UA-110886234-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

15/05/2010

L'écureuil et la grenouille

 

J'ai déjà utilisé la métaphore de la grenouille que l'on plonge dans une bassine d'eau tiède dont on élève la température si progressivement que le batracien ne s'en rend d'abord pas compte. La chaleur augmente et la grenouille s'adapte, jusqu'au moment où le bain devient inconfortable. Mais il est trop tard pour qu'elle puisse s'échapper de la lessiveuse : à dépenser son énergie à s'adapter, elle n'en a plus asez pour sauter.

 

Ces temps derniers, je pense que vous l'avez remarqué, la température s'est singulièrement élevée.

 

Nous avons eu un premier tsunami, financier, déclenché par l'affaire des subprimes. Souvenez-vous : ceux qui s'engraissent de spéculation sans créer la moindre richesse réelle avaient imaginé de prêter aux insolvables pour qu'ils achètent leur logement. Un substitut typiquement américain à l'absence de politique du logement social. Dans la tourmente qui s'en est suivi, quelques établissements financiers, parmi ceux que l'on jugeait alors éternels, ont disparu et les Etats - déjà bien endettés - ont dû mettre la main au portefeuille pour sauver les coupables qui avaient réussi à faire croire que leur intérêt était le nôtre. Je vous rappelle que le portefeuille des Etats, comme leurs dettes, sont les nôtres. En France, pour donner une ordre de grandeur, le service de la dette publique - le paiement des seuls intérêts - n'est même plus couvert par les recettes de l'impôt sur le revenu.

 

Cet épisode du feuilleton financier mondial à peine clos, on a vu le grand jeu recommencer de plus belle et les plus grosses primes de l'histoire pleuvoir dans la sébile des traders. Puis, comme il fallait bien trouver de nouveaux terrains de jeu, les mêmes spéculateurs, leurs clients et leurs vassaux se sont intéressés aux dettes des Etats. Résultat, la Grèce est à genoux et plusieurs pays d'Europe sont rudement ébranlés. On annonce des mesures d'austérité inimaginables il y a quelques mois. Là-dessus, la bourse remonte puis retombe : ceux que l'on appelle « les investisseurs » ont décidé que ce n'était pas assez pour les rassurer. César, debout au bord de l'arène, tend le bras, le pouce vers le sol.

 

Parmi les degrés qui ont récemment réchauffé notre bain, nous avions déjà eu un aperçu des mesures à prendre pour sauver nos régimes de retraite. Pour faire bonne mesure, on nous a dit aussi qu'il conviendrait d'augmenter substantiellement nos factures énergétiques. Dans un autre ordre, mais tout se tient, nous avons appris que les grands semenciers, spécialistes des OGM, essaient de faire passer des normes qui leur permettraient d'évacuer les agricultures traditionnelles et l'autonomie qu'elles représentent pour les peuples : soyez autonomes une fois que vous avez adopté des semences stériles ! Ce n'est qu'une étape de plus après une autre, celle du H1N1, déjà oubliée, qui nous avait montré une des manières efficaces des multinationales de prendre l'argent dans nos poches pour faire leur business.

 

Qu'il y ait des mesures à prendre pour assainir les dépenses publiques, c'est l'évidence. Mais qu'il n'y ait que cela à faire, non. Je dirais même que si on se contente de plier le genou devant le chantage de la spéculation, on va droit à l'abîme. Pour prendre une autre métaphore animalière, nous sommes comme des écureuils qui s'épuisent à faire tourner la cage dans laquelle ils se sont laissé enfermer. Courez, écureuils, courez : n'ayez crainte, votre énergie profite à certains !

 

Le salut sera au prix d'un changement de nos croyances économiques. Nous voilà dans la situation du fou à qui on donne une cuiller et une tasse en lui demandant de vider la baignoire. Il en conclut qu'il doit se servir de l'une ou de l'autre et, rationnellement, choisit la tasse qui est plus grande. Ce faisant, il se fait piéger et oublie la bonde, un moyen autrement efficace. Mais il est fou. Sommes-nous fous ?

 

Il faut, disais-je, changer de croyances économiques. C'est un fait d'histoire : toute croyance qui nous livre aux mains d'un maître est perverse et dangereuse. C'est ainsi que l'Eglise, malgré beaucoup de grandes figures profondément évangéliques, paye encore sa complicité avec des régimes d'oppression et d'injustice et d'avoir fait de la religion « l'opium du peuple » dénoncé par Marx. L'Etat doit renoncer aux idéologies qui nous enfument et redevenir le représentant de la communauté nationale, c'est-à-dire du sort des gens dont il tire la légitimité de son existence. Il doit jeter à la poubelle la vulgate d'une mondialisation sans règles et la dictature des « marchés » et de leurs grands prêtres. Il doit progressivement défaire ces boucles qui créent de la richesse pour les autres et, pour nous, de l'asservissement à des intérêts qui ne sont pas les nôtres. Il faut, d'urgence, qu'il redonne à chacun des citoyens la possibilité de gagner sa vie tout en se sentant utile. Et tant pis si les donneurs de leçons de Wall street et d'ailleurs le brocardent ou l'injurient. De croyants stupides, nous devons devenir cyniques.

 

La question, c'est, comme pour la grenouille : aurons-nous encore assez d'intelligence et d'énergie pour nous sauver avant d'être cuits ? Ou, comme pour l'écureuil : combien de temps pouvons-nous encore courir avant de mourir d'épuisement ?

 

 

30/04/2010

Les marchés

 

Cette note figure désormais dans le recueil

Les ombres de la caverne

Editions Hermann, juillet 2011

13/03/2010

Europe, ta maison brûle!

Je me targue d'avoir été des premiers à repérer l'incisif Paul Jorion alors qu'il habitait encore en Californie. Son blog - que vous trouverez dans ma liste - est d'une richesse assez exceptionnelle. Aujourd'hui, presque tous les experts, si on veut bien les croire, avaient annoncé la crise. Mais cherchez dans leurs écrits d'avant 2008 et vous aurez des doutes. Paul Jorion, lui, avait carrément écrit un livre sur le sujet et ce qu'il annonçait est arrivé. Le voilà maintenant qui met le doigt sur ce qui blesse. Non, nous n'avons pas sauvé la Grèce. L'orage s'amoncelle à l'horizon et non seulement il balaiera la patrie de Socrate, mais encore il s'apprête à emporter l'Irlande, l'Italie, l'Espagne et bientôt le Royaume-Uni. Allons-nous avoir le courage d'imposer la législation qui mette les communautés nationales à l'abri des spéculations d'un Goldman Sachs et de ses émules ? Franchement, j'en doute. La croyance à la toute puissance - et surtout la toute justesse - du marché a émasculé les intelligences politiques. On préfère mourir plutôt que paraître ridicule devant l'intelligentsia néolibérale américaine. Ce n'est pas le cas de Paul Jorion dans cette chronique à lire absolument:

http://contreinfo.info/article.php3?id_article=2993