UA-110886234-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

02/03/2021

Eloge de l'exercice complotiste (3/7)


3. Le pouvoir du nom

 

Dans la Bible, Yahvé demande à Adam de nommer les créatures qui l’entourent. Le pouvoir est du côté de celui qui nomme. Ne dit-on pas d’ailleurs « nommer à un poste » ? Bien que leur production tourne autour de la suspicion de projets ou d’agissements cachés, les complotistes ne se sont pas nommés ainsi eux-mêmes. Ce sont ceux qui, en face, s’attribuent la défense de la vérité qui les ont baptisés. La stratégie, bien rodée dans d’autres domaines, consiste, après avoir forgé le concept d’une forme de dérive psychologique au mieux risible, au pire haïssable, et de lui avoir attribué un nom comme on nomme une maladie - en l’occurrence complotisme ou conspirationnisme - à affubler systématiquement la cible de l’épithète correspondante. Il suffira de prononcer ces adjectifs devenus des anathèmes pour que le bon public qui ne va pas chercher midi à quatorze heures passe son chemin. Dans le film de Richard Donner, justement intitulé « Complots », un chauffeur de taxi, Jerry Fletcher, personnage incarné par Mel Gibson, est une caricature de complotiste. Il a des des accès de frénésie. Il collectionne de manière obsessionnelle des signes disparates qu’il colle sur les murs de son appartement et qu’il essaye de relier pour en faire émerger une trame cachée. Il est pathétique, émouvant, parfois il fait rire, mais on ne peut pas le prendre au sérieux. 

 

Pour suivre depuis un an sur les réseaux sociaux les échauffourées plus ou moins intellectuelles dont la crise sanitaire a procuré l’occasion, je dirai que, très souvent, désigner quelqu’un comme complotiste revient à accuser son chien de la rage afin de pouvoir, sans embarras, en toute légitimité et sans explication, le faire passer de vie à trépas. Les épithètes infamantes sont une manière de discréditer les gens dont, avant toute discussion, on veut étouffer la voix et faire des fous plus ou moins contagieux. Combien de fois, comme j’avais partagé un article sur Facebook, ai-je eu immédiatement des commentaires du genre: « C’est un média complotiste », alors même que ce qui était repris par ce média provenait tel quel d’une première source, celle-là peu suspecte. L’adjectif « controversé » fait aussi partie des projectiles utilisés pour susciter chez le bon public des réflexes de rejet sans examen préalable. Pavlov sourirait dans sa barbe. Comme je l’ai maintes fois constaté, cette protection des âmes crédules va jusqu’à la censure. A moins d’avoir une singulière vision de la démocratie - j’aurai l’occasion d’aborder ce point dans ma prochaine chronique - c’est une expérience singulière.

 

Naguère, sous certains régimes politiques, on aurait mis les complotistes à l’asile où, s’ils n’entraient pas déments, ils avaient toute chance de le devenir. Aujourd’hui, avec cette étiquette, on s’efforce de créer autour d’eux un cordon sanitaire. N’approchez pas, braves gens, ne regardez même pas et retenez votre respiration, vous pourriez être contaminés ! Il y a un parallèle amusant entre la manière dont on traite actuellement les voix discordantes et celle dont on traite le covid: mettre des distances, masquer, confiner, ne pas administrer de médicaments mais s’isoler chez soi - ne pas discuter - et accepter le symbole de la vérité officielle: le vaccin. 

 

Pour en rester au plan du vocabulaire, selon les spécialistes, quand on ne peut voir le gibier on doit l’identifier à son cri. En consultant un site de chasse aux fake news, j’ai appris que le croassement du complotiste comporte des « marqueurs ». Il s’agit de termes comme « réinformer », « narration » et « version officielle ». Le complotiste, qui a déjà l’outrecuidance de juger de la véracité des informations, entend au surplus les corriger, les compléter ou les confronter à d’autres. L’utilisation spécifique du mot « narration » implique que l’autre ne décrit pas la réalité telle qu’elle est mais la raconte à sa manière qui est critiquable. De même parler de « version », notion presque identique, sous-entend qu’il y aurait plusieurs façons de conter les choses, donc qu’il y en a des fausses. Enfin, ajouter l’adjectif « officielle » sous-entend que celle-ci est - on pourrait écrire « par principe » - sujet à caution. Ces mots sont peut-être des marqueurs, mais où donc est le scandale ? N’y a-t-il jamais eu dans l’histoire, même récente, des mensonges et des coups bas ? Ne dit-on pas, sans être accusé de complotisme, qu’un suspect a donné « sa version des faits » ? Si l’on peut accuser systématiquement les complotistes de gonfler des baudruches, serait-ce parce que les arrangements avec la vérité n’existent que dans les romans et que le théâtre du commerce et de la politique n’a pas de coulisses ? 


A propos, j’ai évoqué plus haut le fantasque Jerry Fletcher, héros du film « Complots ». Au cours de l’histoire, on finira par découvrir qu’il n’était pas à l’origine aussi fou que cela mais qu’il a servi de cobaye dans un vaste projet de la CIA sur les différents moyens de manipuler l’esprit. Bien sûr, c’est du cinéma. Encore que ce projet développé par la CIA à partir des années 50 et nommé MK-Ultra a bel et bien existé et n’a pas utilisé que des cobayes volontaires. Il a fait beaucoup fantasmer et continue de le faire, mais ce que l’on en sait de certain suffit à dire que la réalité dépasse la fiction. 

 

Si l’on tente une analyse bénéfices / risques, questionner les informations, les mettre à l’épreuve du raisonnement, considérer que - comme en science - le doute est sain, me semble moins dommageable pour la démocratie qu’accepter la vérité qui sort bien habillée des ministères et recourir à la censure pour éviter que les brebis innocentes s’égarent.

* https://fr.wikipedia.org/wiki/Projet_MK-Ultra 


(Prochain épisode: Les vertus démocratiques de la manipulation)