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20/06/2009

Confusion létale

Imaginez un historien des habitudes alimentaires ou de la gastronomie : il pourra vous donner avec précision toutes les recettes de la cour de Louis XIV même s’il n’a jamais touillé une béchamel de sa vie. Et il n'y a rien à redire. Pour autant, lui donneriez-vous la toque du chef ?

 

A avoir invité des philosophes à intervenir dans mes séminaires, j’ai pu faire un constat du même ordre. Il y a deux sortes de personnes qui s’intitulent philosophes: je les appellerai les "érudits" et les "praticiens". L’érudit sait tout sur tout. Il redresse une citation maladroite de Kant et le fait même en allemand. Il vous donne l’analyse la plus pointue des positions d’Epictète ou de Husserl. Grâce à lui, à condition de lui en laisser le temps, vous n’ignorerez plus rien de l’existentialisme de Sartre ou du responsabilisme de Hans Jonas. Il parle comme un livre, il est précis, rigoureux et documenté, avec des notes en bas-de-page et des renvois en fin de chapitre. Maintenant, confiez-lui un groupe de citoyens pour qu’il l’initie au difficile exercice de la pensée : il échouera. Je n’appelle pas cela un philosophe.

 

Il me semble que notre Législateur court en ce moment le risque de commettre la même confusion s’agissant d’une phrase qui a été rajoutée – allez chercher pourquoi et par qui - au projet de loi sur l’hôpital. Cette phrase, si j’ai bien compris, confèrerait d’office la qualité de psychothérapeute à des personnes qui, indéniablement, ont un savoir – leurs diplômes en font foi – mais qui, en revanche, n’ont aucune preuve de l’expérience de la relation psychothérapeutique. Vous en saurez un peu plus là-dessus en allant à cette adresse : http://www.lemonde.fr/opinions/article/2009/05/18/oui-aux-psychotherapeutes-non-aux-charlatans-par-serge-ginger-edmond-marc-et-armen-tarpinian_1194673_3232.html

 

C'est si peu anecdotique qu'un expert comme Boris Cyrulnik s'est ému de cette disposition. Le problème, c’est que voilà le Sénat soumis à la « procédure d’urgence ». Rien de tel pour éveiller ma méfiance! Encore un coup, je suis près de penser qu’il n’y a guère de choses pressantes mais surtout des gens pressés, et je m'interroge sur les intentions que cela dissimule. Nous connaissons tous de ces moments où quelque Picrochole décrète qu’il est interdit de réfléchir « parce qu’on n’a pas le temps ». Je suis un citoyen français comme les autres, j’ai du mal à voir l’urgence dans cette affaire. Je suis même inquiet que les lois promulguées dans notre pays résultent de plus en plus de réflexions ingurgitées à la va-vite, en trop grandes quantités, et mal digérées. Sans débat, il n'y a pas de démocratie. Sans le temps à lui consacrer, il n'y a pas de débat. Que sommes-nous en train de perdre de plus précieux que la vitesse à entretenir cette illusion d'une urgence permanente ?

 

D’autant que je ne serais pas surpris qu’un jour, en « procédure d’urgence », on confère aux seuls érudits l’exclusivité d’exercer. C'est souvent une pièce en deux actes. J'imagine bien Socrate qui, par défaut d’appartenance à quelque kleptocratie, ne pourrait plus mettre la plaque de philosophe au linteau sa porte ! Notez bien que ce sont les mêmes, ou à peu près, qui lui ont fait boire la ciguë en 399 avant Jésus-Christ. Quelle que soit l'époque, ils n'aiment pas les gens qui éveillent les autres. Cela fait des turbulents et des turbulences. Cela complique la vie des élites qui ont bien autre chose à faire.

26/02/2009

Eugénie Vegleris

Un bon nombre de ceux qui se rangent eux-mêmes dans le clan des «pragmatiques» et des hommes d’action honnit publiquement le mot «philosophie». Un de mes amis, à sa première réunion d’un comité de direction dans lequel il venait d’être coopté, a eu le malheur de prononcer ce mot, disant : «Ma philosophie du développement de notre entreprise…» Suivait une déclaration qui relevait tout-à-fait des dogmes managériaux en vigueur. Il n’empêche qu’à la sortie de cette réunion, l’un des caciques le prit par la manche et lui souffla à l’oreille : « Quand tu dis philosophie, j’espère que tu penses business ». Gardons-nous de ne voir là qu’une anecdote : s’assurer de l’orthodoxie du vocabulaire est, pour un système, le premier rempart contre les dérives qui pourraient le transformer. Nous ne pensons qu’au moyen des mots et décider du lexique à utiliser confère le pouvoir sur les représentations mentales, donc sur les esprits.

EVegleris.gifN’en déplaise à ce barbare, si la vie – notre vie – est quelque chose d’important, la philosophie doit l’être également. C’est en tout cas le sentiment que je retire de la lecture du récent ouvrage d’Eugénie Vegleris : « Vivre libre avec les existentialistes ». Eugénie a eu ce culot, il y a quelques années, de vouloir rapprocher questionnement philosophique et problématique des entreprises, et, pour ce faire, d’abandonner sa chaire de professeur. L’aventure semble avoir réussi à l’une comme aux autres. Ce nouveau livre s'adresse davantage à la personne qu'aux organisations car, en ce moment, beaucoup de processus convergent pour faire de celle-là un être machinal plus qu’un esprit doué de pensée et de libre-arbitre.

La clarté du propos a de quoi rassurer n’importe quel béotien qui aurait gardé de sa période scolaire des souvenirs mitigés de Kierkegaard, Jaspers, Sartre ou Beauvoir. Ce petit livre d'une centaine de pages est un trésor de synthèses limpides. Mais il est également riche de phrases vigoureuses: il vient nous chercher là où la conscience veille encore et ne nous lâche plus! Il jette des lueurs sur notre condition et permet d’approfondir cette phrase de je ne sais plus qui : «Ce qui compte, ce n’est pas ce qu’on a fait de nous, mais ce que nous faisons de ce qu’on a fait de nous».

Ce qui compte, reprend Eugénie Vegleris, c’est d’«approfondir cette condition humaine jusqu’à y trouver la liberté dont nous sommes capables ». Vous êtes prévenus: surtout ne l'achetez pas!

02/02/2009

Naissance de "Transitions"

Transitions_vignette.jpgMon ami Manfred Mack et moi venons de nous lancer dans une folle aventure: la création et la diffusion d'une nouvelle publication. Le premier numéro vient d'en être livré par l'imprimeur. Le nouveau-né s'appelle Transitions et, comme tous les parents, nous en sommes très fiers!

Transitions exprime, en premier lieu, une conviction : celle que notre monde est à une période cruciale de sa vie. Nous sommes sur cette frange de l’histoire où le désordre commence à sourdre de l’ordre que l’on croyait bien établi. Le réflexe peut être celui du déni et de la crispation. Nous pensons au contraire que ce désordre naissant rouvre des espaces qui peuvent libérer le cours de notre histoire. Nous y voyons – et nous aimerions y voir avec vous - une opportunité pour devenir – tous - des co-créateurs d’un monde meilleur et plus beau.

Transitions veut aussi démontrer par l'exemple cette autre de nos convictions - bien ancrée grâce aux travaux de Basarab Nicolescu - que, pour comprendre ce qui est en train de se produire, il nous faut sortir du cloisonnement des disciplines. Comprendre – com-prendre - c’est «prendre avec». C’est prendre plusieurs choses à la fois afin d’en élucider les relations. C’est prendre à plusieurs, parce que de différents esprits seulement peut émerger une représentation point trop appauvrie de ce qui nous interpelle. La physique quantique ne nous enseigne-t-elle pas que la matière peut se présenter comme onde ou comme particule selon l’outil que nous utilisons pour l’observer ?

Ceci nous amène à un point, pour nous, essentiel : penser ne nous place pas hors du monde. Tout au contraire, penser est s’engager. Dans son effort de maîtrise, le monde qui s’achève nous a en partie coupés de notre puissance de rupture et de création. Transitions se veut un lieu d’inspiration, une invitation à réintégrer l'audace dans nos façons de penser et d’agir. C’est pourquoi Transitions sera aussi très rapidement, pour ceux qui le souhaiteront, une occasion de se rencontrer.

Car Transitions résulte, pour ce qui nous concerne, d'un désir: celui de partager. L’aventure de la vie, un goût prononcé pour l’exploration et les rencontres improbables favorisé par les lieux d’observation et les réseaux que nos activités professionnelles nous procurent, tout cela a fait de nous des guetteurs éclectiques de ce qui émerge dans les interstices de ce qu’on appelle « la réalité ». Le produit de cette veille et nos envies d'expérimentations est ce nous avons envie de partager.

Ce premier numéro a pour thème "La conversation". Nous avons essayé d'aborder ce sujet depuis les conversations les plus intimes, celles qui naîssent au sein de nous-mêmes de nos conflits et de nos richesses intérieures, et jusqu'au registre collectif, où elles permettent de cristalliser une aventure commune. Nous avons invité à s'exprimer aussi bien la psychanalyse que la psychologie, les sciences cognitives que la biologie culturelle du Matritztic Institute, l'ethnologie que la pédagogie, la spiritualité, le développement.

Cela donne au sommaire - outre la prose des rédacteurs de la revue - des entretiens avec:

- Stanley Krippner, "Le dialogue intérieur",
- Djohar Si Ahmed, "La conversation, domaine de l'être",
- Christine Hardy, "Constellations de sens",
- Humberto Maturana et Ximena Davila, "Les mondes que nous créons naissent en réseaux de conversations",
- Alastair McIntosh, "La parole et la recherche de l'unité",
- Jean-Godefroy Bidima, "La palabre, éthique du lien social",
- Nick Wilding, "Conversations pour un monde nouveau",
- Béatrice Barras, "Conversations de chantier au Viel Audon",
- André Conraets, "Conversations pour apprendre",
- Lonny Gold, "L'attention".

Transitions est disponible auprès des auteurs. Si vous êtes intéressés, merci de m'écrire à: thygr@wanadoo.fr