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08/12/2007

Interview d'Armen Tarpinian*

28d23c9d387c51aff1e63dc50ed25555.jpgArmen, quel est selon vous l'enjeu majeur de l'époque que nous vivons ?
La nécessité de créer un «humanisme lucide et actif » qui marche sur ses deux jambes : celle de la connaissance de la vie extérieure et celle de la vie intérieure. Touchant cette dernière, les connaissances et les expériences, issues des sciences humaines et notamment du champ de la psychothérapie, abondent, qu'il faudrait apprendre à intégrer dans le champ de l'éducation et particulièrement de l'école où commencent à se mettre en place les pratiques sociales et citoyennes. C’est vraiment d’une (r)évolution dont il s’agit : passer d'un humanisme de « bonnes intentions » et de discours à un humanisme appliqué.

Pouvez-vous préciser ?
C'est par exemple passer de l’injonction : « aimez-vous les uns les autres » à : « apprenez à aimer ». Cela signifie qu’il nous faut à la fois développer notre capacité d’introspection - fonction qui nous distingue de l’animal - et notre faculté d’empathie qui nous fait dépasser notre égocentrisme naturel. N’est-ce pas là d’ailleurs le plus satisfaisant, le plus nécessaire à notre vie individuelle et commune ? Notre « désir essentiel » dirait Diel, ou ce que j’ai appelé notre «désir d’humanité » qui nous travaille inconsciemment, surconsciemment ? Mais c’est aussi le plus difficile si l'on en juge par notre histoire personnelle et par l'histoire tout court! Il nous faut inventer un art de vivre moderne qui tire sens et richesse d’action de la compréhension de nos errements passés. Vous connaissez le constat d’Edgar Morin ; l’humanité en est encore à sa préhistoire…

Notre époque aurait-t-elle accompli des avancées aussi importantes dans la connaissance de l’humain et du social que dans la création de richesses matérielles ?
Le vingtième siècle a fait autant de progrès en « Psychique » qu'en Physique, mais les applications sont plus lentes. Elles opèrent sur le temps de l'évolution des espèces – pour le moins des mentalités! - plus que sur le temps des machines ; sur le temps de l'éducation non celui de l'instruction ; celui des apprentissages plus que des conseils...Il devrait être considéré plus difficile d'aider un enfant - ou soi-même - à se construire que de construire un pont. Mais nous disposons aujourd’hui d’outils fondamentaux pour mettre en oeuvre une véritable « éducation psychosociale ».

Peut-on dire, dans cette perspective, que le "salut" de l'individu et celui de l'humanité sont liés ?
Ces apprentissages visant à répondre aux besoins fondamentaux des individus ne sont pas séparables des besoins de l’espèce humaine. La sagesse des uns assure la survie de l’autre : de l’humanité dans son parcours ambivalent de solidarité et d’hostilité, d’intelligence et d’aveuglement. La vraie question, aujourd’hui, est de savoir si l’humanité parviendra à articuler à temps… le temps de l’urgence qui appelle des solutions politiques et celui, lent, de l’évolution des mentalités, de la maturation psychique. A parer aux dangers les plus menaçants, écologiques et sociaux, à ouvrir des voies et se donner à temps les outils nécessaires pour mieux vivre et survivre.

Le titre du recueil de textes de Paul Diel que vous venez de faire publier fait référence à l’amour.*** S’il y avait un autre mot à lier à celui-ci, ce serait lequel ?
L'humour. L’humour est lucidité aiguë et bienveillante : introspection souriante qui freine le Don Quichotte qui est en chacun.. Il est le seuil modeste et confiant de l'amour. Son sas…Vivre nous est donné. Sourire de soi, s’aimer, aimer, on le sait mieux aujourd’hui : cela s'apprend ! MAIS, l’humour, si l’on en croit les dernières mauvaises nouvelles qui nous parviennent des scientifiques, se heurte à un tragique qui le rendrait absolument « noir » : la catastrophe climatique et ce qui s’en suivrait serait proche et quasi irréversible : s’il reste une place pour l’humour, elle reste suspendue à ce conditionnel…


*Armen Tarpinian est directeur de la «Revue de Psychologie de la Motivation». Il a codirigé l’ouvrage Ecole : changer de cap. Contributions à une éducation humanisante, Editions Chronique Sociale, 2007.
** Psychothérapeute français.
*** Le besoin d’amour, Editions Payot, 2007

06/12/2007

Ethique de l'alimentation

La projection et les souvenirs associés sont un élément crucial de notre rapport aux choses. Une expérience que j’ai déjà citée montrait que, dans l’appréciation gustative de deux boissons très proches – le Pepsi et le Coca – l’aspect purement sensoriel était corrigé de manière inconsciente par des éléments d’ordre projectif, en l’occurrence la marque. Cette démonstration de «neuromarketing» fait la preuve que ce que nous savons d’un produit se fond dans l’expérience sensorielle que nous en avons.

Des aliments en manque de lien

Or, du fait des méthodes actuelles de production, les projections que nous faisons sur les aliments ont changé. Conséquence de l’industrialisation, la relation – parfois de voisinage immédiat - que nous avions avec le producteur et avec son environnement, a le plus souvent disparu. Le lien s’est dissous entre nous et ce que nous consommons. En outre, en ôtant aux produits un caractère de relative rareté, la production de masse a réduit le respect avec lequel nous les traitions. Au contraire, les bacs toujours débordants des hypermarchés suggèrent une abondance définitive. Face à cette profusion en apparence inépuisable, le « on ne gâche pas ! » de mes grands-parents ne peut que capituler.

Le "déficit d’identité" de ce que nous consommons a ouvert un boulevard sur lequel la publicité fait son cinéma. Les marchandises industrielles y cherchent à s’approprier l’écho d’une autre vie. Le fromage à la tonne prend l’accent du midi. La confiture se donne comme preuve d’amour maternel. Le café confère des aptitudes à la lévitation. Se réapproprier ce cinéma, reprendre possession de notre scène intérieure, ne serait-il pas un élément de notre liberté ? Essayons !

La vraie valeur des choses banalisées

D’abord, depuis combien de temps n’avons-nous pas regardé – vraiment regardé – ce qu’il y a dans notre assiette ? Regardons ces rondelles de carotte, cette feuille de persil ou cette pomme de terre. Demandons-nous ce que représentent ces légumes. D’où proviennent-ils ? Dans quel paysage sont-ils apparus ? Comment ont-ils été récoltés ? Que nous apportent-ils de leur pays ? Qu’en ont-ils retiré de précieux ?* Essayons de nous représenter la compétence, l’énergie, le désir de bien faire qu’a dû investir celui qui les a cultivés, et aussi sa façon de vivre, ses joies et ses peines, l’idée qu’il se fait peut-être de nous…

Passons maintenant à ce filet de poisson ou à cette tranche de foie gras. Représentons-nous l’animal dont ils proviennent. Dans quel milieu est-il né ? Quelle a été sa vie ? Lui aussi, que nous apporte-t-il de son pays ? Qu’y a-t-il retiré de précieux ? Représentons-nous également – cela fait partie du coût de notre alimentation – ce qu’ont pu être sa peur, sa souffrance, sa mort. Intéressons-nous maintenant à celui qui l’a élevé ou capturé. Quel est son quotidien ? Quelles sont ses peurs, ses joies, ses peines, ses souffrances, sa noblesse ? - Aux Sables d’Olonne, près du fort Saint-Nicolas, il y a le mémorial des marins-pêcheurs disparus en mer. Les derniers noms sont d’hier. J’y vais de temps en temps. Cela m’aide à regarder le poisson autrement.

La valeur de l'attention

Maintenant que nous nous sommes représenté le processus auquel nous les devons, nous voici en mesure de prêter une attention convenable aux saveurs que ces aliments nous proposent. Il y a combien de temps que nous n’avons pas pris le temps de humer, de mâcher ? Alors, fermons les yeux. Goûter, qu’il s’agisse d’un vin ou d’un plat, c’est percevoir des nuances, faire des aller retour entre une sensation globale et des saveurs spécifiques. C’est jouer avec la complexité…

Que peut-on gagner à cet exercice ? D’abord, un peu plus de conscience, et cela ne fait pas de mal. Ensuite, gustativement, on aura tiré davantage de ce que l’on aura consommé. On aura peut-être mieux mâché, mieux éveillé nos sucs digestifs, et on digèrera mieux. Même, vraisemblablement, on aura moins consommé car le sentiment de satiété est déclenché par la saturation des papilles. Or, moins consommer, c’est ralentir l’épuisement des écosystèmes. C’est, d’amont en aval de la chaîne alimentaire, réduire les pollutions de toute sorte. C’est – j’y suis sensible – diminuer les souffrances que nous infligeons aux animaux. C’est alléger notre organisme - avec tous les avantages que cela peut induire. C’est - aussi - donner une chance à d’autres façons de produire, moins intensives, plus qualitatives – plus humaines – de reprendre leur place dans notre budget. Sans diminuer notre plaisir. En l'ennoblissant au contraire.

* Michel Saucet, spécialiste de la pensée systémique, auteur de La sémantique générale aujourd'hui, disait un soir qu’importer des haricots verts du Kenya c’est importer de l’eau d’un pays qui en manque…

Vous pouvez aller faire un tour sur ces sites :

http://www.info-durable.be/durable.cgi?id_types=2&id_teksten=3166&taal=_fr

http://www.slowfood.fr/france

04/12/2007

Voir autrement la Colombie

L'image de la Colombie est abominable. Pourtant, derrière le portrait permanent d'un pays livré à des factions violentes et qui aurait fait de la cour des miracles son mode de vie, il y a bien autre chose. Il y a un peuple chaleureux et créatif. Il y a une étonnante fécondité en termes d'innovations sociales et environnementales.

12b8b2fbd6c787b2d1b88c9a33d6c877.jpgAinsi de Farmaverde. Prenez un jeune homme issu de l’école d’ethnopharmacologie de Metz et qui a ensuite un peu roulé sa bosse auprès de diverses tribus amérindiennes, jetez-le dans l’un des pays réputé pour être l'un des plus dangereux de la planète, et vous avez Farmaverde !

Farmaverde, d’abord, c’est un berceau : Usme - un quartier de Bogota, en Colombie, 400 000 habitants parmi les plus pauvres. Essentiellement des personnes « déplacées », qui ont fui au cours du temps les exactions et les crimes commis par les différentes factions armées qui prospèrent là-bas. Ce faisant, ces familles ont quitté leur milieu naturel, perdu en tout ou en partie leurs modes d’organisation et, peu à peu, leur mémoire.

On est encore plus pauvre, vous l’avez peut-être remarqué, dès qu’on n’est plus chez soi. Le manque de tout s’est aggravé pour ces pauvres gens de la perte de leur relation au milieu naturel et des savoirs qui en résultaient. Au bout du compte, ils n’ont pas les moyens de se soigner avec les médicaments industriels et ils n’ont plus le secours de leur pharmacopée traditionnelle !

Farmaverde, c’est un rêve dont Yann-Olivier a fait une réalité : une ferme de plantes médicinales, un grand jardin plein de couleurs et de fragrances. Un conservatoire de variétés et de savoirs passés au crible de la science moderne.

C’est aussi un projet développé avec ce respect si rare qu’il ouvre aux gens du pays des espaces où ils peuvent devenir un peu plus auteurs de leur destin. Une coopérative de travailleurs dont Yann-Olivier, quoiqu’initiateur, est un des membres, une équipe qu’entoure un réseau de support local : médecins, agents de santé, etc.

C’est une expertise qui commence à être reconnue par les pouvoirs publics et les collectivités territoriales : des missions officielles de formation lui sont de plus en plus souvent confiées.

Et c’est, maintenant, le projet d’un laboratoire artisanal pour apporter ces substances naturelles, en quantité suffisante et sous une forme efficace et peu onéreuse, à ceux qui en ont besoin. C’est la recherche de partenaires au sein d’un nouveau modèle économique à inventer.

Vous avez envie d’en savoir plus ? Une fois n’est pas coutume : je vous invite ! Yann-Olivier sera de passage à Paris le mercredi 7 décembre. Sous l’égide de The Co-Evolution Project, une réunion avec dîner à la bonne franquette est prévue du côté du Père Lachaise à 19 : 30 (participation : environ 25 €). Ecrivez-moi rapidement si vous voulez avoir une place.