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25/05/2020

Se jardiner

 

 

Que se passe-t-il quand on se lance dans une activité complètement différente de tout ce que l’on avait fait jusque là ? Il y a un an, en jardinage, je n’y connaissais rien. J’avais passé une grande partie de ma vie dans les bureaux et en appartement, sans avoir le moindre bout de terrain à ma disposition. Mais j’étais parvenu à la conviction qu’il est nécessaire de rapprocher la production alimentaire de sa consommation et j’étais nourri par l’heureux souvenir des jardins de mon enfance, à Pujols, à Grosbreuil puis, plus tard, aux Sables d’Olonne.

 

Ayant hérité la maison de ma tante aux Sables, après avoir payé sa part à l’Etat, j’ai décidé de m’aligner sur mes idées et de remettre en culture les quelques ares du jardin, en friche depuis plusieurs années. Je me suis donné deux règles un peu ambitieuses: le faire selon les principes du « bio » et refuser l’utilisation de tout engin à moteur. Un MOOC des Colibris m’a un peu rassuré par rapport à la difficulté de ce que j’entreprenais et m’a donné une esquisse de compréhension quant aux principes de la permaculture. C’était fascinant: j’ai découvert que la permaculture, loin d’être seulement une méthode pour cultiver le radis sans fatigue, est une éthique et une philosophie du rapport au vivant dans son ensemble, humains compris. L’aventure commença donc intellectuellement. Pour passer de l’esprit à la matière, j’ai eu la chance de rencontrer une personne qui avait fait la même traversée, Corinne Daigre, ancienne libraire devenue agricultrice à Grosbreuil (1), qui est venue voir mon terrain et dont l’élan chaleureux m’a donné la chiquenaude nécessaire. Puis, sur FB, j’ai retrouvé l’inépuisable René Chaboy, de Liens en Pays d’Oc (2), j’ai fait la connaissance des promoteurs de l’Autonomie alimentaire, François Rouillay et Sabine Becker (3) et de tout un fourmillement d’acteurs et d’initiatives.

 

Je suis naturellement introspectif. La façon dont les choses se passent à l’intérieur de nous m’a toujours passionné. Si j’observe cette expérience personnelle, je repère quelques-uns des ingrédients qui ont facilité ce processus d’évolution. Car, aborder une activité vraiment nouvelle, en l’occurrence jardiner, c’est d’abord « se jardiner » soi-même, c'est choisir ce que vous allez semer et cultiver en vous tout autant qu'à l'extérieur. Vous êtes l’ouvrier, certes, mais vous êtes aussi la matière et l’outil de votre travail. L’un des principes de la permaculture est l’observation, notamment celle des interactions. Jardiner est justement l’occasion de créer de nouvelles interactions de soi avec un environnement à découvrir, et d’observer, tant au dedans de soi qu’au dehors. S’agissant de cette expérience, je vois donc en moi plusieurs éléments qui se sont combinés comme en une lente spirale. Il y a cette conviction, d’origine intellectuelle, fondée sur des lectures, que la fragilité du monde que nous avons construit justifie et même exige que nous rapprochions de nous la production de notre nourriture. Cette conviction est le produit d’un long dialogue intérieur stimulé et nourri par des publications comme celles de Rachel Carson (4), des Meadows (5) et de Rob Hopkins (6) - Rob que j’ai eu, en outre, l’avantage d’interviewer à Totnès en 2008. La soudaineté et l’ampleur de la crise du coronavirus, les perspectives de chaos économique qu’elle a ouvertes n’ont fait que souligner à quel point la délocalisation des productions vitales nous font vivre dangereusement. A notre insu, nous marchons sur un fil.

 

Au moteur que constitue cette conviction s’ajoute une ressource d’ordre affectif: le souvenir des jardins de mon enfance, abondants de sensations, de senteurs et de parfums, de chants d’oiseaux, de profusion végétale et animale, d’eau miroitante au fond du puits, de brises passant à travers les frondaisons. Régnaient sur ces jardins des figures familiales bienveillantes, telles que mon grand-père lotois ou ma grand-mère et mon oncle vendéens. Je n’ai pas besoin de creuser très profond pour me relier à ce passé qui fut la matrice de ma sensibilité et qui a assemblé les ressources dont bénéficie aujourd’hui ma nouvelle façon de vivre. Je suis et reste le membre d’une famille qui a sa culture et ses valeurs, j’en suis le maillon entre le passé - mon passé - et l’avenir - surtout celui de mes enfants et des enfants de mes enfants.

 

Pour que se produise le clinamen, le passage de l’intellectuel de bureau au jardinier, il manquait encore un ingrédient à ce processus : la rencontre. Au début de tout projet vraiment nouveau, au moment de faire ce que Christian Mayeur appelle un « pas de côté », nous pouvons nous sentir gauche, être renvoyé à des épisodes de notre vie où nous ne nous sommes pas trouvés à notre avantage. On peut être retenu d’agir par le sentiment que l’on a de son ignorance, de sa maladresse - voire de son inadéquation au projet que l’on couve. C’est à peu de chose près ce que je ressentais. L’échange que j'eus avec l’ancienne libraire, sur mon terrain en friche, m’a débarrassé de cette inhibition. Ce fut comme si elle m’avait dit: « Joue ! » Après tout, quel est le risque ? Tu vas rater une planche de radis ? Et alors ? Combien de stérilités cette peur de ne pas réussir n’aura-t-elle pas engendré !

 

grelinette-600x450.jpegSi je reviens dans le présent, en cette fin d’hiver, il a donc bien fallu que je retrousse mes manches. Je suis passé du clavier de l’ordinateur à la grelinette, cette providence des apprentis jardiniers vieillissants. Je me suis remis à apprendre, mais cette fois dans un registre tout autre que ceux que j’avais jusque là pratiqués. Pour les lecteurs qui ne me connaissent pas, ma vie professionnelle est passée de l’immobilier au développement territorial, puis à la formation des cadres et des dirigeants dans le milieu bancaire coopératif, et enfin à l’ingénierie de parcours de « développement de l’humain » comme Cap Senior ou Constellations. Avec la grelinette, dont je n’avais jamais entendu parler jusque là, j’avais un des nouveaux mots à accueillir dans mon vocabulaire, et, entre mes mains, un outil à manier, qui me ferait découvrir, en même temps que de nouveaux gestes, ce qu’est la terre : dure, tendre, superficielle, profonde, claire, sombre, sèche, humide, compacte, pulvérulente, hétérogène, perméable…

 

Tout a donc commencé à la fois il y a longtemps et il y a quelques mois. Mon acte séminal - c’est le cas de le dire - une fois passée la grelinette sur un carré de quatre mètres, fut de semer des fèves. Et cela, l’année où j’aurais, au printemps, mes soixante-douze ans. - A ton âge, pourquoi te fatiguer, tu ne pourrais pas rester tranquille ? - Pourquoi le ferais-je ? Pour m’ennuyer avant de mourir ? Pour que mon existence, avant qu’elle cesse, me paraisse plus longue ? J’ai, au contraire, l’impression d’ajouter une vie à celles que j’ai déjà vécues et de la semer en même temps que mes légumes. Et cette nouvelle vie est amarrée à quelque chose de plus grand que moi - la nature, dont les processus relient aux astres du ciel les obscures germinations du sol - et à des enjeux qui dépassent ma longévité. Elle me permet d’exprimer, par un modeste engagement, en même temps qu’une conviction quasiment politique, mon amour pour les miens et pour les générations à venir.

 

Aujourd’hui, je suis loin d’avoir remis en culture la totalité de ma pourtant si petite surface disponible. J’avance à mon rythme qui est lent, contemplatif et hédoniste. Mais le néophyte que je suis s’émerveille déjà. L’ail a bien pris. Mes pieds de fèves et de pommes de terre manifestent de la vigueur. J’ai, bien sûr, quelques rangs de radis. Je suis envahi par la roquette, semée un peu trop généreusement et dont la production dépasse la consommation que je peux en faire - occasion de donner ou d’échanger. Plus lentes, discrètes, les carottes se sont quand même décidées à montrer leurs tendres petites fanes. J’attends qu’apparaissent, à travers leur paillage, poireaux, oignons, choux, courgettes, haricots verts, navets, poirées, melons. Bien sûr, il y a et il y aura quelques soucis - je ne parle pas des fleurs que j’ai aussi semées. Les pieds de tomates ont un peu souffert d’une fraicheur qui s’attarde, les pucerons noirs ont attaqué les fèves alors que les coccinelles n’étaient pas encore arrivées, les oignons tardent à se montrer. Pour autant, d’ores et déjà, ce jardin me paye déjà généreusement de retour.

 

Ce n’est que le début d’un chemin dont je ne sais pas où il me mènera. J’ai déjà fait cette expérience au cours de ma vie qu’en poussant une porte d’apparence modeste, on se retrouve à avancer de plus en plus loin des voies tracées d’avance. M’intéresser concrètement au jardinage avec, en perspective, l’idée d’une autonomie alimentaire locale, m’a permis d’entrer dans une communauté - pour le moment encore très virtuelle - de kindred spirits. C’est un point fondamental. Avant de franchir le premier pas, vous pouvez souffrir d’un sentiment de solitude ou d’incongruité. Mais, comme ces cartes du métro où, en appuyant sur une touche, votre itinéraire apparaît avec ses stations, si vous acceptez de rendre votre « folie » visible, de nouveaux amis apparaissent comme escargots après la pluie. Dans une expérience que l’on aborde en apprenti, cet entourage est précieux. Il me fait penser au « Club de Vie » des pratiques narratives: le groupe bienveillant, témoin de votre histoire choisie et qui apporte son regard, sa foi et son énergie au meilleur de vous-même.

 

Je conclurai sur un thème qui m’est cher: si l’on aspire à un changement, à partir du moment où l’on accepte de semer un acte qui n’est pas la répétition d’une routine, il se passe quelque chose (7).

 

(1) https://demain-vendee.fr/reportages/les-jardins-de-corinn...

(2) Rencontré déjà il y a des années à l'occasion de mes investigations prospectives: https://lienenpaysdoc.com

(3) Auteurs de En route pour l’autonomie alimentaire aux éditions Terre Vivante. Site: http://www.autonomiealimentaire.info

(4) Rachel L. Carson, Le Printemps silencieux, Traduction Jean-François Gravand, préface de Roger Heim, Plon (Livre de poche n° 2378), 1968.

(5) Dennis Meadows, Halte à la croissance ?, Paris, Fayard, 1972. Dennis Meadows, Donella Meadows et Jorgen Randers, Les limites à la croissance (dans un monde fini) : Le rapport Meadows, 30 ans après, Rue de l'Echiquier, 2012.

(6) Rob Hopkins,The Transition Handbook : From Oil Dependency to Local Resilience, Chelsea Green Publishing, 2008 ; Manuel de Transition : de la dépendance au pétrole à la résilience locale, Éditions Écosociété, 2010.

(7) Ce que, dans Constellations, j’appelle « l’école buissonnière ».

 

19/05/2020

Le coronavirus et les montres molles

 

 

51-a-f0vz+L._AC_.jpgAlain Berthoz (1), dans un séminaire que j’avais organisé autour du thème de la décision, expliquait que notre cerveau est une machine à décider en permanence. C’est, disait-il, un « émulateur d’univers possibles » qui, à chaque instant, balaye les repères disponibles pour choisir le plus probable. Au cours de ces derniers mois, mon cerveau a eu beaucoup de mal à trouver des repères et décider dans quel monde j’étais. Tout était devenu aussi incongru, aussi incohérent que les montres molles de Dali, dont je crois qu’elles sont une bonne métaphore du moment que nous vivons. Confrontés comme nous l’étions à une pandémie dont l’agent était encore inconnu de nous la veille, nous avons été noyés par une information aussi surabondante que contradictoire. Jusqu’à l’orchestre gouvernemental qui nous a joué, pourrait-on dire, la symphonie des couacs. Face à cela, il me semble que beaucoup de gens ont fini par se désintéresser de comprendre. Comme s’ils abandonnaient l’intelligence de la situation à de vagues autorités supérieures. Comme si obéir aux règles édictées par ces mêmes autorités leur suffisait et les dispensait d’une réflexion personnelle. C’en était au point que, pour certains, critiquer les mesures du confinement même en les respectant à la lettre était inadmissible. Le plus perturbant pour moi a été que certains de mes amis, dont je prise l’intelligence habituellement mâtinée d’indiscipline, se découvrirent étrangement conformistes dans leurs prises de position.

 

C’est qu’il y a doute et doute. Il y a le doute cartésien, serein, détaché. Il y a le doute angoissé quand, par exemple, sur des questions vitales, les experts se contredisant et la confiance en toute image d’autorité s’étant ramollie comme les montres se Dali, on ne sait plus à qui ou à quoi s’appuyer. Il y a, englobant celui-ci, l’ébranlement des certitudes qui faisaient le monde dans lequel nous vivions, ces possibles et impossibles d’Andreu Solé auxquels je fais souvent référence ici.

 

Pour mesurer à quel point, en dépit de l’ébranlement formidable que nous venons de subir, notre répulsion pour le doute peut résister, je vais évoquer un des sujets de ces dernières semaines qui fut l’occasion d’empoignades et d’attaques ad hominem pitoyables : la nature véritable du covid-19. Je n’ai toujours pas compris pourquoi tant de dignes personnages, l’invective à la bouche, sont tombés à bras raccourcis sur le professeur Luc Montagnier quand il a fait connaître sa conclusion que le coronavirus était le produit d’une ingénierie, échappé par accident d’un laboratoire. J’ai lu les mots « gâteux », « délire » et évidemment « complotisme ». Qu’est-ce que cela aurait été si, au lieu d’évoquer un accident, Montagnier avait émis le soupçon d’un acte volontaire ! Mais il s’en est tenu à ce dont, en tant que co-découvreur du HIV, il peut parler: la composition selon lui insolite de ce covid-19, qu’il avait étudiée avec l’aide d’un bio-mathématicien, Jean-Claude Pérez.

 

Pourquoi cette hypothèse serait-elle déraisonnable au point que le prix Nobel qui l’a formulée méritât tant d’injures ? N’entrons pas dans le débat de spécialistes que nous ne sommes pas, ne prenons même pas en compte les protagonistes: la « communauté scientifique » est rien moins que rationnelle. Elle a comme toute communauté humaine ses oeillères, ses croyances, ses coteries et ses partis pris. Comme toute communauté humaine, elle est traversée d’ambitions, de jalousies et de mesquineries. Par dessus tout, elle est soumise à ces concurrences impitoyables qu’attisent, depuis le triomphe du capitalisme, le besoin de sponsoring, les promesses de chiffre d’affaires et de plus-values boursières chères aux actionnaires. Laissons tout cela de côté et voyons seulement comment d’honnêtes gens, raisonnables, vous et moi, peuvent mettre dans leurs impossibles la thèse d’un virus fabriqué en laboratoire.

 

J’imagine quatre explications basiques, certaines techniques, d’autres morales. Nous tendons à refuser la thèse d’un virus « amélioré » ayant pris la poudre d’escampette:
- parce que nous pensons que c’est de la science-fiction, que les savants d’aujourd’hui ne sont pas capable de le fabriquer ;
- parce que, si tel est cependant le cas, nous sommes convaincus qu'un virus ne saurait s’échapper d’un laboratoire soumis aux protocoles de sécurité les plus draconiens qui soient ;
- parce qu’il est inenvisageable qu’un être humain, pour quelque raison que ce soit, ait pu délibérément ouvrir la porte au virus ;
- et, enfin, parce que l’on n’imagine pas des scientifiques prendre le risque de créer des chimères aussi dangereuses.

 

Mais l'espèce humaine n'a-t-elle pas été capable d’inventer la bombe atomique ? N’a-t-elle pas imaginé et utilisé les chambres à gaz ? Croyons-vous que, s’il y a des laboratoires de haute sécurité comme celui de Wuhan, c’est pour y cultiver des champignons de Paris ? En ce qui concerne la confiance que l’on peut avoir dans les systèmes de sécurité, faut-il nous rappeler Three-Mile Island, Fukushima, Tchernobyl ? Enfin, quant au domaine de la morale, les colons américains n'ont-ils pas distribué aux Peaux-Rouges des linges volontairement infectés de la syphilis? L’ypérite n’a-t-elle pas été utilisée pendant la guerre de 14-18 ? La bombe atomique n’a-t-elle pas été larguée sur Hiroshima et Nagasaki? Et les kamikazes n’existent-ils pas ? Tout cela me fait penser au feu rouge: nous savons que quelqu’un pourrait le griller, mais quand nous nous engageons au vert, cela fait partie des impossibles.

 

Il est loisible de se demander, à l’inverse, pourquoi on peut affirmer que le covid-19 n’est pas une création humaine échappée d’un laboratoire. Les déclarations des personnes potentiellement en cause suffiraient-elles à gagner notre confiance ? Croyez-vous que, s’il y a eu une erreur ou pire - par exemple les maladresses d’un piratage industriel - les responsables ou les coupables se précipiteront la main sur le coeur pour en faire l’aveu ? Au delà des convictions scientifiques sincères mais dont on a vu qu’elles peuvent s’opposer, il y a selon moi quelques raisons principales qui invitent à soutenir la thèse d’un virus naturel. Du côté des politiques, c’est le souci récurrent de ne pas exciter la révolte de la population et, dans certains pays, de ne pas mettre leurs sponsors en difficulté. Du point de vue de la Chine, l’humiliation serait insoutenable sans parler des conséquences qu’en subiraient ses exportations et son rayonnement international. On a vu aussi que, très vite, le racisme hélas! a trouvé à se nourrir. Quant aux nombreux pays qui doivent compter avec Pékin, ils ne peuvent que soutenir la thèse qui ménage la susceptibilité chinoise. Mais, selon moi, la vraie raison de soutenir la thèse d’un virus naturel a une origine louable: la passion de la recherche. Or, entre autres aux Etats-unis, il y a une forte opposition aux travaux que l’on peut associer à la production d’armes bactériologiques. Si l’on venait à apprendre que le covid-19 est le résultat d’une ingénierie, les citoyens pourraient exiger la fermeture des officines qui conduisent ce genre d’expérience. Partout, le monde de la recherche de pointe serait alors en deuil. Concomitamment, les actionnaires des laboratoires aussi.

 

(1) Professeur au collège de France, auteur, entre autres livres, de La décision, Odile Jacob, 2003.

10/05/2020

Le déconfinement d’Aristée

 

Fiction

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21 novembre
Depuis quelques jours, sur la Toile, les problèmes se multiplient. Alors qu’à la faveur de ce troisième confinement, j’essaie de mettre en ligne des informations sur notre site des « Desperados Philosophes», l’Internet n’arrête pas de planter ! A croire que tous mes voisins encombrent la bande passante avec leurs téléchargements !

 

 

23 novembre
Parmi les pages auxquelles je suis abonné, deux seulement fonctionnent à peu près: celle des « Jardiniers amateurs de la Haute-Baïse » et celle des « Amis du Rouge-Gorge ». Sinon, mettre en ligne un post ou un lien sur ma propre page est interminable !

 

25 novembre
Je viens de me faire interdire de publication pour trois jours ! J’avais mis en ligne un article sur de nouveaux traitements contre le covid41. « Fake ! » ont décidé les algorithmes. Pas de réponse à ma contestation. Bon, on commence à en prendre l’habitude, c’est comme ça ! Mais, bientôt, il n’y aura plus à voir que des vidéos de chats !

 

28 novembre
Une caricature du président, que j’avais partagée, a été censurée. Elle le représentait engoudronné, roulé dans la plume, dévalant une pente dans un tonneau. Motif de la censure : « Appel à la violence ». Il est vrai que les images violentes font un monde violent.

 

3 décembre
Il paraît que certains articles évoquant l’anniversaire du Coup d’Etat du 2 décembre 1851 ont eu droit à la mention « Fake » !

 

18 décembre
Visite de la police. Cela ne m’était jamais arrivé !
- Il y a des gens qui se demandent ce que vous faites dans votre jardin.
- Comment cela ?
- Qu’est-ce que c’est, cette histoire - il regarde un bout de papier qu’il a sorti de sa poche - cette histoire de « permaculture » ?
- Une façon de cultiver son potager, sans apports chimiques.
- Vous ne fabriquez pas des substances illégales pour remplacer les produits chimiques du commerce ?
- Des substances illégales ? Quoi par exemple ?
- C’est à vous de nous le dire !
- Je ne fais que du compost, ce qui est légal.
- On peut voir ?
- Vous pourriez me dire qui se demande ce que je fais dans mon jardin ? Tous les voisins sont au courant, d’autant plus que je leur redonne des légumes quand j’en ai trop.
- Désolé, je n’ai pas le droit de vous le dire. Au fait, je ne vois pas beaucoup de légumes.
- Nous sommes en hiver…
- C’est quoi ça ?
- C’est là que je fais mon compost.
- Drôle d’odeur.
- Ben, oui, c’est du végétal en décomposition qui deviendra de l’humus.
- Il n’y aurait pas quelques gentils plants de cannabis là-bas ?
- Non, ça, c’est un jeune mimosa !
- Et là, sous le… plastique ?
- Des plantations de pommes de terre.
- Vous êtes sûr ? Elles sont bizarres ces feuilles…
J’y vais et, avec tristesse, j’extrais une patate et la jette avec ses feuilles aux pieds du flic.
Il prend l’air pensif d’un bouledogue en pleine digestion.
- Vous savez, je ne devrais pas vous le dire, mais il n’y a pas que votre jardin qui fait problème.
- Comment cela ?
- Il y a… comment dire ? Vos idées!
- Mes idées ? Vous connaissez mes idées ? Quelles idées ?
- Sur votre toit, c’est quoi ?
- Des panneaux photovoltaïques.
- Et le jardin ?
- Pour avoir de quoi manger!
- Vous avez bien devant votre maison un panneau incitant les gens à « l’autonomie alimentaire » ?
- Oui. Où voulez-vous en venir ?
- Vivre retranché de la société normale, cela ressemble à de l’anarchisme, vous ne croyez pas ?
- Je ne fais de mal à personne. Il s’agit juste de se prémunir des pénuries, et vous avez pu constater qu’il y en a.
- Les anarchistes ont la réputation de vouloir détruire la société. Au fond, derrière vos airs de bisounours, vous êtes des violents.
- Moi ? Je suis violent ?
- Arrêtez de faire l’innocent. On n’ira pas plus loin aujourd’hui. Considérez que nous sommes juste passés vous avertir.
- M’avertir ? De quoi ?
- Faut vous calmer Monsieur. OK pour le jardin. Mais le reste…
- Le reste ? Quel reste ?
Il a levé la main d’un geste vague qui aurait pu signifier: « Allez vous faire f… » Puis, il est remonté dans la voiture en claquant la porte. Je ne sais pourquoi, ils sont repartis en riant, gyrophare allumé et sirène à fond. Les voisins sont sortis devant leur porte, m’ont vu au bord du trottoir, mais ils sont rentrés chez eux quand je m’apprêtais à leur parler. Faut dire que le vent souffle du nord. Je vais essayer de sauver la malheureuse pomme de terre que j’ai arrachée à son isolement confortable.

 

25 décembre
Joyeux Noël: panne générale de l’Internet ! Une première !
Qui donc m’avait expliqué, il y a deux ou trois décennies, que le Net ne pouvait pas tomber en panne ? Que l’information arriverait toujours à se frayer un chemin sur l’infinité des réseaux qui font la Toile ?
A la télévision, B explique qu’il fera tout ce qu’il peut pour continuer à apporter les services de sa plateforme à l’humanité. Il est vrai qu’on ne saurait plus s’en passer. Elle a remplacé les cartes postales aux amis, les journaux, les réunions au bistro… Alors que les confinements se succèdent, elle est l’espace de liberté, l’espace relationnel qui nous reste. C’est toute la vie de la planète qui s’y reflète.
Les experts se disputent sur la cause de la panne. On croirait le théâtre de Guignol. En fait, aucun d’eux ne sait quoi que ce soit, mais ils sont prêts à s’entretuer.

 

26 décembre
La panne aurait été revendiquée par un groupe terroriste. Aucune précision sur les auteurs et la technique qu’ils ont utilisée. En attendant que l’Internet fonctionne à nouveau, nous en sommes réduits aux chaînes de télévision. Un tiers de pub, un tiers de communications du Gouvernement sur le covid41 (avec le décompte journalier des victimes), un tiers de vieux matchs de foot et de navets.

 

2 janvier
On vient d’apprendre que les terroristes seraient de « l’Ultra-droite », des déséquilibrés mal à l’aise dans notre monde progressiste: créationnistes, anti-LGBT, anti-vaccins, anti-féministes, négationnistes, anti-FB, anti-agriculture industrielle, anti-confinement, et je ne sais quoi encore. Un salmigondis. Le président nous a gratifiés d’une allocution à vingt heures. Il a évoqué les heures les plus sombres de notre histoire et conclu, très martial : « La barbarie ne passera pas! C’est une guerre et nous la gagnerons !»

 

5 janvier
L’Internet fonctionne à nouveau, moins rapide qu’avant. FB a été rétabli, mais il semble que la panne l’ait rendu Alzheimer. Je n’y trouve plus ma page. Le système ne me reconnaît pas. Pourtant j’étais sûr de mon identifiant et de mon mot de passe. « Pour accéder à nos services, vous devez vous inscrire. » Je me sens comme blessé par cet oubli de ma personne, moi qui, depuis plusieurs décennies, l’ai utilisé jusqu’à plusieurs heures par jour, lui laissant puiser toutes les informations qu’il voulait sur ma vie et mes idées. C’est comme la trahison d’un ami !

Je viens de me relire: je crois que je commence à dérailler. Ce troisième confinement est de trop pour moi.

 

15 janvier
Sur ma nouvelle page, je suis suspendu une semaine pour avoir publié un document « contraire aux règles de la communauté ». Il s’agissait d’un reportage sur l’usage des plantes au fin fond du Brésil, chez les Yanomami ! C’est vrai que les plantes médicinales n’ont jamais été en odeur de sainteté sur cette plateforme dont le propriétaire à déclaré qu’il n’y croyait pas.

 

16 janvier
Cause de la censure: on y voit des enfants nus ! Mais, les Yanomami, ils vont tous tout nus, tout le temps !

 

18 janvier
La police est revenue!
- Il paraît que vous recevez des enfants chez vous ?
Je crois avoir mal entendu.
- Des enfants ? Quels enfants ?
- C’est à vous de nous le dire.
- Qui vous a dit cela ?
- Je n’ai pas à vous répondre. Alors ?
- Je ne reçois que mon petit-fils que ses parents m’amènent parfois à garder.
- Comment s’appellent ses parents ?
- Pouvez-vous justifier cette inquisition ?
- D’abord, le mot inquisition n’a rien à voir ici, ensuite je n’ai pas à justifier quoi que ce soit. C’est dans le cadre d’une enquête. Le nom et l’adresse des parents du gamin ?
Je m’exécute.
- Le gamin ?
- Que voulez-vous dire ?
- Ne faites pas l’idiot avec moi. Nom, prénom, date et lieu de naissance du gamin.
C’est un cauchemar stupide. Je vais sûrement me réveiller.
- Vous savez, Monsieur, que le gouvernement a lancé un grand plan de lutte contre la pédophilie ?
Ce n’est pas un de ces cauchemars dont on se réveille.
- C’est une des rares bonnes choses qu’il aura faites. S’il va jusqu’au bout, ce qui m’étonnerait.
- Je suis un représentant de la loi, donc du Gouvernement, je ne puis accepter ce langage.
- OK, je retire ce que j’ai dit.
- Bon, faites en sorte qu’on n’ait pas besoin de revenir.
Ils repartent, gyrophare allumé, sirène à fond. Les voisins ne sont pas sortis, mais j’ai vu aux fenêtres des rideaux se soulever.
Mais qu’est-ce que c’est que cette histoire de gamins que je recevrais chez moi ?
Je résiste à l’idée que quelqu’un, à mon insu, m’en veut et abuse d’une relation qu’il a avec la police pour distiller des calomnies. Mais qui ? Et pourquoi ?
Il y a bien ce voisin qui, il y quelques années, alors qu’il venait d’emménager, trouvait que mon potager faisait désordre dans le quartier. Ne pouvais-je pas empierrer, bétonner et mettre trois ou quatre fleurs comme tout le monde ? Je lui avais répondu un peu vertement. La stupidité m’agace.
Pierre, que j’ai appelé au téléphone, me dit : « Souviens-toi, Aristée, c’est lorsqu’on fait peur que l’on se met en danger.
Mais qui pourrait bien avoir peur de moi ?

 

21 janvier
Un article royaliste - il y a encore des royalistes ! - a été censuré. Il dénonçait la décapitation de Louis XVI et appelait au retour des Bourbon sur le trône de France! Motif de la censure: « Incitation à la violence ». Quelle violence ? Celle de la décapitation ou celle de l’appel au retour de la monarchie ?

 

22 janvier
Du fin fond de ses montagnes, Pierre m’appelle. Il me pose un question bizarre:
- Aristée, pourrais-tu me dire à quelle heure tu m’as envoyé des mails ces derniers jours ?
Il fait comme moi partie des « Desperados Philosophes» et nous nous écrivons fréquemment, jusqu’à plusieurs fois dans une même journée en fonction de l’actualité. Je lui donne les jours et heures de mes messages depuis le début de la semaine. Il pointe au fur et à mesure.
- Je les ai quasiment tous reçus, mais avec un retard de deux heures ou plus, et il y en a deux que je n’ai pas encore… Comment expliques-tu cela ?
- L’Internet marche très mal depuis la Grande Panne. En plus, toi-même, tu vis dans un lieu on ne peut plus reculé.
- Il marche très mal ou bien il y a des interférences ?
- Que veux-tu dire ?
- Est-ce que la mise en place d’une surveillance de masse pourrait expliquer ce phénomène de ralentissement ?
- Qui voudrait donc espionner tout le monde ?
- Aristée, je crois qu’on est mal. L’Internet n’est plus sûr du tout.
Pierre a toujours eu l’imagination du romancier qu’il est. Je crois qu’il aurait aimé vivre au temps de la Résistance.

 

23 janvier
Sur la page des « Desperados Philosophes », en commentaire à un post que j'ai rédigé sur La Boétie, ces mots, signés d’une identité fantaisiste : « Arrêtez de bourrer le mou des imbéciles avec vos idées de m¨¨¨ . On est tous en danger. Seule la discipline nous sauvera. Vous êtes une secte dangereuse! ». Une dizaine d’inconnus, sûrement des complices, ont « liké » le commentaire en rajoutant parfois des injures choisies… Les « Desperados Philosophes », une secte !

 

25 janvier
J’ai reçu un mail bizarre. Il m’a fait penser à ceux où un inconnu offre de vous léguer sa fortune. Ce message-là, dans un français du même acabit, me proposait un rendez-vous pour mettre au point le « projet ». Suivait un n° de portable à appeler pour convenir du lieu et de l’heure. J’ai pensé à une prostituée tapinant sur la Toile en dépit du confinement, ou à un traquenard. Poubelle!

 

26 janvier
Les flics sont revenus.
A mon ébahissement, ils m’ont parlé de ce message. J’ai ouvert mon ordinateur et je l’ai retrouvé dans la poubelle.
- C’est celui-là ?
- Vous l’avez donc gardé ?
- Je ne vide pas ma poubelle tous les jours.
- Mais vous l’avez gardé. Qui vous l’a envoyé ?
- Je vous l’ai dit, je n’en sais rien. Mais, vous, comment êtes-vous au courant ?
- Vous recevez des messages d’inconnus ?
- L’Internet foisonne de ce genre de messages.
- L’internet « foisonne » ! Monsieur a des lettres !
Il doit lire mes posts sur la page des « Desperados philosophes » ! Non, ce n’est pas possible.
- Il y en a plein, si vous préférez.
- Je sais ce que veut dire le mot « foisonner ». Ne prenez pas les représentants de l’ordre pour des ignares !
Je me tais. Je ne vais pas agiter une muleta devant ce bovidé. 
- Vous vous êtes présenté à ce rendez-vous ?
- Je ne réponds jamais à ce genre d’invitation.
- Pourquoi n’avez-vous pas porté plainte ?
- C’est banal et il ne contient aucune menace explicite.
- Vous savez ce qu’a dit notre président: chacun d’entre nous est responsable de la sécurité de tous! Derrière ce mail, il y a sans doute des gens dangereux. Mais peut-être voulez-vous les protéger ?
J’en reste bouche bée.
- Vous vous souvenez de ce que je vous ai dit ? « OK pour le jardin. Pour le reste, calmez-vous. »
Je me ressaisis:
- Vous ne m’avez pas répondu quand je vous ai demandé ce qu’était « le reste »!
- N’essayez pas de jouer au plus fin !
Là-dessus, je m’attendais à je ne sais quoi d’autre. Ils sont repartis comme ça.
Je sens comme une sorte d’escalade de leur part. D’abord, le jardin, ensuite une accusation à peine voilée de pédophilie et, maintenant, ils sont au courant d’un mail que j’ai reçu ! Mais que se passe-t-il donc dans ce pays ? Qu’ai-je fait ? Qui croient-ils que je suis ?

 

27 janvier
Je n’en avais qu’une vague impression, mais il est clair que les voisins m’évitent.
Invraisemblable ! Je devrais peut-être me calmer. C’est le confinement qui excite ma parano. Comme disait je ne sais plus qui: il n'y a pas de délire d'interprétation, toute interprétation est un délire ! 
Encore que… les efforts que nous faisons pour rester raisonnables nous abusent parfois davantage que le ressenti dont nous essayons de nous défendre ! Pff...

 

28 janvier
A Paris, après avoir signé une nième pétition sans réponse, des centaines de médecins qui réclamaient qu’on leur rende la liberté de prescription ont été dispersés par la police. Violemment.

 

29 janvier
Les toubibs sont revenus à la charge, avec le renfort de centaines de pompiers et de quelques citoyens las du confinement. Beaucoup de blessés, des éborgnés, une main arrachée. Le ministère dément toute brutalité. Cela me rappelle des souvenirs de ma jeunesse.

 

30 janvier
Des parents et des amis s’inquiètent de n'avoir plus aucune nouvelle de personnes qui ont participé à la manifestation d’hier. Parmi celles-ci, il y avait un chirurgien qui devait opérer aujourd’hui. Son équipe a lancé un appel. Le ministère de l’Intérieur a parlé d’enfumage et rappelé que la priorité du Gouvernement était la santé de la population, donc le confinement. Le covid41 est le pire fléau auquel l’humanité ait jamais été confrontée et les attroupements, même modestes, peuvent entraîner des milliers de morts par propagation du virus. Interrogés à l’antenne, des téléspectateurs ont exprimé leur angoisse et soutenu l’action répressive du ministère.
Tout de même, cogner sur des toubibs, des gens qui ne veulent qu’une chose: soigner leurs patients…
Commentaire trouvé sur FB: « Par leur métier, ils (les médecins) sont bien placés pour connaître les enjeux. ils pourraient faire l’effort d’attendre la sortie du confinement au lieu d’obliger l’Etat à recourir à la violence pour protéger la population ».
Pierre me dit que, justement, ils savent certainement quel est le vrai danger !

 

31 janvier
Mauvaise nouvelle: malgré ce troisième confinement qui dure depuis cinq mois, une vague pandémique pire que les autres est à craindre. Des comportements irresponsables, notamment des manifestations organisées en dépit du bon sens, en seraient l’origine. Les services d’urgence réclament des moyens. L’Etat a promis d’emprunter à BlackRock pour les financer, prévenant qu’on sera sans doute obligé de vendre des biens nationaux pour renflouer le pays. Avant même qu’on l’eût appris, Disney avait déclaré son intérêt pour le château de Versailles! Je me demande ce qu'ils en feraient. Déjà que Notre-Dame de Paris... 
On annonce aussi l’imminente mise au point d’un vaccin qui ne coûterait que 375 euros la dose. Pour les personnes imposables, le montant sera prélevé d’office à la source avec l’impôt sur le revenu. Son administration serait obligatoire sous peine d’amende et, en cas de récidive, d’emprisonnement. Certaines officines clament que ce n’est pas sérieux, que la piste du vaccin est illusoire attendu que le virus mute sans cesse. Selon elles, il vaudrait mieux miser sur les antibiotiques.
Comment s’y retrouver ?

 

1er février
Une émission de télévision du genre « fouille-m*** » prétend, vidéo à l’appui, que le Gouvernement fait creuser d’immenses fosses communes. Le premier ministre dément. Les « complotistes » y voient la preuve que la vidéo est vraie, sinon l’Etat ne prendrait pas la peine de démentir ! Raisonnement un peu compliqué…
Sur FB, une nouvelle mode : « Je suis Mozart ».

 

3 février
La vitesse de l’Internet s’est nettement améliorée.
La vidéo des fosses communes a été partagée des millions de fois en quelques heures avant d’être censurée. Sur la toile, les propos paniqués ont atteint un sommet. De même que les invectives aux irresponsables qui ont contribué à la propagation du mal. Le Gouvernement a déclaré qu’il réclamerait des explications à la chaîne concernée et qu’il y aurait des sanctions. En attendant, mot d’ordre à toute la population: « Restez chez vous ». Selon certains experts, il serait même pertinent de prolonger le confinement de neuf mois. Les enquêtes d’opinion disent que plus de quatre-vingt pour cent des sondés affirment leur confiance dans le chef de l’Etat.
Neuf mois de plus ? J’ai peur de ne pas tenir !

 

4 février
Un passionné des séries télévisées américaines des années 80 a révélé que la vidéo des fosses communes était la copie d’une séquence empruntée à un vieil épisode d’X-Files. L’extrait qu’il avait mis en ligne à l’appui de ses propos a été banni avec l’étiquette « Fake »! Mais qu’est-ce qui constitue le fake ? La vidéo ou la dénonciation de la vidéo ? Questionnés, les chasseurs de fake ont fini par répondre que X-Files était l’exemple même de « fiction complotiste ».
Pierre a une théorie. Il n’y a pas de fosses communes. Le Gouvernement, bien qu'ayant démenti, a laissé à la vidéo le temps de se répandre avant d’en interdire la diffusion. En fait, il aurait organisé une « fausse divulgation complotiste », sachant que la peur ainsi créée rendrait le bon peuple complice de la levée très partielle du confinement. Ensuite, il dément, il censure et il est irréprochable.
J’ai du mal à croire que, dans la réalité, les choses soient aussi tordues.

 

9 février
Je n’en peux plus. Les règles de déconfinement sont tombées: on reste chez soi jusqu’à la fin de l’année, sinon c’est l’attestation de sortie, validée au poste de police ou par une autorité déléguée, complétée, au choix, du smartphone avec une app de traçage, d’une puce sous la peau ou d’un bracelet électronique de cheville facturés cent cinquante euros. Jamais la côte du Gouvernement n’a été aussi bonne. Pierre évoque le syndrome de Stockholm. 

Jamais je n’ai été aussi désespéré. Est-ce une vie que celle qu’on nous impose, fût-ce à raison ?

 

10 février
Mon grand-père est mort il y a plus d'un demi-siècle et, cette nuit, j’ai rêvé de lui ! Nous sommes devant un baraquement miteux. Il est en uniforme militaire. On entend des ordres brutaux, le bruit d’un seau qu’on vide. Il me regarde avec ce sourire au fond des yeux que j’ai connu: beaucoup d’affection et une touche de malice. On dirait qu’il me jette un défi, avec la certitude que je le relèverai. Je me réveille là-dessus.
Fait prisonnier lors de la débâcle de 1940 et envoyé dans un Stalag en Allemagne, il avait tenté plusieurs fois de s’évader et finalement réussi à rejoindre la France et la Résistance. A pied, cela avait représenté près de mille kilomètres, en marchant de nuit, en se cachant, en chapardant pour se nourrir, en traversant des rivières à gué ou à la nage…


La scène du rêve était étonnamment réelle. Je sentais un léger souffle d’air printanier sur mon visage.

 

31 mars
Une thèse folle court la Toile. On aurait trouvé des covid chez de vieux Esquimaux en excellente santé, dont on est sûr qu’ils n’ont pu être contaminés. Depuis le début, on se tromperait du tout au tout. Si j’ai bien compris, il y aurait en fait des covid partout. Chercher des covid serait comme chercher des globules rouges dans le sang: on en trouvera forcément. Ils ne seraient pas plus responsables que d’autres des pandémies que nous connaissons. Il y aurait un autre facteur, soit quelque chose qui les rend nocifs, sans laisser de trace, au moment où ils entrent en contact avec nous, soit quelque chose qui échappe carrément au paradigme scientifique actuel. La recherche étant complètement dépendante de l’industrie pharmaceutique, on ne s’intéresserait qu'aux processus pathologiques qu’elle se croit capable de guérir. Tout cela m’agace. Je suis d’accord qu’il faut être sur ses gardes et essayer de comprendre. Mais la situation est déjà suffisamment complexe pour que certains s'abstiennent de lui rajouter leurs billevesées!

 

2 avril
Deuxième grande panne de l’Internet. De toute façon, depuis plusieurs semaines, je ne publie plus rien, je n’envoie plus de mails. C’est à peine si je fais encore un tour sur FB, ce succédané de vie sociale où je m’abstiens désormais de commenter ou partager quoi que ce soit. La page des « Desperados philosophes » est léthargique. Je me sens aussi mal sur l’Internet que lorsque je sors dans la rue pour aller acheter mon pain.


J’aurais pourtant bien voulu en savoir davantage sur la nouvelle thèse que j’ai mentionnée avant-hier.

 

6 avril
Je me rends compte que je ne vais même plus dans le jardin alors que l’heure des semis approche. Tu parles d’un appel à « l’autonomie alimentaire » !

 

9 avril
Ce monde est devenu illisible, insaisissable.

 

10 avril
La voiture de la police est passée à plusieurs reprises dans la rue, sans s’arrêter. Je suis resté derrière mon rideau et j’ai vu le chauffeur montrer du doigt ma maison à son collègue. Puis, ils ont ri.

 

16 avril
Le regard de mon grand-père, dans le rêve, m’est revenu. J’ai recherché de vieilles photos de famille et je suis tombé sur la belle boussole qu’il m’avait offerte pour mes premières randonnées. Je me souviens que, rien qu’à la contempler, je voyageais. Puis, il y a eu la magie du GPS.

 

21 avril
Je me suis regardé dans la glace: pas rasé depuis plusieurs semaines, je ressemble à Diogène. Je pense à la reconnaissance faciale et mon éclat de rire me venge de celui des flics dans leur voiture !

 

23 avril
J’ai pris la décision de rejoindre Pierre, là-bas (ou plutôt là-haut), du côté de la Brèche. Il tient un gîte pour jacquets suffisamment grand pour loger un régiment. D’autres que moi, peut-être, parmi les « Desperados Philosophes», auront la même idée.
J’ai fait le calcul: à pied, j’en ai pour une quarantaine de jours. A notre époque, on sait repérer les appareils électroniques mais on a perdu la compétence des pisteurs : je laisse GPS, téléphone et montre connectée à la maison. J’ai fait mon itinéraire à partir de veilles cartes, sans me connecter, et j’ai repéré l’endroit où rejoindre l’un des Chemins de Compostelle que je connais.
J’ai compris qu’il y a plus dangereux que le covid42.
Je préfère l’espérance d’un gain à la certitude d’une perte.

 

PS: L'illustration est de Mordillo . Bravo à la fidèle lectrice qui l'a identifié !