UA-110886234-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

03/03/2008

Cygnes et signes

Qu'il s'agisse du naufrage du Titanic ou de celui de la Baring, du 11 septembre 2001 ou de la SG, qu'est-ce qui fait qu'après coup nous sommes capables de démontrer que ce que nous n'avions pas prévu était pourtant prévisible ?

Dans certains cas, on pourra invoquer un déficit d'information. Dans les exemples évoqués, il semble bien que les signes étaient là, suffisants pour alerter. Alors, deuxième hypothèse, il s'agit d'un déficit d'interprétation. Et là, il est vrai, nos mécanismes habituels de pensée sont suspects. Dans La décision*, le professeur Berthoz** postule que notre cerveau, spontanément, est un émulateur d'univers probables. Il montre en outre que la représentation précède la perception et la filtre. Nous sommes ainsi aveugles, a priori et à notre insu, aux signaux qui n'entrent pas dans la cohérence que notre cerveau, dans le moment, a choisie.

Un autre cas de figure peut relier à la fois la problématique de l'information et celle de l'interprétation: le défaut d'intelligence collective. Les signes sont là, l'information est disponible, elle a même été cueillie, mais elle est dispersée dans des cerveaux différents. Comme dans l'apologue des aveugles et de l'éléphant, l'un touche la queue, l'autre les oreilles, un troisième la trompe, etc. mais aucun d'eux, tout seul, ne peut construire l'image d'un animal qu'il n'a jamais vu. Pour cela, il faudrait qu'ils se parlent. Et encore, pas n'importe comment.

Il paraît que le capitaine du Titanic avait dans sa poche le message l'avertissant de la présence d'icebergs sur sa route. Cela vous paraît un peu gros ? Eh! bien, dans ce cas, lisez l'article publié le 7 février, sous la signature de Pascale Marie-Deschamps, par le journal Les Echos***. Peu de temps avant de rencontrer leur iceberg, les dirigeants de la banque s'étaient offert un séminaire à Prague avec Nassim Taleb, auteur du bestseller The black swan, "le cygne noir". Le cygne noir, c'est l'évènement impensable, inimaginable, inconcevable. Du moins - il faut relativiser - en fonction de nos références: en Australie, paraît-il, les cygnes sont noirs.

Le Titanic, donc, est insubmersible. Le territoire américain est inviolable. Nos systèmes de gestion du risque sont infaillibles. Le chef a toujours raison. L'enchanteur est tout-puissant. Que dit Nassim Taleb ? Que notre représentation du monde, qui se reflète dans nos stratégies et nos outils, est fascinée par le ventre de la courbe de Gauss, autrement dit par le "paradigme de la moyenne". Que, de ce fait, ce sont les extrêmes que nous devrions surveiller. Idée que défendait déjà, il y a une dizaine d'années, Yolaine de Linarés dans L'intelligence compétitive: si vous avez trop de signaux faibles à surveiller, ne cherchez pas à les probabiliser, demandez-vous plutôt ceux qui, s'ils devenaient fort, avertiraient d'un changement radical des équilibres!

Il paraît qu'à Prague les dirigeants de la banque - et j'en viens au message resté dans la poche du capitaine - ont écouté poliment le philosophe et ses spéculations. Vous voyez ce que je veux dire ? Ce n'est pas le manque d'intelligence individuelle qui constitue notre péril. C'est notre difficulté à accepter que le monde ne soit pas asservi à l'idée que nous nous en faisons. En définitive, l'iceberg est au dedans de nous. Il a pour nom arrogance.


* Alain Berthoz, professeur au Collège de France.
** Editions Odile Jacob.
*** Le Cygne noir.pdf

Commentaires

Les pilotes d'hélicoptères US lors de la guerre du Viet-Nam étaient obligés de voler au ras des arbres, très vite. Pour ce faire, il est impossible d'utiliser la vision focalisée, c'est à dire de se faire attention aux moindres sautes de terrain. Le temps de s'y arrêter et l'on a pas vu l'obstacle suivant. Ils utilisaient la vision périphérique de l'oeil. Fixant l'horizon, ils laissaient les informations visuelles du terrain venir à eux, sans se focaliser sur un obstacle en particulier. Ils pouvaient ainsi piloter vite au ras de la canopée.
Je crois que c'est un peu la même chose que décrit ton post. Développer une vision focalisée ne permet pas d'éviter les obstacles dans un univers à changements rapides.

Écrit par : swimmer21 | 03/03/2008

Il y a une posture qui seule permet d'apprendre: la modestie.

Écrit par : Thierry | 03/03/2008

Mais oui! Mais oui! Et, lors qu'en mai 2007, les électeurs français ont choisi Sarkozy, ils savaient ce qu'ils faisaient. Ils avaient été clairement informés. Et aujourd'hui...
SOS... SOS... (Save Our Sarko...)

Écrit par : Balout | 04/03/2008

Il m'est arrivé de relire des choses que j'avais écrites il y a bien longtemps, parfois dans l'adolescence... Il m'est arrivé alors de penser que c'était franchement génial ou bien totalement inepte... Ce dont je me rendais compte c'est qu'au moment où je lisais, je ne voyais pas du tout les choses comme à l'époque où je les avais écrites... Je n'avais pas ou plus les mêmes préoccupations ni les mêmes certitudes (j'en perds de plus en plus d'ailleurs. Qu'est ce que je suis désordonné !).
Bon, je vais être casse pieds, c'est là, pour moi encore, un apport au constructivisme : je ne voie que ce qui me préoccupe, je ne prévois que ce que je crois... et si la réalité ne correspond pas à la théorie, je tord la réalité jusqu'à ce qu’elle rentre dans le cadre…

Écrit par : Jean-Marc SAURET | 04/03/2008

Les commentaires sont fermés.