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12/11/2008

De la bourse comme superstition

Ce même Alain dont j’ai donné hier un extrait considérait que l’art est un moyen de sublimer les passions par la résistance que la matière oppose au créateur, et il reprochait par exemple au béton d’être trop malléable pour remplir ce rôle. Qu’aurait-il dit des marchés financiers ! Et d’abord, aurait-il sans doute demandé, qui sont les « marchés financiers » ? Des hommes et des femmes qui, à New York, à Tokyo et ailleurs, soupèsent leur espoir de gagner et leur crainte de perdre. Or, immatériels, les marchés financiers donnent ce que l’on sait, ils ne sont qu’un démultiplicateur, dans le vide, de la peur et de l’espoir. Parce que sans matière, au lieu de purger nos passions, ils les exacerbent. Faire de l’argent avec de l’argent, c’est lacher la rêne à l’hybris. C’est entrer dans un monde de superstition où tout devient signe, où l'on croit voir les fantômes que l'on redoute et les anges que l'on espère. Mais jusques à quand nous contenterons-nous de pelleter des nuages ?

11/11/2008

Le citoyen contre les pouvoirs

En ce jour anniversaire du 11 novembre 1918, je vous livre ce texte d'un poilu, le philosophe Emile Chartier dit Alain, tiré du recueil "Le citoyen contre les pouvoirs". Bien que daté de 1926, il n'a guère perdu de saveur et de pertinence. Certains se douteront que j'ai été élevé au lait de cette philosophie-là!

L'homme des champs m'a enfin dit toute sa pensée. « Je vote sans aucun plaisir ; je n'aime pas cela. C'est comme si un prodigue mangé d'hypothèques me demandait conseil, sous la condition que je réponde de ses dettes pour une part. Les affaires publiques sont mal conduites. On me consulte ; mais il est clair que mon avis ne pèsera rien ; on me consulte afin de m'engager. Dans nos campagnes on aime payer, ou n'aime point devoir. Vous voulez me mettre sur les bras cette énorme dette publique. Bien forcé je suis, dites-vous. Écoutez ma pensée : j'aime mieux être forcé que consentant.

(...)

« Mais si l'État c'est moi, alors il faut que je paie ma part de toutes ces dettes-là. C'est notre coutume par ici de payer ce qu'on doit, quand on devrait se faire garçon de ferme. Mais quoi ? je ne vois pas de limites. Tous ces beaux messieurs disent que nous sommes pauvres, et dépensent comme des riches. On dit que le chemin de fer perd sur le travail qu'il fait. Mais regardez le travail des ingénieurs ; on le voit d'ici. Ils changent les rails et les traverses ; ils vont faire rouler des trains électriques, afin que tous les paresseux et les ennuyés voyagent encore plus vite. Tout va de même, si j'en crois les journaux. Ici même je vois passer leurs avions à voyageurs, qui transportent aussi des colifichets. Oui, on envoie une robe de bal de Paris à Londres par la voie des airs. Et quoique chacun paie pour son colis ou pour sa place, chaque voyage nous coûte encore plusieurs billets de mille francs, Ne parlons pas de leur guerre ; on se perd dans ces dépenses-là. Mais souvent une petite chose fait juger des grandes. Mon fils, qui était artilleur, a vu tirer quatre mille obus par jour dans un secteur de deux kilomètres, pour faire diversion. Chaque obus coûtait quatre-vingts francs. Ces mêmes hommes occupent le Palatinat et la Ruhr ; toujours par de bonnes raisons, disant qu'on ne peut faire autrement. Après cela on m'invite à une assemblée d'actionnaires. Mais je n'ai rien du tout à dire sur ce genre de commerce. J'aimerais mieux ne point m'en mêler.

« Voyez ma ferme. je regarde à tout. Ce que je peux raccommoder, je ne le remplace point. Il ne manque pas ici de vieilles choses qui font encore un bon service. Si j'ai un moteur pour élever l'eau, c'est parce que je suis sûr, largement sûr, de regagner le prix d'achat en trois ans. Ici l'avarice ne s'endort jamais ; faute de quoi le travail lui-même ferait mourir le travailleur. La voilà, mon opinion. Maintenant si je donne conseil à mon voisin, mon conseil est perdu ; c'est à lui de veiller et j'ai assez à faire chez moi. Et l'État me demande conseil. Mais, mon cher, il n'y a pas une page de leurs comptes, pas une page de leurs projets où je trouve seulement une ligne raisonnable. Je ne vois qu'un remède à cette politique de fils de famille, qui est de serrer les cordons de la bourse. C'est ainsi que mon père m'a élevé ; et de nécessité j'ai fait sagesse. De même je dois agir paternellement à l'égard de tous ces prodigues, et faire le sourd. Voilà pourquoi ce papier électoral ne me plaît guère. Il m'engage ; il prend hypothèque sur moi. On devrait pouvoir voter non et non et encore non. »

08/11/2008

EROEI*

Le monde demain, voire de tout à l'heure, quoique nous en ayons, ne ressemblera pas à celui d'aujourd'hui.

Le pétrole facile est le facteur-clé de la production industrielle de masse et de la mondialisation, autrement dit du monde que nous avons créé autour de la "société de consommation". Mais quel qu'ait été le génie de notre espèce dans cette création, l'existence des énergies fossiles a été déterminante. Sans elles, même nos idéologies seraient aujourd'hui différentes. Il n'est jusqu'au pavillon de banlieue et à l'individualisme moderne qui ne leur doivent quelque chose.

Dans les années 30, aux États-unis, lorsque vous dépensiez une unité d'énergie pour extraire du pétrole vous en receviez plus de 100 en retour. C'est un effet de levier considérable. Cependant, ce rapport de 100/1 a décru au cours des années au fur et à mesure que les meilleurs gisements s'épuisaient et qu'il fallait en exploiter de moins accessibles et de moindre qualité. En 1970, le rapport avait déjà fortement diminué, mais il était encore de 30 unités d'énergie obtenues pour une unité dépensée. Aujourd'hui, la moyenne mondiale se situe autour de 20/1 et, si l'on peut affirmer que nous n'avons pas épuisé les réserves, il convient de préciser que le rendement ira décroissant.

Si l'on regarde du côté des autres énergies, qu'on les qualifie de complémentaires ou de substitution, il faut vraiment y mettre de la bonne volonté pour croire qu'elles vont nous permettre de conserver le monde actuel au prix de simples ajustements. Avec un retour sur énergie dépensée actuellement supérieur à 23/1, l'énergie hydroélectrique arrive largement en tête. Mais la plupart des grands sites sont déjà exploités et certains de ceux qui existent commencent à être affectés par la diminution des précipitations. L'énergie éolienne, en ce qui la concerne, se situe autour de 11/1 et encore si on ne tient pas compte de la compensation des périodes sans vent par d'autres sources d'énergie. Le solaire photovoltaïque est entre 2,5/1 et 4,3/1. Les biocarburants - dont on a vu qu'ils entrent en outre en concurrence avec les cultures vivrières - affichent un modeste 2/1. Pour compléter le tableau, souvenons-nous aussi que les hydrocarbures ne sont pas les seules ressources qui s'épuisent ou dont l'extraction exige une énergie croissante. Sur la liste des pénuries à venir, nous avons le gaz, le charbon , l'uranium, et nous pouvons rajouter les métaux rares dont nos "nouvelles technologies" sont friandes.

Or, malgré ces perspectives, nous sommes semble-t-il dans le scénario du fabricant de bougies qu'obsède la pérennité de son produit. Toute son attention y est piégée: il essaye de l'améliorer, de faire en sorte qu'elle dure plus longtemps, qu'elle coûte moins cher, qu'elle brille davantage, qu'elle pue moins quand on la mouche. Il recherche de meilleures mèches, des substituts au suif ou des fournisseurs moins gourmands. Enfermé dans l'univers de la bougie, il ne voit rien d'autre. Il en oublie qu'elle est une réponse à un besoin : celui de lumière. N'est-ce pas le même aveuglement dans lequel nous nous entretenons aujourd'hui avec des concepts comme le "développement durable" qui nous laissent croire que tout va continuer comme avant ? Si, au lieu de parler de "développement durable", on parlait de bonheur ?

* Energy return on energy invested.