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20/03/2014

Retour à Colombey

 

 

Dimanche passé, pèlerinage à Colombey-les-deux-églises. 

 

Colombey-les-deux-églisesMon dernier séjour dans le village du Général avait eu pour occasion le séminaire que j’y avais organisé autour d’un thème auquel le lieu me semblait se prêter: la prise de décision. Le 17 juin 1940, en effet, deux hommes à la formation identique, militaires jusqu’au bout du képi, deux hommes qui ont vécu la Grande Guerre, ont assisté aux mêmes développements de l’Histoire et ont sous les yeux les mêmes événements, prennent des décisions diamétralement opposées. L’un, à qui est échu le pouvoir, choisit de pactiser avec l’envahisseur; l’autre, qui ne représente que lui-même, s’en va - au nom de la France - poursuivre le combat. On sait quelle cause l’a emporté, mais on ignore souvent ce qu’elle a exigé de stratégie, de foi et de détermination de la part de celui qui l’a embrassée. L’âme, a dit le philosophe Alain, est ce qui résiste. Beau sujet de réflexion qui, pour moi, met en lumière la dialectique de l’âme et de l’intelligence, la fécondation de l’une par l’autre. Si de Gaulle, du sein de la débâcle, voit les ressources immenses dont dispose encore la France - son empire et ses alliés - c’est qu’il a d’abord dit «non». Si, à la Libération, la France n’a pas vu sa souveraineté passer des mains des Allemands à celles des Américains - le plan AMGOT - c’est qu’il y avait pour lui une réalité au delà des choses matérielles. Ce que de Gaulle a sauvé, c’est la souveraineté de la France non pas seulement face à ses ennemis mais aussi aux appétits de ses alliés. 

 

Sur le chemin du retour, une question a priori étrange m’est venue à l’esprit: la France existe-t-elle encore ? Une nation n’est pas quelque chose de donné. C’est un être virtuel qui prend vie et chair par l’histoire que se racontent ceux qui s’en disent les membres, histoire au sein de laquelle ils puisent une part de leur identité. C’est un creuset où verser nos ambitions personnelles et qui nous ouvre à quelque chose de plus grand que nous, un rêve qui procure un horizon aux décisions que l’on doit prendre, une destination qui permet de distinguer les vents favorables et d’ajuster sa navigation. C’est une manière de se vouloir ensemble au monde. Le résultat de cette nation de l’âme, c’est un peuple en relation singulière avec un territoire dans lequel peut s’enraciner, se cultiver et se nourrir, de générations en générations, une identité toujours menacée, et s’organiser un univers concret. C’est un peuple en relation avec un espace dont il entend garder la maîtrise afin d’y vivre à sa manière et de s’y projeter dans le très long terme sans devoir rendre de comptes à qui que ce soit. C’est le lieu d’où l’on pourra dialoguer avec le reste du monde, sur un pied d’égalité. Existe-t-il encore aujourd’hui quelque chose de tel, que l’on pourrait appeler «la France» ?

 

Certes, les menaces qui pèsent sur nous ne s’annoncent plus par le martèlement de nos pavés. Les envahisseurs - dans notre région du monde tout au moins - n’ont pas enfilé de bottes et ils se sont revêtus d’une rassurante peau d’agneau. A l’abri de ce simulacre, ils nous ont susurré - et nous sommes nombreux à les avoir crus - que la question du pouvoir et des frontières est une fausse question, que le jeu de l’économie, vraie source de richesse pour tous, dispense de l’intervention de l’Etat et même se passe avantageusement de ce dernier, et qu’il n’y a de problèmes et de solutions que techniques. A moins de vivre au royaume des Bisounours - autre forme de nation virtuelle il est vrai - on ne peut que constater les mensonges de cette chanson-là. Des milliers de suicides de petits paysans ont été la conséquence de l’introduction au Kérala du business model des industries agro-chimiques multinationales. La biodiversité, facteur de résilience de l’écosystème dont notre survie dépend, est partout menacée par les monocultures intensives et la dispersion des OGM. Nos systèmes sociaux, fruits d’un idéal entêté et de siècles de luttes, sont mis à mal par la concurrence de pays qui n’ont sur le nôtre d’autre avantage que les formes modernes d’esclavage qu’on y pratique. La destruction de nos emplois s’accélère, ainsi que la dépendance de nos pays à l’égard de puissances financières dont la force de frappe ne doit rien à l’économie réelle et n’est que le produit d’un enrichissement purement spéculatif. Ces puissances, ici et là, ont même commencé à s’emparer de millions d’hectares sans égard pour les populations qui vivent dessus ou dont l’alimentation dépend. En même temps, inspirées et parfois financées par les envahisseurs, les législations liberticides se multiplient qui nous empêchent d’expérimenter les moyens de notre propre résilience. Quant à la dette souveraine, elle n’est rien d’autre que la botte dans la porte de la maison enfin entrouverte. Demandez à nos amis grecs ce qu’ils en pensent. Demandez aussi aux Islandais. Face aux envahissements de toute sorte - produits, règlementations, argent sale, prédateurs de tout poil - cette question prétendument ringarde du territoire et de la souveraineté nationale, parce qu’elle concerne rien de moins que le choix de notre société et de notre avenir, est plus actuelle que jamais. 

 

Pour la première fois dans l’histoire des peuples, ceux-ci ne sont pas principalement ou immédiatement menacés par un belligérant qui déferlerait sur leur sol les armes à la main «pour égorger leurs fils et leurs compagnes». La puissance dont l’ombre s’étend sur le monde n’est pas une horde de barbares hirsutes et braillards ou une armée en ordre de marche avançant au pas de charge. C’est une petite caste apatride qui dirige les oscillations d’une formidable marée monétaire où se mêlent les eaux les plus douteuses. Utilisant des conventions internationales signées par des politiques naïfs, subjugués ou corrompus, agitant des colonnes de chiffres prises pour parole d’évangile, plaçant ses agents ici et là au vu et au su de tout le monde, elle opère en toute impunité. Dans un tel monde, seule la nation - si elle veut bien s’assumer - a l’échelle, les moyens et la légitimité qui lui permettent de contenir cette subversion. Au nom de quelle prétendue légitimité supérieure, traité de ceci, directive ou constitution de cela, un peuple, aujourd’hui, n’aurait-il plus le droit et les moyens de refuser ce qu’il considèrerait comme un danger pour son territoire, pour la société qu’il a bâtie, pour l’avenir de ses enfants ? Le 18 juin 1940, en lançant son Appel, le Général de Gaulle a fait apparaître que légalité et légitimité ne coïncident pas nécessairement. Dans la suite des évènements, il a aussi démontré qu’on ne représente pas les destinées d’un peuple en débitant son héritage pour se faire apprécier des autres joueurs. 

 

Charles de Gaulle nous a laissé une histoire, celle d’une nation qui a eu le respect d’elle-même et de ses enfants: si nous acceptons de regarder plus loin que nos peurs et nos soucis égoïstes, c’est la preuve d’amour que ceux qui vivent aujourd’hui peuvent encore donner aux générations qui leur succéderont.

 

PS:

AMGOT 

http://mondediplo.com/2003/05/05lacroix

http://books.google.fr/books?id=9vyGqJuDnssC&pg=PA16&...

KERALA

http://blogs.mediapart.fr/blog/mariethe-ferrisi/071211/og...

PETITS EXEMPLES DE LEGISLATION LIBERTICIDE 

http://www.medialibre.eu/france/planter-et-cultiver-son-j...

http://www.santenatureinnovation.com/leurope-autorise-las...

https://www.youtube.com/watch?v=5SFZnuSXSag

EAUX DOUTEUSES

Jean-François Gayraud http://benedictekibler.wordpress.com/2014/03/19/puissance-reelle-etats/

AGENTS DES PUISSANCES FINANCIERES

http://www.challenges.fr/galeries-photos/galeries-photos/...

 LA BOTTE DANS LA PORTE ENTROUVERTE

http://www.courrierinternational.com/article/2014/03/26/a...

 

 

16/02/2012

Que vive la Grèce !



Autour de mes vingt ans, j'eus la chance de vivre une expérience qui, à, l’époque, devenait rare : une sorte de rite de passage à l'âge adulte. Ce rite a pris la forme d'un voyage en Grèce avec une poignée de copains qui sont restés pour moi comme des frères. Certes, ce ne fut pas la « grosse Wanderung » des jeunes diplômés allemands, ou le tour du monde qu'est en train de faire Estelle, ou le wwoofing dans l’hémisphère austral que vient de faire une autre Estelle. Ce ne fut qu'un mois dans un pays d’Europe. Mais rappelez-vous un premier détail qui avait son importance: dans ces temps maintenant si lointains, il n’y avait pas l’Internet et pas davantage de cellulaires, et, dans la Grèce d’alors, il y avait fort peu de cabines publiques et de lignes téléphoniques de qualité. Vous vous en doutez, ce n’était pas pour nous déplaire : nous étions – enfin - des chiens sans laisse ! Ce fut donc, à l’abri de la sollicitude et de l’autorité parentales, un vrai mois de liberté. Au surplus, ce fut un mois de nomadisme, à courir à la rage du soleil des routes sèches et caillouteuses, à dormir sous la tente en rase campagne – une expérience que nous faisions aussi pour la première fois. C'était en aout 1971 et le pays de Socrate était alors sous la botte des colonels. L’idée de ce voyage nous était venue l’année précédente, comme nous aidions l’un d’entre nous à décrépir une vieille ferme. Nos imaginaires nourris d’humanités s’étaient aussitôt emballés à cette perspective et nous n’avions plus rêvé que d’entrer dans ce livre aux images si familières, et ainsi, dans les mois qui suivirent, chacun finit par triompher des résistances familiales.

Nous avions établi un itinéraire qui nous faisait faire le tour complet du pays. Nous nous sommes déplacés de site en site et nous trouvions à dresser nos tentes dans la campagne environnante.  Le soir de notre arrivée, cependant, au moment d’organiser notre premier bivouac, nous eûmes un moment la crainte que les choses ne soient pas aussi faciles que nous les avions imaginées. Nous venions de longer la mer dont la variété des nuances avait ébloui les moins poètes d’entre nous, et, pour installer notre bivouac, nous ne trouvions que des terrains de hautes herbes, ce qui n’est pas le sol idéal pour planter des sardines.  Et voilà qu’en plus, sorti d’on ne savait où, un gars courait vers nous à toutes jambes en poussant des cris que nous prîmes pour une injonction de déguerpir. Quand il fut plus près de nous, nous vîmes une physionomie rassurante. Il nous répétait un mot qui ne nous évoquait rien. A force de gestes, il nous fit comprendre que ce n’était pas un bon endroit car les herbes abritaient des serpents. Nous nous apprêtions à nous éloigner, mais il nous fit signe de le suivre. Nous nous retrouvâmes bientôt devant une maison en construction – tout juste hors d’eau, comme on dit dans le bâtiment – au bord d’une petite plage, face à la mer. Et là, notre hôte – car c’est ce qu’il était en train de devenir – nous fit comprendre que nous pouvions y passer la nuit, à l’abri des reptiles et du froid. Gratuitement. Puis, il disparut.

Il n’y eut pas une soirée où les Grecs ne nous manifestèrent ainsi leur gentillesse et leur délicatesse.  Le scénario se répétait à peu près toujours le même. La nuit suivante, par exemple, nous la passâmes près d’Olympie, dans nos sacs de couchage, à regarder les étoiles filantes en faisant des vœux. Nous avions frappé à la porte d’une ferme et demandé l’autorisation de nous installer. On nous avait montré un emplacement à un jet de pierre, sur un talus. Nous avions fait réchauffer quelques rogatons sur notre bouteille de Butane et c’est seulement quand ils virent que nous avions fini notre dîner que nos hôtes s’approchèrent, avec une bouteille de retsinata et un gros morceau de fromage. Je vois encore les jeunes filles, fort timides, qui restaient un peu en retrait tout en se poussant du coude et en pouffant. Les échanges n’étaient pas faciles. Les plus lettrés de la bande avaient une bonne connaissance du grec ancien, mais l’avaient davantage pratiqué sur le papier que dans le dialogue. Nous étions plusieurs à avoir, comme nos hôtes qui avaient vécu l’Occupation, une teinture d’allemand. J’avais au surplus, par précaution et par curiosité, suivi une poignée de leçons de grec avec la méthode Linguaphone. On mélangeait tout cela, on s’en arrangeait et on passait une bonne soirée. J’avais notamment appris à dire: « Nous sommes français ». Ce qui donne phonétiquement, si ma mémoire est bonne : « Emis imaste gallika ». Je trouve que c’est une politesse de pouvoir se présenter dans la langue de ceux dont on foule le sol.  Un jour, j’eus cette réponse : « Ah ! Gallika ! De Gaulle ! Brigitte Bardot ! » C’était bon enfant et c’était un vrai bonheur. Même aux abords des grandes villes, quand la densité des touristes augmentait et que les terrains disponibles s’entouraient de grillage et de méfiance, il était rare qu’il n’y eût pas une rencontre chaleureuse. Un nom m’est resté : Spiro Damascos, un jeune architecte qui passait sur son scooter et qui nous proposa de nous montrer le chemin jusqu’au bal populaire où il se rendait.

La Grèce, bien sûr, c’est Homère, Socrate, Epicure, Platon, l’Acropole, Delphes, Délos, Corinthe, et tous ces lieux et ces esprits si nombreux qu’il faudrait des pages et des pages rien que pour les citer. La Grèce et l’âme de l’Occident sont indissociables. Mais, la Grèce, c’est aussi ce peuple de gens simples et hospitaliers que j’ai côtoyés pendant  un mois. Alors, quand je vois ce qu’il est en train de vivre, ce peuple, j’en ai mal aux tripes. « Ce n’est que justice ! » s’écrieront les gardiens du temple de la finance, les sbires de ceux qui prétendent acheter le monde grâce à l’argent créé par l’usure et la spéculation. Et moi, j’entends, en réponse, ce mot d’Albert Camus : « Je préfère ma mère à la justice ».  

Non, la Grèce, sous prétexte qu'elle a péché, ne peut pas être réduite à ce corps encore palpitant qu’on livre aux équarisseurs de service. Je ne sais pas ce que nous pouvons faire pour elle. Peut-être, au moins, de peuple à peuple, pouvons-nous lui envoyer des signes de fraternité. C'est ce que se veut cette modeste évocation de mes souvenirs. En tout cas, nous ne devons pas nous faire d’illusion : la Grèce est un miroir dans lequel nous pouvons scruter ce qui nous attend.

 

UN CHOIX DE CHRONIQUES EXTRAITES DE CE BLOG A ETE PUBLIE

PAR LES EDITIONS HERMANN

SOUS LE TITRE: "LES OMBRES DE LA CAVERNE"

03/06/2010

Le prix Nobel d'économie Amartya Sen prône la solidarité

 

http://www.letemps.ch/Page/Uuid/301cc02e-6e84-11df-a753-8...