UA-110886234-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

11/04/2011

Jeu de l'oie

Dimanche matin, à la terrasse du Pierrot, je lisais dans le journal des Sables d'Olonne qu'un jeune homme avait été arrêté après avoir dérobé des aliments et des boissons dans un hypermarché. Un véritable amateur car il avait pu être reconnu grâce aux enregistrements des caméras de sécurité!

C'est sans doute ce qui lui a valu la clémence du juge: deux semaines d'emprisonnement. Le magistrat, cependant, lui demanda s'il était d'accord pour effectuer un travail d'intérêt général. Et notre jeune homme de s'exclamer: "J'en serai ravi. Cela fait longtemps que je n'ai pas travaillé!"

Bien sûr, on peut se gausser, dire qu'il a voulu se payer la tête de la cour ou se la jouer "pauvre gars honnête'".

Moi, je constate simplement qu'on lui a proposé d'accomplir une tâche utile et je me demande pourquoi il fauit passer par la case "vous êtes en prison" pour avoir une telle offre.

03/04/2011

Fukushima

Je ne sais pas si, ces derniers jours, vous avez essayé de vous imaginer habitant les parages de Fukushima, mettons depuis un demi-siècle.  Dans les années 70 et 80, vous auriez vu s’ériger et s’étendre la centrale. Auriez-vous ressenti de l’inquiétude en vous souvenant que l’entrée dans l’Histoire du nucléaire, ce sont les bombes de Nagasaki et d’Hiroshima qui ont frappé votre pays, avec toutes les retombées bien au delà du largage fatidique ? Mais sans doute vous aurait-on expliqué qu’il n’y avait rien à craindre, que c’était du « nucléaire civil », que la technologie était parfaitement maîtrisée grâce à la compétence des chercheurs, des ingénieurs et au sérieux de la mise en œuvre, contrôlée par les organismes adéquats. Que, de toute façon, comment entrer en croissance, construire un pays prospère, créer de bons emplois, préparer un avenir radieux pour les jeunes générations - et, peut-être même, prendre au plan économique la revanche sur la défaite des armes - sans se donner les moyens d’une énergie sans limite ? Aujourd’hui, alors que la vie et la santé de millions de gens et la vôtre sont en jeu, vous demanderiez-vous si cela en valait vraiment la peine ? Trouveriez-vous que le sinistre a été largement compensé par les décennies de progrès et de croissance, par les millions d’appareils photos, de postes de télévision et de voitures vendus chez vous et à l’Occident ?

 

Fukushima doit être le début d’une réflexion approfondie. On vient de voir que le drame a frappé plus de quarante ans après la décision de créer la centrale et que ses conséquences, si l’on consent à un travail acharné et dangereux, vont s’étaler encore sur plus d’un siècle. Plus de six générations sont ainsi impliquées dans l’affaire. Un ingénieur m’objectera sans doute que le problème de Fukushima ne vient pas de la fiabilité de l’ingénierie, mais des arrangements douteux qu’il y a eus - qu’on est en train de découvrir - afin d’alléger le coût des installations. Et alors ? Peu me chaut que le manque de fiabilité soit technique ou humain ! Vous connaissez un moyen pour nous assurer contre les turpitudes humaines dans une société qui a fait de l’argent l’étalon universel ? Première question : avons-nous le droit d’engager un avenir où ceux qui prennent les décisions aujourd’hui seront tous morts, au nom d’une vision que nous avons de la réussite et de la richesse, et en mettant en péril la vie, la santé et le milieu de vie des humains qui ne sont pas encore nés ?

 

L’exploitation des gaz de schiste va me conduire à ma deuxième question. La France, ici et là, s’agite. Un pour cent du territoire national sera en effet « impacté » par cette exploitation. Un pour cent, cela n’a l’air de rien et c’est pourtant considérable. Mais un pour cent pour devenir, si j’en crois les chiffres, la deuxième Arabie saoudite du monde, franchement, tant pis pour les écureuils, les paysans et les souvenirs d’enfance ! Mais là, je me pose ma deuxième question : jusqu’où a-t-on le droit de ne pas prendre en compte l’attachement des gens au lieu où ils vivent ? Où est la légitimité d’une démarche qui nous impose l’énergie – de même que, jadis, Dieu - comme critère de décision ? On me dira que l’intérêt général commande qu’il en soit ainsi ? Vous avez dit « l’intérêt général » ? Mais quand a-t-on débattu, dans ce pays,  de ce que l’on considère comme étant « l’intérêt général » ? Quand a-t-on débattu de différentes façons de vivre et de faire société ? Quand a-t-on envisagé d’étudier sérieusement des alternatives de vie à la course folle que nous avons organisée ?  Ah ! Il est vrai que, selon certains, c’est sans appel : ou on continue, ou on retourne à l’âge de pierre !

 

Vous noterez le manque d’arguments ou d’imagination, car le retour à l’âge de pierre ressort en permanence dès qu’on se pose la question d’autres manières de vivre. C’est déjà oublier que l’Histoire ne se répète jamais. C’est oublier que, si nous ne reviendrons jamais à l’âge de pierre, nous pouvons connaître et surtout faire connaître bien pire à nos descendants qui maudiront  nos certitudes arrogantes et notre boulimie aveugle. C’est oublier, volontairement ou non, qu’au long de l’Histoire nous avons abandonné de nombreuses pistes technologiques à partir desquelles nous aurions bâti d’autres civilisations. C’est oublier que, si nous allons toujours dans le même sens, ce n’est pas que nous l’ayons décidé en conscience, c’est que l’on nous convainc à tout moment que c’est la voie unique, le fameux One best way. C’est oublier que nous avons laissé se construire des monstres économiques et financiers et que ce sont eux qui ont faim de notre boulimie… C’est oublier, enfin, que si on s’intéressait à ce que nous gaspillons d’utile – près de la moitié de la nourriture produite, par exemple - et à ce que nous fabriquons d’inutile, nous aurions déjà de quoi apaiser un peu notre fringale d’énergie et limiter les risques à prendre pour la satisfaire.

 

Alors, et le bonheur dans tout cela ? Eh ! bien, si quelqu’un, pour nous éclairer là-dessus, venait de l’avenir proche que nous sommes en train de produire, il nous dirait peut-être que, le bonheur, ce n’est pas seulement le pétrole pour transporter dans nos grandes villes, à 9 km /  heure en moyenne, une tonne et demie de ferraille et d’électronique contenant en général moins de 200 kilogrammes de chair humaine. Que le bonheur, ce n’est pas seulement l’électricité dans la prise de courant pour brancher un écran ou un grille-pain, ou le Médiator pour abréger ses souffrances. Que le bonheur, ce n’est pas d’être une simple source d’enrichissement pour ceux qui n’en ont jamais assez. Sinon, cela signifie que l’humanité, jusqu’à Three-Island, Tchernobyl, Fukushima, Bhopal, les semences stériles, Lehmann Brothers et Picrochole, n’a connu que malheur et tristesse!

 

Le bonheur, c’est aussi de vivre dans un milieu sain et d’être entouré de beauté. Quand, par exemple, arrêtera-t-on de tout sacrifier à l’énergie, y compris la beauté ? Le drame de Fukushima, dont nous n’avons pas encore vu le bout, ne nous interpelle pas à propos des dangers du nucléaire. Il nous interpelle sur la civilisation que nous voulons. Il y a un silence préoccupant dans nos sociétés dites démocratiques, c’est celui qui couvre des choix aussi importants que le nucléaire ou les gaz de schiste. Comme si nous ne pouvions qu’être tous d’accord. Comme si le « bon sens » ne pouvait qu’acquiescer à ce choix. « Qui ne dit mot consent ! » Mais, derrière cet acquiescement tacite d’une possible majorité, à supposer qu’il existe, n’y a-t-il pas pour une grande part la peur d’être isolé dans ses opinions, et celle des renoncements auxquels il faudrait consentir si l’on décidait de dire « non » ? Car, c’est sûr, une société moindre consommatrice d’énergie, surtout par rapport au niveau débridé qui est le nôtre, ne ressemblerait pas à ce que nous avons sous les yeux.  Serait-elle moins vivable, moins propre à héberger le bonheur ? L’affirmer, c’est nier tout simplement la capacité d’invention de notre espèce.