les légendes, les textes bibliques et ce qu’on se racontait autour du feu. Générations après générations, on y cherchait du sens. L’information, objet de méditation, traversait les millénaires.

Aujourd’hui, trois ans, douze mois, un mois, trois jours même, et le pire se noie dans la banalité alors même que son ombre continue de s’étendre. Serions-nous la civilisation Alzheimer ?

11/04/2011

Vous souhaitez le changement ?

Je me souviens de l'excellent Romain Laufer qui, lors d'un de mes séminaires, concluait son propos en disant: "Le vrai changement, c'est lorsque les références changent".

Quelles sont les références de notre civilisation ?

La grande entreprise, la consommation, l'énergie, le mesurable, le marchand, le monétaire. Cette liste n'est pas exhaustive.

Imaginons que ces références-là, bientôt, soient remplacées par d'autres: qu'est-ce que vous ressentez ?

Un peu d'angoisse quand même, non ?

Et pourtant: si le salut était de ce côté-là ?

Mais, pour vous, peut-être le changement n'est-il que d'avoir toujours davantage de la même chose.

Alors, comment pouvez-vous vous étonner de recevoir toujours plus du même résultat ?