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28/05/2014

Des papilles à l’âme

 

 

A mon ami Jean-Marie, qui aurait sans doute aimé. 

 

Un peu de légèreté et de saveurs après cette période d’élections européennes quelque peu indigeste. 

 

Ma grand-mère maternelle, Adrienne, une Agenaise qui avait connu enfant les grandes crues de la Garonne, était une remarquable cuisinière. Les plats qu’elle préparait, que ce fût le dimanche ou au quotidien, étaient bien supérieurs à ce que l’on a coutume de trouver de nos jours dans nombre de restaurants. Elle le faisait avec modestie, sans se la péter comme on dit aujourd’hui, et elle serait sans doute fort étonnée de l’hommage public que je lui rends ici. Ma mère s’intéressait nettement moins à cet art et la transmission familiale n’a eu que moi, malheureusement, comme agent. A vrai dire, j’ai pris conscience un peu tard de cette responsabilité. En entrant dans la vie active, j’ai connu d’abord cette période où l’on préfère ce qui vient d’ailleurs à ce qui vient de la famille - comme on quitte la maison de son enfance où on a l’impression qu’on ne sera jamais vraiment adulte. Puis j’ai eu un jour mon épisode « madeleine de Proust ». Les saveurs de jadis sont venues me hanter. Alors, j’ai essayé non pas de sauver - c’était trop tard - mais de reconstituer une partie de l’hoirie culinaire familiale. 

 

Le chef-d’oeuvre de ma grand-mère, selon mes papilles, était le « jambon de Tonneins ». A force de tâtonnements et de recherches, je suis parvenu à ressusciter sa façon de le cuisiner. Certes, ce n’est pas encore exactement la saveur que j’ai gardée en mémoire, mais le résultat s’approche de l’honnête. A l’époque, dans notre Sud-ouest, la cuisine était la pièce centrale d’une maison. J’avais gardé le souvenir visuel de ma grand-mère préparant ses ingrédients, ses longs cheveux aux reflets d’acajou tressés en couronne sans qu’une mèche dépasse. Je vois encore les deux bols, l’un pour l’ail, l’autre pour les échalotes. Et je revois soudain, tout en écrivant, la cuisinière bleue, en fonte émaillée, qu’on chargeait de boulets de charbon et qui a précédé chez nous la « gazinière". J’entends encore le frottement de l’opercule quand, avec un crochet, on le soulevait et le faisait glisser de côté pour alimenter le feu. Mon regard curieux de gamin entr’apercevait brièvement une incandescence rougeâtre. D’un seau conique, le charbon glissait dans le foyer avec un râclement sourd et un nuage d’étincelles saluait sa chute. Puis, de nouveau, c’était le glissement métallique que concluait le claquement final du couvercle remis en place. 

 

J’ai aussi le souvenir olfactif des arômes dégagés par la marmite glougloutant discrètement sur le feu. Mais quelques images et fumets sont des informations insuffisantes pour la reconstitution d’une recette. Ma grand-mère est partie en 1972 faire la cuisine pour les anges et ma mère, quand je me suis soucié de notre héritage culinaire, m’a donné les grandes lignes de la recette du jambon de Tonneins. Il y manquait ces précisions qui permettent d’atteindre à la singularité et, en plus, entre deux déménagements, le papier s’est égaré. C’est tout récemment que, grâce à Internet, en faisant des recherches sur les forums, un ancien camarade de Bilonebo, grand amateur lui-même de ce plat, m’a confié comment il le préparait.

 

Parmi les autres mets dont je garde un souvenir ému, il y avait des petits farcis ovales qu’après les avoir poêlés le cordon-bleu maison achevait de faire cuire au milieu des petits pois - bien sûr des petits pois écossés au moment même et que j’entends encore tomber en pluie dans la jatte. Il y avait aussi un chou accompagné d’une farce dorée incomparable. Un plat qu’elle appelait « veau à l’aïade ». Des « oeufs à la tomate ». Et, pour arrêter là cette énumération, un « canard à l’orange ». Tiens, d’ailleurs, parlons-en un peu du canard à l’orange! Jamais je n’ai réussi à le refaire. Ce qui prédomine dans tout ce que j’ai expérimenté, et d’abord dans tout ce que j’ai goûté dans les restaurants les plus divers, c’est le goût sucré et une certaine texture un peu molle de la viande. Or, j’ai le souvenir d’un parfum d’orange plutôt amer et d’une viande très cuite qui se défait délicieusement. J’en suis à me dire que le canard à l’orange de ma grand-mère était peut-être l’institutionnalisation familiale d’une recette initialement ratée. Ratée et de ce fait originale, mais aussi succulente. Je développerais volontiers ce thème de l’erreur qui devient découverte, mais cela a déjà été fait: il n’est que de se remémorer l’invention de la pénicilline.  

 

Lorsque, sur Internet, je fais une recherche autour d’une recette, je suis émerveillé par le nombre de variantes que j’en découvre. A croire qu’un plat se décline en autant de versions que l’espèce humaine peut produire de visages différents. J’en suis venu à la conclusion que la divine variété naît au sein du vernaculaire. C’est là, par exemple, dans un pays comme la France, que se fomente la différenciation des fromages et des vins. C'est dans le vernaculaire, le familial, le local que s'élaborent les mille nuances qui créent de l'infini à l'intérieur d'un espace fini. Pas étonnant qu’une espèce hors-sol comme nous le sommes de plus en plus ne sache produire - et, à force, ne sache aimer - que du standardisé, de la conformité, de l’uniforme, avec bien sûr les règles et procédures qui les accompagnent. Nous devrions quitter plus souvent nos tours de bureaux ou de cité et méditer le mythe d’Antée qui, tout géant qu’il fût, ne reprenait force qu’au contact de la Terre. La cuisine ne nourrit pas seulement les corps, elle nourrit aussi le récit identitaire. Dans les infinies variantes d’une recette, bien plus finement que l’appartenance à un pays ou à une région, elle exprime la nuance jusqu’au niveau familial. On peut se poser la question de ce qu’il peut advenir des humains dépossédés de leurs traditions culinaires et nourris exclusivement d’aliments standardisés.

 

Pour ceux qui penseraient que l’attachement aux traditions locales ou familiales est un enfermement, je complèterai brièvement mon portrait de gourmand. Le camarade de bien des voyages - qui se reconnaîtra ici à ce que je vais dire - a toujours été étonné de ma capacité à apprécier les mets les plus étranges. Pour lui, qui manifeste quelques méfiances en matière alimentaire, c’est plus que du courage, c’est de l’intrépidité, voire de l’aveuglement. Pour moi, c’est une manière de communier: avec un pays et ses paysages, avec des gens et leur culture. C’est un complément à la découverte par les yeux et l’intellect. Mais, puisqu’il s’agit ici moins de curiosité que de nostalgie, en matière de cuisines étrangères je voudrais évoquer avant d’en terminer deux souvenirs qui me restent très présents. Mon père avait rendu service à une famille de rapatriés d’Indochine et, pour nous remercier, la maîtresse de maison nous invita à venir déjeuner en famille un dimanche. Elle nous reçut dans la tenue de ses origines, vêtue d’une robe de soie décorée à l’épaule d'une rose brodée. Elle se prénommait Hélène. C’était une femme exquise, d’une grâce et d’une douceur extraordinaires. C’est ainsi que je découvris la cuisine vietnamienne, dans une petite villa, au flanc du coteau de Pujols qui ressemblait si peu aux paysages originaires d’Hélène. Le scénario se répéta quelques années plus tard avec une famille de Kabyles qui, pour nous remercier de services semblables que nous lui avions rendus, nous apporta un jour une énorme marmite - et, pour moi, le goût du vrai couscous est resté celui que nous avons découvert ce jour-là. 

 

J’ai eu un jour l’idée que, dans nos grandes villes, de même qu’on célèbre la musique, on pourrait décider d’un jour pour célébrer convivialement notre diversité. Chaque famille pourrait, devant sa porte ou au pied de son immeuble, proposer à la dégustation les plats de son pays.

 

Mais je dois vous quitter: c'est l'heure du dîner.

25/05/2014

Européennes: arrêtons le délire!

 

 

Les Français n'ont pas choisi le FN. Pas plus qu'ils n'ont choisi le PS, l'UMP, etc.

 

 

Les Français ont majoritairement choisi de ne pas voter.  

 

A cause d'un casting limité par les médias aux toujours mêmes histrions de la scène politique.

 

Ceux qui ont voté ont fait pour l'essentiel leur choix à l'intérieur de l'offre médiatique. D'où ce résultat: un mauvais film avec de mauvais acteurs

 

Il est temps d'accorder un peu plus de temps de micro, d'écran et de cerveau à des pensées politiques alternatives si l'on veut un jour avoir plus de choix qu'entre Charybde et Scylla.

 

24/05/2014

Oui, aujourd'hui, je vote !

 

 

 

Le résultat des Elections européennes peut paraître un sujet dérisoire à beaucoup d’entre nous. D’abord, qui se passionnerait pour un match dont on connaît déjà les résultats ? La balle ne peut guère échoir en d’autres mains que celles des trois ou quatre hypermarchés de la politique en qui nous avons du mal à avoir confiance. Les autres mouvements, tout petits, n’ont aucune chance d’être sur le podium ou seront si peu représentés que leur influence sera nulle et qu'on n'a même pas envie de voter pour eux, quels que soient leurs mérites et les affinités que nous pouvons ressentir avec tel ou tel. En outre, dès que nous essayons de mieux connaître ces mouvements sur lesquels les médias ne braquent leurs projecteurs que pour les ridiculiser, nous nous perdons en conjectures. Ont-ils les compétences nécessaires ? Sommes-nous d’accord avec tous les points de leur programme ? Du coup, il nous reste deux manières de manifester notre indécision, notre désarroi ou notre ras-le-bol - deux tentations faciles à vrai dire - voter blanc ou ne pas voter. 

 

A mon sens, c’est prendre les choses par le mauvais bout. Il faut savoir hiérarchiser les critères. Le premier, selon moi et même le déterminant, est la capacité qui peut être ou non la nôtre dans les années à venir d'organiser notre vie comme nous l'entendons. Nous sommes dans une période cruciale où, pour des raisons tant écologiques que sociales, il est urgent de re-fonder la société et l'économie. Sur cette re-fondation, on peut avoir des idées très différentes et s’empoigner déjà le chignon, mais c’est oublier une chose: quel que soit le modèle qu'on veuille - à moins que ce soit celui qu'on nous impose actuellement - il y a un point de passage obligé: reprendre la main sur ce qui se passe chez nous. C'est là que l'existence d'une dimension nationale, loin d'être désuète, redevient cruciale. 

 

Face aux puissances qui sont en jeu, complexes industriels et financiers, multinationales affamées de marges et de chiffres d’affaire, le cadre national, pour peu qu’il résiste, est le seul où les individus peuvent encore être protégés tout en disposant de leur liberté. Ces puissances l’ont bien compris qui, depuis des années, conduisent un travail de sape contre toutes les formes de protection mises en place par les Etats. Qu’il suffise d’évoquer quatre des volets de leurs stratégie. D’abord, il y a la diffusion de leur idéologie - le nouvel opium du peuple - à travers les économistes du 20 heures, l’enseignement dispensé dans les business schools et les séminaires que le Département d’Etat américain a l’intelligence d’offrir aux jeunes politiques ambitieux du monde entier. Ensuite, il y a l’usure progressive des législations nationales - y compris celle des Etats-unis (1) -  via des courroies de transmission dont, en ce qui nous concerne, l’Union européenne est une des plus efficaces. Ajoutez à cela le développement d’une spéculation sauvage et qui s’étend à tout, même aux denrées alimentaires, avec en prime la mise en concurrence la plus déséquilibrée possible entre les marchés du travail nationaux. Enfin, aubaine extraordinaire, la crise bancaire qui a permis au système financier de prendre à la gorge ses propres sauveurs. 

 

Alors, cela sert-il à quelque chose de voter dimanche si je n'ai aucun espoir que les gens qui me conviennent soient suffisamment nombreux sur les bancs de l'Assemblée européenne ? 

 

Oui ! Si je n’en étais pas persuadé, je n’aurais pas fait aujourd’hui près de 500 km en TGV. Mais pour mettre quoi dans l’urne ? Vous l’avez compris, je n’irai pas soutenir les hypermarchés de la politique, les lessiviers qui, sous différentes marques, par conviction, compromission ou impuissance, laisseront la force des choses façonner notre avenir. On les a vus à l’oeuvre, cessons de leur apporter sur un coussin brodé les clés de la maison! Je voterai, et d’abord, parce que ne pas voter ou voter blanc, c’est nourrir des interprétations post-électorales qui nous échapperont totalement. Chacun tirera la couverture à soi et vous serez dépossédés de la signification de votre acte. Mettre un nom dans l’enveloppe, c’est au moins dire quelque chose de plus explicite. 

 

Je voterai pour un de ces compétiteurs modestes que les médias tiennent sous le boisseau, parce qu’à défaut d’une victoire dans l’immédiat,  je veux me placer dans une perspective à long terme. A court terme, si vous êtes dans mon état d’esprit, vous savez que, pour miser sur le cheval gagnant du tiercé de dimanche soir, il vous faut vous renoncer. Je m’y refuse. Mais, à long terme, vous pouvez accroître la visibilité de ceux qui échappent à la pensée unique et leur donner une chance de faire entendre leurs idées, d'attirer vers ces idées d'autres hérauts, de peser peu à peu davantage sur l’opinion publique et sur de prochaines élections. En tout état de cause, je ne voterai pas pour ceux dont le fonds de commerce est fait des haines qu’ils exploitent à l’envie. Je voterai pour des hommes et des femmes pacifiques qui ont inscrit à leur programme une restauration telle de notre souveraineté nationale que - pour faire court - nous puissions rester libres d’organiser notre société comme nous l’entendons et d’y semer, cultiver et manger ce que nous voulons.  

 

Je préfère l'espoir d'un gain à la certitude d'une perte.  

 

(1) Cf. le « Monsanto Act ».