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05/09/2010

On ne peut servir deux maîtres

 

On ne peut servir deux maîtres, Dieu et l'argent, a dit Jésus -et  vous pouvez remplacer Dieu par quelque noble cause si la référence spirituelle vous met mal à l'aise. A l'inverse de cette affirmation, depuis Adam Smith nous avons la croyance, cautionnée par un des pères de l'économie, que la somme des intérêts égoïstes s'ajustera avec l'intérêt collectif. Comme dit l'autre: "et en plus, ça m'arrange". Du coup, Dieu et l'argent ont tendance à se confondre et le monde qui en résulte nous apparaît comme le meilleur des mondes possible. D'ailleurs, un banquier américain - Lloyd Blankfein, P.-D.G. de Goldman Sachs - ne disait-il pas sans plaisanter qu'il « faisait le boulot de Dieu » ? En l'occurrence, ce « boulot » consiste à balayer les faibles. Drôle de conception de Dieu.

Je songeais à cette citation de l'Evangile en admirant avec quel talent, face aux critiques,  le représentant d'une grande compagnie française montrait combien celle-ci est soucieuse de ses salariés, de leur santé et de celle de l'environnement, respectueuse de ses partenaires et, pour résumer,  de l'intérêt général. Ayant bientôt une vingtaine d'années dans la formation des cadres dirigeants, je pouvais reconnaître toutes les figures de rhétorique qu'il utilisait, coulées dans un discours si fluide que seule une oreille attentive pouvait les déceler. Au demeurant, l'homme était sympathique. Je me suis demandé s'il était dupe de son propre discours ou, à moitié dupe seulement, s'il pensait servir une bonne cause, celle d'une hypothétique solidarité de fait entre les faibles et les forts. M'imaginer qu'il pût être simplement cynique et talentueux me mettait mal à l'aise.

On ne peut servir deux maîtres et, même si vous remplacez Dieu par l'économie réelle, la parole du Christ se vérifie. Aujourd'hui, l'argent sert principalement à faire de l'argent sans passer par la création de richesses telles que l'emploi, l'éducation, la santé, l'habitat, la nourriture, etc. Le peu relatif que génèrent ces activités - environ 3% de la masse monétaire en circulation - n'est que la base étroite sur laquelle repose  une spéculation insatiable qui enrichit même à la baisse ceux qui ont les moyens de la pratiquer. Le contenu d'un tanker de pétrole peut changer dix fois de propriétaire entre son point de départ et son lieu de livraison et on a vu, avec les émeutes de la faim, ce que donne une économie de marché livrée à elle-même. On fera des biocarburants pour ceux qui n'ont d'autre problème que d'alimenter leurs véhicules, au détriment de ceux qui se contenteraient de nourrir leurs enfants.

On ne peut servir deux maîtres. Quelle que soit la bonne volonté des dirigeants et des cadres d'une grande compagnie qui a pour activité de produire de vraies richesses, expliquez-moi comment ils pourraient ne pas tenir compte de la loi d'airain de la bourse ? Décider, à ce niveau-là, c'est choisir entre des intérêts contradictoires. Or, choisir, c'est renoncer. A quoi renonceront-ils selon vous, surtout si les Etats de droit ont les mains molles ou sont complices ? A tout ce qui peut empêcher la performance financière de l'entreprise. Leurs représentants, s'ils sont maladroits, vous parleront des contraintes des marchés, de la concurrence, du présent qu'il faut sacrifier pour se garantir un avenir radieux, des emplois d'aujourd'hui qu'il faut sacrifier pour préserver les emplois de demain. Mais même Mme Michu, malgré l'espoir qu'elle cherche dans les fonds de tiroir, commence à avoir du mal à les croire.

Si ces mêmes personnes sont habiles, elles  viendront vous expliquer, comme le gars que je regardais ce matin à la télévision, qu'elles sont d'accord avec vous, qu'elles partagent les mêmes valeurs, qu'elles aspirent au même monde que vous, qu'elles font d'ailleurs tout dans ce sens, à la vitesse où c'est réalisable. Elles accueilleront vos critiques d'un air peiné : comment pouvez-vous ainsi les suspecter ? Elles réciteront la longue liste de tout ce qu'elles ont déjà fait, de tout ce qu'elles sont d'accord de mettre en place et elles rappelleront l'estampille donnée par telle ou telle ONG internationale. Non pas sous la pression, mais en parfaite communion d'âme! Mais - glisseront-elles au détour d'une phrase - Rome, n'est-ce pas, ne s'est pas faite en un jour ? Et, devant votre écran, endormi par ce ton apaisant, vaincu par la bonne volonté manifeste et cet ultime bon sens, vous acquiescerez.

Cette rhétorique qui consiste à ne jamais dire "non" ni même à prononcer le mot "mais", joue en fait la pendule en attendant que résonne le gong final: la fin de l'émission ou l'oubli du problème. Elle est redoutable. J'en ai connu plus d'un qui s'y est fait prendre.  Pendant ce temps - le temps nécessaire à ce que s'installe le monde idéal - des hommes, des femmes et des enfants seront chassés de leurs territoires ancestraux, mouront de faim, de maladie, de pollution, de servitude ou de tristesse. Afin que nous continuions à avoir des fruits, des légumes et des produits manufacturés bon marché, sans manquer de l'énergie que réclame un mode de vie que nous ne remettons pas en question.

08/11/2008

EROEI*

Le monde demain, voire de tout à l'heure, quoique nous en ayons, ne ressemblera pas à celui d'aujourd'hui.

Le pétrole facile est le facteur-clé de la production industrielle de masse et de la mondialisation, autrement dit du monde que nous avons créé autour de la "société de consommation". Mais quel qu'ait été le génie de notre espèce dans cette création, l'existence des énergies fossiles a été déterminante. Sans elles, même nos idéologies seraient aujourd'hui différentes. Il n'est jusqu'au pavillon de banlieue et à l'individualisme moderne qui ne leur doivent quelque chose.

Dans les années 30, aux États-unis, lorsque vous dépensiez une unité d'énergie pour extraire du pétrole vous en receviez plus de 100 en retour. C'est un effet de levier considérable. Cependant, ce rapport de 100/1 a décru au cours des années au fur et à mesure que les meilleurs gisements s'épuisaient et qu'il fallait en exploiter de moins accessibles et de moindre qualité. En 1970, le rapport avait déjà fortement diminué, mais il était encore de 30 unités d'énergie obtenues pour une unité dépensée. Aujourd'hui, la moyenne mondiale se situe autour de 20/1 et, si l'on peut affirmer que nous n'avons pas épuisé les réserves, il convient de préciser que le rendement ira décroissant.

Si l'on regarde du côté des autres énergies, qu'on les qualifie de complémentaires ou de substitution, il faut vraiment y mettre de la bonne volonté pour croire qu'elles vont nous permettre de conserver le monde actuel au prix de simples ajustements. Avec un retour sur énergie dépensée actuellement supérieur à 23/1, l'énergie hydroélectrique arrive largement en tête. Mais la plupart des grands sites sont déjà exploités et certains de ceux qui existent commencent à être affectés par la diminution des précipitations. L'énergie éolienne, en ce qui la concerne, se situe autour de 11/1 et encore si on ne tient pas compte de la compensation des périodes sans vent par d'autres sources d'énergie. Le solaire photovoltaïque est entre 2,5/1 et 4,3/1. Les biocarburants - dont on a vu qu'ils entrent en outre en concurrence avec les cultures vivrières - affichent un modeste 2/1. Pour compléter le tableau, souvenons-nous aussi que les hydrocarbures ne sont pas les seules ressources qui s'épuisent ou dont l'extraction exige une énergie croissante. Sur la liste des pénuries à venir, nous avons le gaz, le charbon , l'uranium, et nous pouvons rajouter les métaux rares dont nos "nouvelles technologies" sont friandes.

Or, malgré ces perspectives, nous sommes semble-t-il dans le scénario du fabricant de bougies qu'obsède la pérennité de son produit. Toute son attention y est piégée: il essaye de l'améliorer, de faire en sorte qu'elle dure plus longtemps, qu'elle coûte moins cher, qu'elle brille davantage, qu'elle pue moins quand on la mouche. Il recherche de meilleures mèches, des substituts au suif ou des fournisseurs moins gourmands. Enfermé dans l'univers de la bougie, il ne voit rien d'autre. Il en oublie qu'elle est une réponse à un besoin : celui de lumière. N'est-ce pas le même aveuglement dans lequel nous nous entretenons aujourd'hui avec des concepts comme le "développement durable" qui nous laissent croire que tout va continuer comme avant ? Si, au lieu de parler de "développement durable", on parlait de bonheur ?

* Energy return on energy invested.