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03/12/2007

Dans le noir

- Noir… Mais… vraiment noir ?
- Ben… oui !
- Mais… Noir noir ???
- Noir de chez noir !
- ?

Malgré – ou plutôt à cause de – ce point d’interrogation, c’est flanqué de l’intrépide Ginger que je me suis retrouvé l’autre soir devant le 51, rue Quincampoix*, prêt à faire la lumière sur ce mystérieux établissement.
Une fois mis sous clé tout objet personnel qui pourrait dégager la moindre luminosité, nous voici dans l’action. Mes mains sur les épaules d’Olivia, les mains de Ginger sur mes épaules, à pas mesurés, nous franchissons en les frôlant une succession de tentures. Et là, avant d’avoir pu dire ouf…
L’obscurité.
Totale.
Noir noir !
Puis : noir… noir…
Sensation de vertige… Impression qu’à chacun de mes pas, je vais rencontrer le vide.
Je ne lâche pas les épaules rondes et tièdes d’Olivia – intimité inhabituelle – et crains de perdre le contact de Ginger sur les miennes.
Olivia annonce notre trajet : «Nous allons tourner à gauche, à droite, à gauche.»
J’ai oublié de vous dire : Olivia est notre guide. Elle est aveugle, comme toutes les hôtesses de l’établissement.

- Nous sommes arrivés à votre table. Monsieur, vous avez votre chaise près de votre main droite. Je vais accompagner Madame à sa place. Surtout, ne bougez pas.
Bouger ? Vous voulez rire ! Pour aller où ? Et comment ?
Je tourne les yeux en tout sens. Rien. Pas un pounième de lumen, pas le moindre pixel. Le noir intégral.
Afflux de souvenirs oubliés… La nuit où, gamin, je m’étais perdu dans la vieille maison et ne trouvais ni les interrupteurs ni l’escalier.
Et dire que j’avais écrit à Ginger : « On pourrait dîner ensemble un de ces soirs, depuis le temps qu’on ne s’est vus ! »
Et puis il y a eu mes collègues et leur cadeau inattendu : deux invitations «Dans le noir».

Olivia interrompt le flux de ma rêverie pour me dire que "Madame" est assise. En face de moi. Tant qu’à faire, n’est-ce pas… Je m’assiets à mon tour, avance la main en contournant prudemment la table, rencontre un bras rond et ferme.
- C’est bien toi là ?
J’entends l’amusement dans sa voix :
- Oui, oui, il n’y a pas de problème !
Mes mains suivent le bord de la table, puis explorent avec précaution les couverts, les verres, palpent la serviette…
Pourquoi ces gestes me paraissent-ils familiers… C’est que j’ai vu ma mère les faire : vers la fin de sa vie, elle n’y voyait plus...
Nouvel afflux de souvenirs interrompu par Ginger:
- T’es OK ?
C’est drôle, je sens sur mon visage son souffle frais accompagner ses paroles.
- J’assure !
Explorant la nappe, ma main rencontre la sienne – doigts fins d’aristocrate, peau tiède et douce… Pour un peu, je m’en emparerais et ne la lâcherais plus…

Les bouteilles arrivent : le vin et une eau minérale. Même si nous avons choisi la formule « surprise », la confusion, au goût, ne doit pas être possible.
Prudente, mon amie me suggère de servir l’eau tandis qu’elle-même se chargera du vin.
Nos mains se retrouvent, je lui passe mon verre, elle me passe le sien, pour le moment tout se… passe bien.
Mais, malgré mes précautions, l'eau déborde !
En revanche, pour le vin, le principe de précaution a encore frappé… Ginger, tu peux m’en remettre un peu ?
Un couple vient de prendre place tout à côté de nous. Je jette un coup d’œil – non : un coup d’ouïe – histoire de les repérer. Madame a l’air tendue, Monsieur roule un peu les mécaniques…

Ce qui est bien avec Ginger, en toute situation, c’est son heureux naturel. Pour elle, ça baigne. Elle sirote son… qu’est-ce que ça peut bien être… c’est un blanc, ça c’est sûr… Oh ! ce parfum, je ne connais que ça !
Chargé d’une bonne gorgée de ce nectar, mon moteur de recherche part en navigation… Je vois défiler la carte de France des vignobles… Soudain, l’évidence : c’est un gewurtz !
A l’avoir identifié, nous le trouvons encore meilleur.
Arrivent les plats.
Là, ça se corse. Je rappelle que les aventuriers que nous sommes ont choisi en cœur la « formule surprise ». Nous ignorons donc ce qui nous est servi.
Après avoir humé quelques senteurs qui refusent tout aveu, repéré les contours de mon assiette – elle semble ronde et creuse – j’envoie ma fourchette au hasard…
Rien !
Je recommence.
Rien !
A la troisième tentative, tout aussi infructueuse, voyant surgir le spectre de l’inanition – que voir d’autre, d’ailleurs! – je risque carrément un doigt.
Dans la purée !
Pas n’importe quelle purée, je le précise… Justement, c’est quoi ce goût… Tiens ! quelque chose de plus consistant… Je m’interroge à haute voix…
Ginger est catégorique (ça lui arrive) :
- Ce sont des champignons !
La consistance… oui… non… oui…
- Si, si ! J’en suis sûre !
Elle a souvent raison. Je bats en retraite…
Justement, en voici un autre bout… La texture… pourquoi pas… Mais la saveur… Si ce sont des champignons, ils ont été cuits dans un fumet particulier… Je reste sceptique.

Pendant ce temps, autour de nous, le niveau sonore a augmenté. J’en remarque les oscillations. Il doit y avoir un groupe, quelque part vers la gauche. Des vagues de rire d’amplitude croissante le secouent, puis quelqu’un dit «Chut !» et, un moment, la tempête sonore s’apaise avant de renaître. Je crois discerner un soupçon de nervosité…

La consommation de notre repas atteignant un niveau de performance suffisant sans mobiliser toute notre attention, Ginger et moi pouvons de nouveau deviser.
Etrange, cette immersion dans l’obscurité intégrale. Une fois réduite la crainte de commettre une maladresse, c’est… indéfinissablement agréable !
La conversation, me semble-t-il, en prend un tour différent. Voici qu’au lieu de parler de nos entreprises respectives nous échangeons des souvenirs d’enfance.

Une fois le dessert consommé – aucun doute cette fois-ci, c’est du chocolat – quand Olivia vient nous offrir de nous reconduire à la lumière, le temps semble avoir passé très vite.
Tandis que je vérifie dans un miroir l’état de ma cravate (impeccable !), Ginger a enfin le droit de regarder la carte. Pas de champignons…

Des gambas !

* Restaurant Dans le noir, 51, rue Quincampoix, à Paris. Pour plus d'information: http://www.danslenoir.com/accueil/accueil.php

01/12/2007

Une déclaration d'amour de Jean-Marc Sauret

Jean-Marc, pourquoi le blues a-t-il pris une telle place dans ta vie ?

Les débuts, ou : comment l’esprit vient aux jeunes gens

C’est une longue histoire et sinueuse… J’ai d’abord été séduit par le chant partagé. Mes frères et sœurs et moi chantions en famille, souvent en nous promenant et toujours à plusieurs voix. On improvisait… Et ce depuis les prières chrétiennes rituelles jusqu’aux divertissements les plus libertins. Puis, je me suis passionné pour les auteurs-compositeurs-interprètes - Hugues Aufrey, Adamo, Bob Dylan… - et tout de suite, dès l’age de 14 ans, je me suis mis à écrire mes premières chansons - tout à fait dylanesques. Depuis l’age de 12 ans j’écrivais avec délectation, d’abord des petites nouvelles puis des poèmes. Et puis, j’étais de cette génération qui écoutait les Rolling Stones et toute la culture Rock (le blues boom anglais) et chantait Brassens que nous connaissions par cœur. C’est ça le fondement de ma culture.

Lire l'intégralité :

Jean-Marc_Sauret.pdf