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28/09/2020

Les Bienfaiteurs (fiction ultra-complotiste)

 

 

Je suis heureuse de vous accueillir à notre antenne, d’autant que ce jour revêt pour vous une signification particulière. Nous y reviendrons dans un instant. Vous avez joué un rôle considérable dans l’histoire de ces dernières décennies, cependant peu de nos auditeurs vraisemblablement ont entendu parler de vous. Comment vous présenteriez-vous ?

 

Je vous remercie, en premier lieu, de votre invitation à sortir de cette ombre qui a d’abord été pour moi une nécessité avant que j’y prenne goût au cours de ces quinze derniers lustres. 

 

Comment me présenterais-je ? Je dirais comme l’un des artisans discrets puis le chef d’orchestre invisible de la « Grande Renaissance ». 

 

Rien de moins que le chef d’orchestre de la « Grande Renaissance » ! Alors, avec soixante-quinze ans de recul, quel regard portez-vous sur la bifurcation radicale que vous avez provoquée ?

 

La première chose que j’ai envie de dire est que sauver une planète occupée par des êtres humains n’est pas facile !  

 

Le fondement du problème était pourtant simple: d’une part, la population humaine avec ses volumes de consommation et de détritus, de l’autre les capacités de la Terre à répondre à ces demandes et à absorber les rejets qui en résultent. Certains économistes évaluaient que, pour assurer un certain niveau de confort sur une planète durable, le peuplement optimal était de l’ordre d’un milliard d’individus. Les sponsors des Georgia Guidestones (1), érigées en 1980, mettaient quant à eux la jauge encore plus bas: 500 millions. Or, au début de ce siècle, nous étions déjà quatorze fois plus nombreux ! Mais, là, surgissait la première difficulté: aller contre  l’élan naturel du « croissez et multipliez ». Autant donner les moyens d’une sexualité libérée de la biologie engendrait peu d’états d’âme, autant s’en prendre directement à la liberté de se reproduire et à la dynamique du « toujours plus de tout » paraissait irréaliste. 

 

Autrement dit: une impasse dramatique ? 

 

L’équation restait simple. Soit on acceptait d’être nombreux et pari passu on acceptait aussi de vivre chichement - et d’autant plus chichement que l’on serait plus nombreux. Soit on voulait maintenir le confort voire l’accroître et il fallait gérer la démographie à la baisse. Entre les deux, on pouvait aussi imaginer de réserver le confort à une élite réduite et l’austérité - pas nécessairement de manière homogène - à l’immense plèbe. Certes, il y avait aussi des mouvements qui prêchaient une volontaire « sobriété heureuse ». Mais, s’ils avaient les tendresses du public, dans les comportements seuls quelques originaux les suivaient. Le problème était aggravé du désir de chaque strate de la société de vivre « juste » comme les un peu mieux nantis de la strate au dessus d’elle. Cette aspiration pouvait paraître modeste, peut-être soutenable, mais ceux qui avaient la chance de se hisser au niveau convoité regardaient aussitôt au dessus d’eux et ainsi de suite, sans fin.

 

Le problème comportait un autre élément sans lequel il aurait pu être résolu simplement, voire peut-être n’eût pas existé. Je veux parler de l’offre de biens et de services. Au tonneau des Danaïdes qu’étaient les consommateurs correspondaient, tout aussi insatiable, l’appétit des corporations et de leurs actionnaires. Avides d’engranger toujours plus de revenus, de plus-values boursières et de pouvoir, ils s’y entendaient à créer de faux besoins et entretenaient une fiévreuse « société de consommation » qui était surtout une société de frustrations renouvelées. Ils trouvaient des alliés en la personne des politiciens qui, à quelques exceptions près, pour se maintenir sur leurs strapontins prétentieux, continuaient de promettre toujours plus - ou au moins toujours autant - à leurs électeurs.

 

Mais les gens n’avaient-ils pas conscience de la situation ? Manquaient-ils à ce point d’information ?

 

On ne peut blâmer le manque d’information ou d’intelligence. C’était un phénomène analogue à l’engouement pour la sobriété heureuse que je viens d’évoquer, qui n’entraînait que peu de conversions. Sur plusieurs décennies, quantité de scénarios prospectifs, établis par des scientifiques, avaient été diffusés, certains même devenus des best-sellers mondiaux que répercutaient les médias. Tout était connu et de tout le monde, même des plus riches et des plus puissants que les masses s’entêtaient à croire ignares et stupides. En regard, une grande diversité de solutions, tout aussi connues, était à portée de main. Le comble du paradoxe fut atteint avec l’engouement des peuples pour les Cassandre qui annonçaient divers effondrements. Ils en faisaient de véritables stars ! Pour autant, chacun, Etats comme individus, continuait de camper sur ses habitudes. 

 

Et ce mouvement de sensibilisation basé, je crois, sur « l’urgence climatique »  ?

 

Ce mouvement a été pour nous riche d’enseignements: ça ne marchait pas ! Des années et des années de réunions, de publications, des milliers d’heures de travail, de prêches, de temps d’antenne, les analyses des sceptiques mises systématiquement sous le boisseau, des centaines de sondages montrant qu’une large majorité des populations avait adopté ce récit… Et, au bout du compte, toujours la même immobilité. Il fallait bien trouver autre chose!

 

C’est là qu’intervient votre « Projet » !

 

Le monde était d’une complexité telle qu’il était comme une pelote dont vous ne pouviez tirer sur le moindre bout sans la resserrer ! Heureusement, il s’est trouvé une poignée de gens qui, non seulement avaient conscience des enjeux mais qui, plus que l’intelligence technique, avaient surtout l’art de la métis et la détermination d’Alexandre. Vous voyez sans doute à quoi je fais allusion ?

 

J’imagine que vous faites allusion au noeud gordien qu’Alexandre trancha d’un coup d’épée plutôt que d’essayer de le dénouer ?

 

C’est exactement cela ! Pour rester dans l’Antiquité grecque, j’ajouterai une autre histoire. Il y eut jadis à Athènes une étrange épidémie: sans donner aucune raison, les vierges se suicidaient et cette mode semblait ne devoir jamais cesser. Les sages qui administraient la cité passèrent des heures et des heures à essayer de comprendre le phénomène. En vain. C’est alors qu'un citoyen prit la parole et dit à peu près ceci: « Nous sommes en train de nous fourvoyer parce que nous pensons qu'il faut comprendre le problème pour le résoudre. En attendant, nos jeunes filles continuent de se suicider. Et si on se passait de comprendre ? » Cela parut d’abord insensé, cependant le conseil trouva le moyen d’arrêter cette épidémie mortelle : il fut annoncé que le corps des suicidées serait exposé nu en place publique. L’épidémie cessa aussitôt. On ne sut jamais ce qui avait été à l'origine du phénomène, mais on avait résolu le problème, c’était là l’essentiel. 

 

Donc, vous avez choisi de trancher le noeud gordien plutôt que le comprendre et le dénouer ?

 

Il n'y avait pas d'alternative ! A force de l’avoir laissé s’écouler sans rien faire, le temps nous pressait d'agir ! 

 

Nous avons fomenté une conspiration sinon bienveillante tout au moins salvatrice. Pour le faire, il y avait une condition déterminante: être membre de la classe dominante car, si elle seule a le pouvoir nécessaire, elle n’écoute qu’elle-même. La classe dominante, pour parler clairement, ce sont les hyper-riches. Ce n’est pas comme le pensent les naïfs les politiciens qu’ils élisent. Ceux-là sont déjà issus de notre matrice. Comme leurs opposants d’ailleurs: nous n’allons pas prendre le risque de voir apparaître un franc-tireur qui emballerait les foules et que nous ne pourrions contrôler. La loi la plus répandue, celle du moindre effort, nous aide d’ailleurs beaucoup: quels sont les électeurs qui ont la curiosité de chercher ailleurs que dans l’hypermarché de la politique des gens capables de les représenter réellement ? Dans leur grande majorité, ceux dont les noms parviennent sur les bulletins de vote, si opposés les uns aux autres qu’ils paraissent, sont tous des personnages d’une mise en scène que nous contrôlons, parfois à leur insu.  

 

D’une mise en scène ? Pouvez-vous donner un exemple pour nos auditeurs ?

 

L’un des avantages de la richesse, le principal à vrai dire, est le pouvoir. C’est un cercle vertueux: le pouvoir vous permet d’accroître votre richesse, la richesse permet d’accroître votre pouvoir. A l’inverse, si vous acceptez de perdre de la richesse, vous acceptez de perdre du pouvoir. C’est pourquoi, si vous vous souvenez de vos cours d’histoire, l’on a connu au début du XXIe siècle un tel creusement des inégalités. La guerre des classes que nous avions eu l’astuce de nier - et l’on nous crut ! - était bien une réalité, mais au cours des trente dernières années du XXe siècle, nous étions en train de la perdre. Quand nous en avons pris conscience, nous avons réussi à inverser le cours de l’histoire. Mais les mesures qui permettent aux riches d’accroître leur richesse sont évidemment impopulaires. 

 

Mais ce que vous appelez la « mise en scène controlée » ?

 

J’y viens ! 

 

L’un de nos objectifs est d’avoir au sommet des Etats des hommes-liges, des serviteurs de notre politique. Bien évidemment, ces hommes-liges, en exécutant la feuille de route qu’ils devaient signer pour que nous les adoubions, se rendaient très vite impopulaires. C’est d’ailleurs pourquoi, dans certains pays, la durée des mandats avait été raccourcie: il est important que l’impopularité ne dépasse pas le seuil au delà duquel deviendrait possible une révolte que l'on ne pourrait maîtriser. Le cursus de nos serviteurs est simple: quand nous les faisons monter sur la scène, ils sont la promesse de jours meilleurs, ils sont les « Bons » que le peuple va avoir envie de porter au pouvoir. Mais le Bon qui exécute la feuille de route devient très vite aux yeux du peuple un traître, un Méchant. Dès que le Bon d’hier est devenu le Méchant d’aujourd'hui, il faut que se profile le Bon de demain: en donnant de l’espoir aux gens, on les fait patienter jusqu’à l’élection suivante et, en attendant, le Méchant peut achever sa mission. Le fin du fin est de choisir le futur Bon parmi les proches du Méchant: la moindre prise de distance entre eux suffira à bipolariser le jugement du peuple. Quant à l’ex-Bon devenu Méchant, s’il a bien fait son travail nous le recasons très convenablement de sorte que son exemple nous aide à recruter sans difficulté les talents dont nous avons besoin. Je ne vous donne là, bien sûr, qu’une des ficelles du téléguidage de la vie politique des peuples.

 

Mais vous étiez quand même exposé au risque que quelqu’un qui sort de nulle part capte l’attention et les émotions des peuples ?

 

Quand on faisait campagne pour une bourgade de mille habitants, debout sur une pierre, au coin de la rue, sans porte-voix, ce risque existait. Encore qu’est toujours possible une campagne de calomnie qui, sur des apparences bien choisies, sème le doute. Mais, lorsqu’il s'agit d’attirer l’attention de millions d’électeurs, le passage par les médias est indispensable. Depuis longtemps, nous avons veillé que lesdits médias, sans trop le montrer, soient complices de nos objectifs et que l’on n’entende pas, que l’on ne connaisse même pas, ceux qui pourraient nous faire de l’ombre. Si les peuples savaient quels faux héros on leur a fait adopter, qu’ils honorent encore, et tous ceux qu’a fait disparaître - avec leur manque de curiosité - le silence médiatique… 

 

Donc, le régime démocratique est une illusion que vous entretenez pour pouvoir tirer les ficelles de la vie politique ?

 

Le vrai pouvoir, la matrice du monde dans lequel vous vivez, c’est la richesse. Il en sera toujours ainsi. Je vous en donne quatre exemples. Un bon raid boursier fait comprendre à un Etat ou à une entreprise, si gros soient-ils, où est le pouvoir, donc avec qui il convient d’entretenir de bonnes relations. Quand vous détenez une part significative du capital d’un média, il influencera ses lecteurs dans le sens que vous souhaitez: il suffit que les écrivaillons sachent ce qui vous agrée, vous n’avez même pas besoin de le demander. Ajoutez à cela - autre exemple - que peu d’individus n’ont pas un vilain petit secret qu’ils n’aimeraient pas voir diffusé sur les réseaux sociaux. Enfin, peu d’êtres humains ne sont pas achetables. Je ne dis pas « corruptibles ». Je n’aime pas ce mot teinté de moralisme. Non, ils sont tout simplement réalistes, ils savent comment la société fonctionne et qu’à part profiter de la vie il n’y a rien d’autre. Quelques niais ont des croyances comme l’honneur. Ils ne sont pas contrôlables, il faut à tout prix les écarter. Qu’ils vivent donc dans leur ascèse et emportent leur honneur dans la tombe ! On ne se souviendra même pas d’eux. Quant aux peuples, ils montrent en permanence leur sottise et justifient ainsi que les destinées du monde soient en d’autres mains que les leurs. 

 

Cela a-t-il été difficile d’établir un consensus autour de votre projet ?

 

Parmi les plus riches d’entre les riches, les avis se partageaient autour de deux scénarios principaux. Certains pensaient pouvoir survivre confortablement en organisant une sorte d’appartheid - le choix de l’austérité pour la masse et du confort pour eux-mêmes - ce qui leur permettait en outre d’espérer le maintien d’un « petit commerce » dans ce nouveau Tiers-Monde organisé d’en haut. D’autres, dont j’étais, avaient la conviction qu’il était illusoire de penser survivre dans des camps retranchés, entre d’une part des masses aussi populeuses que polluantes, dangereusement insatisfaites et de ce fait envieuses, et d’autre part des ressources critiques en voie d’épuisement.

D’une certaine manière, on peut dire que ce sont les radicaux comme nous qui l’ont emporté. Nous avons considéré que la grande période du commerce de masse et de l’enrichissement était de toute façon révolue et qu’elle ne valait pas la peine de négocier un sursis. Les grandes fortunes étaient déjà faites. Qu’aurait signifié de s’enrichir encore dix ou vingt pauvres années de plus, sinon satisfaire la psychose du « toujours plus », du « encore une petite minute », alors que notre vaisseau commençait à sombrer, que l’eau nous montait déjà aux genoux ? Les canots de sauvetage ne font pas des résidences principales. L’aggravation de l’état de la planète eût été disproportionnée en comparaison des gains envisageables. Il est des moments où il faut savoir empocher ses bénéfices et passer à autre chose. Surtout, quand se présente une opportunité inespérée… 

 

A propos d’opportunité, j’aimerais vous poser une question: parmi tous les milieux industriels qui allaient être impactés par le « Projet », il en est un qui a particulièrement bien tiré son épingle du jeu…  

 

Vous faites sans doute allusion à l’industrie de la santé qui fut la dernière, en quelque sorte, à rester sur la scène et je vais vous expliquer pourquoi. Mais avant d’aller plus loin, je veux insister sur un point. Nous sommes passés pour inhumains, ce qui est très exagéré, mais nous l’assumons. Cependant, notre stratégie n’a recouru qu’à la peur et jamais à ce qui aurait pu la fonder réellement. Oui, je l’affirme: nous n’avons à aucun moment disséminé de virus meurtriers! Certains d’entre nous, extrémistes, l’auraient envisagé, mais nous nous y sommes opposés et l’absence d’un vaccin secret efficace qui aurait protégé les seuls riches a achevé d’enterrer ce scénario. 

Nous avons bénéficié d’une aubaine: la fuite accidentelle d’un laboratoire, qui, nous fournissant le choc dont nous avions besoin, nous a précipités à mettre en oeuvre le programme que nous avions élaboré et que, jusque là, à vrai dire, nous ne savions pas comment initier. Vous savez ce que disait le vieux Marx: pour faire la révolution, il faut une doctrine révolutionnaire, un personnel révolutionnaire et une situation révolutionnaire. La doctrine, nous l’avions, le personnel aussi. La situation nous faisait défaut jusqu’à ce que la « pandémie » nous la procure. 

 

Je comprends ce que vous voulez dire par doctrine et situation révolutionnaires. Mais à quel personnel faites-vous allusion, aux politiciens ?

 

Pas seulement. Notre stratégie consistait à faire adopter un récit par les peuples de la planète, le récit d’une pandémie redoutable qui assurerait leur docilité. Il était crédible car il rappelait d’autres pestes historiques qui avaient tué des millions de gens. La nôtre, au surplus, était déclenchée par un agent nouveau, donc inconnu, face auquel, officiellement, n’existait dans l’immédiat aucune médication spécifique. Grâce à la particularité de ce « trigger », nous pouvions mobiliser un système quasiment ubicuitaire, doté en l’occurrence d’une légitimité parfaite et qui avait justement intérêt à ce que le récit fût crédible. Je veux parler du système que ses contempteurs surnommaient Big Pharma et que vous avez appelé l’industrie de la santé.  

Ce système était partout présent, car composé non seulement des fabricants de produits chimiques et de vaccins, mais, tout autour, d’un réseau de multiples influenceurs: chercheurs, fonctionnaires de la santé, toubibs, apothicaires, soignants, syndicats, etc. Il était légitime en raison du phénomène déclencheur: une pandémie, donc une affaire de santé. Il était hautement intéressé, car composé d’actionnaires, de politiques et de professionnels qui, à la veille de l’Effondrement, pouvaient s’enrichir une dernière fois. Avec les grands médias qui depuis longtemps étaient sous perfusion des mêmes actionnaires ou sponsors, avec les réseaux sociaux acquis à la cause grâce à la peur dont les internautes se faisaient eux-mêmes la caisse de résonance, avec les trolls qui concentraient leur tir sur les opinions dirimantes, avec la justice et la police chargées de faire respecter les mesures prises au nom du salut de la population, les quatre pouvoirs étaient au service du Projet. Notre omniprésence était égale à celle de Dieu !

 

Quel était l’objectif immédiat du Projet ?

 

Réduire, en même temps, l’offre et la demande de produits et de services. Pour cela provoquer une crise économique et l’entretenir de manière larvée, de sorte que certaines entreprises meurent à petit feu, que d’autres ne retrouvent pas leur taille d’avant et que de larges pans de la population voient diminuer corrélativement leur pouvoir d’achat. 

Entendons-nous bien sur un point: contrairement à ce que l’on a cru de nous, nous ne recherchions pas la décroissance de la population, mais seulement la réduction d’une activité industrielle et économique excessive eu égard à l’avenir de la planète. 

 

Cependant, il y a bien eu décroissance de la population ?

 

En Occident, cela a été une conséquence de la crise économique entrant en conflit avec une culture de « l’objet indispensable à mon bonheur ». Les jeunes adultes ont préféré sauvegarder le plus longtemps possible leur pouvoir d’acheter ces « objets indispensables » qui devenaient de plus en plus coûteux, et ont arbitré au détriment des enfants qu’ils auraient pu avoir. L’assouplissement des règles d’avortement leur a même parfois permis de revenir sur une grossesse initialement désirée mais devenue au bout du compte indésirable face à d’autres envies. Au surplus, quand vous n’avez pas le sentiment d’avoir quelque chose à transmettre, le désir de progéniture est moins soutenu. Or, depuis un bon siècle, la déconstruction systématique des récits traditionnels avait sapé l’illusion de la plupart des peuples d’avoir quelque chose à transmettre. 

Pour en revenir aux effets de notre initiative, comme vous le savez, en quelques années, les prélèvements de ressource et les pollutions diminuèrent spectaculairement. Des cinq planètes que notre empreinte écologique exigeait, nous sommes passés à quatre, à trois, à deux et enfin, aujourd’hui même, c’est pourquoi vous m’avez tirée de l’ombre - et je vous en remercie - à une seule. 

 

Vous considérez donc avoir atteint vos objectifs ? 

 

Oui, c’est clair. Cependant, par précaution, nous pensons qu’il vaudrait mieux nous donner une marge et n’avoir besoin que de 70% de la planète. Il conviendrait donc que la population continue encore de diminuer. 

Cela dit, nous fûmes tant haïs - et bien que nous l’assumions comme je l’ai dit - que nous aimerions maintenant être reconnus pour ce que nous fûmes vraiment, pour ce que nous avons fait, le plus souvent à notre corps défendant, parfois en nous marchant sur le coeur, poussés par notre seule conscience de l’essentiel: le sauvetage de la planète. Je crois que les programmes scolaires devraient désormais être plus précis sur le récit de ces quinze lustres et d’ailleurs le placer en début d’année pour garantir qu’il soit abordé. Par ailleurs, nous allons faire réaliser par de grands artistes contemporains un nouveau Mont Rushmore, peut-être au flanc des montagne du Machu Picchu pour que les générations à venir gardent la mémoire de ceux qui leur ont permis d’exister.  

 

Extraordinaire ! En un mot, votre conclusion ?

 

En un mot ? Bienfaiteurs ! Je n’hésite pas à le dire: nous sommes les bienfaiteurs de l’humanité. Et, bien au delà de l’humanité, j’hésite encore moins à le dire, nous sommes les bienfaiteurs de la Vie. Dans les réserves naturelles que le retrait de la population humaine a permis de redéployer, des espèces végétales et animales qui étaient en voie de disparition, que même l’on croyait disparues, sont en train de renaître. De vastes espaces pourront être consacrés aux chimères que nous sommes en train non seulement d’imaginer mais de créer. Les progrès de la technologie génétique vont nous permettre de ressusciter les dinosaures. Vous imaginez: croiser un tyrannosaure avec un humanoïde ? Quand nous aurons réalisé cela, quelqu’un pensera-t-il encore que nous avons eu tort de faire ce que nous avons fait ?

 

En effet ! Je vous remercie très fort, Margaret, d’être venue témoigner à ce micro pour les auditeurs de la Nouvelle Pangée. Chers amis qui nous écoutez, nous nous retrouverons le moins prochain avec un autre invité… 

 

 

(1)  https://fr.wikipedia.org/wiki/Georgia_Guidestones

 

 

 

 

20/09/2020

La liberté et le sentiment de liberté

 

 

Jusqu’à l’arrivée du covid, les espaces publics au grand air - les rues, les places, les quais, les rivages, les marchés de plein vent - étaient des lieux où l’on se sentait libre. Certes, il y avait des règles formelles ou informelles à respecter: la courtoisie, le code de la route avec ses feux de circulation et ses passages pour piétons, les conventions vestimentaires. Mais, à part pour certains d’entre nous à qui un panneau limitant la vitesse à 80 km / heure fait les mêmes effets qu’un chiffon rouge, la frustration était nulle. Dans le monde d’avant, on respirait donc librement. La seule autorité que l’on ressentait était notre autorité intérieure, autrement dit notre liberté au sein d’un monde organisé. Peut-être étions-nous simplement bien adaptés.

 

Depuis le confinement et même avec le déconfinement, la sensation qui prédomine est celle de l’omniprésence d’une autorité extérieure. «  Big brother is watching you. » Ce gente de situation est d’autant plus pesant que l’autorité en question ne nous semble pas mériter notre confiance, voire même que nous avons des doutes quant à sa légitimité. Ce point est à souligner, car il peut y avoir là une zone de fracture potentielle. En attendant, avec ou sans masque, l’air que nous respirons dans la rue en est comme appauvri de son oxygène. Peut-être cela passera-t-il et avons-nous seulement besoin d’un temps d’adaptation à ces règles plus restrictives, après lequel nous retrouverons notre ponctuellement souffreteux sentiment de liberté. Peut-être la fin de l’avant-dernier film de Clint Eastwood, La Mule, est-t-elle une métaphore du bonheur que nous pouvons attendre de l’avenir.

 

Dans l’espace privé, bien qu’évidemment plus étroit, on respire un peu mieux. Mais seulement parce que le contrôle ne s’y exerce pas directement. Pas encore. Cependant, en attendant que les pandores ou les smartphones viennent s’y assurer de nos comportements, pour la première fois dans l’histoire les injonctions à la distanciation sociale et au port du masque sont répétées ad nauseam par la radio et la télévision. Je dois avouer que je commence à en avoir assez du storytelling de « René qui prépare le barbecue » et de « Selim qui rend visite à sa grand-mère ». Vivement qu’il pleuve sur le barbecue de René et que Selim aille voir sa grand-mère au cimetière !

 

Le débat sur le masque n’en finit pas. Est-il efficace, ne l’est-il pas ? Que pourrait-il cacher d’autre que notre visage ? On se souviendra que son histoire a commencé avec des déclarations unanimes de nos dirigeants et experts. « Les masques n’ont aucun intérêt pour le grand public » (Jérôme Salomon, médecin infectiologue, directeur général de la Santé, BFMTV, 4 mars). « Le port de masque, en population générale dans la rue, ça ne sert à rien » (Edouard Philippe, Premier ministre, TF1, 13 mars). « Je suis surpris de voir par la fenêtre de mon ministère le nombre de personnes qui sont dans la rue avec des masques (…) alors que cela ne correspond pas à des recommandations » (Olivier Véran, médecin, ministre de la Santé, déclaration à la presse, 16 mars). Les mêmes, sans rougir, sans présenter d’excuses, sans faire amende honorable, ont transformé ce masque qu’ils disaient inutile en impératif catégorique. Il est même devenu une menace de punition pour les dévergondages collectifs que seraient des retrouvailles familiales. Tous ces aspects triviaux ne doivent pas nous faire oublier la dimension symbolique de l’affaire, qui est sans doute première.

 

Derrière ce débat qui frise parfois l’empoignade, il y a au moins trois logiques d’action: la logique sanitaire, la logique relationnelle et la logique de la liberté. Les mauvais esprits en rajouteront une quatrième: la logique politique. Aujourd’hui, je vous laisserai explorer vous-mêmes ce terrain.

 

La logique sanitaire est une logique de précaution. A ce titre, on ne saurait trop faire peur aux enfants afin qu’ils ne traversent pas la rue. A partir de là, on peut repérer l’amplification naturelle à cette logique : chacun, par sécurité, rajoute son tour de vis afin de ne pas être plus tard accusé d’une coupable incurie. Avec une telle dérive, on peut en venir à tuer les gens pour leur éviter de tomber malades. Quant à l’efficacité des mesures, à leur opportunité ou à leurs dégâts collatéraux, les opinions même scientifiques sont divisées comme tout ce qui touche depuis le printemps à cette épidémie. Donc, on les adoptera toutes, ensemble ou successivement. Même si l’on ne pourra jamais rien prouver, lorsqu’on sera sorti de l’auberge - à condition d’en sortir - on pourra toujours leur attribuer tout ou partie de notre salut et chacun de leurs promoteurs pourra réclamer sa part de la gratitude populaire.

 

La logique sanitaire actuelle est en opposition impitoyable avec la logique relationnelle. Celle-ci vient de nos tripes: nous sommes des êtres sociaux, affectifs, dont les sens sont orientés à la communication. Les poignées de main, les bises, les étreintes, quand elles sont interdites, constituent un appauvrissement cruel de notre vie sensorielle. Le visage de l’autre, quand nous pouvons le voir, est en général la première chose que nous regardons de lui, qui nous parle de lui, de ce qu’il vit dans le moment, de ce qu’il peut représenter pour nous. Le philosophe Alain disait que la bouche est plus révélatrice de quelqu’un que ses yeux. Les expressions du visage qui partent des mâchoires précisent nos mots, les teintent d’émotion, de sincérité ou de mensonge, parfois même les remplacent. Sous le masque, nous pouvons sourire, faire la grimace, esquisser un baiser ou tirer la langue, nos yeux en diront si peu et de manière tellement ambiguë que l’incommunicabilité prévaudra. Si l’on devait porter durablement cette muselière, sans doute faudrait-il apprendre une gestuelle compensatrice.

 

Enfin, il y a la logique de la liberté. Le masque est quelque chose que je n’ai jamais porté de ma vie, qu’à tort ou à raison m’impose une autorité qui à l’origine le déconseillait. Si j’ai un caractère naturellement discipliné, voire soumis, je n’en aurai pas beaucoup d’états d’âme. Il se peut même que la figure du protecteur en filigrane de ces injonctions me rassure. En revanche, si j’ai le rapport à l’autorité sourcilleux, ce n’est pas la même histoire. Pour citer à nouveau Alain: « Si quelqu’un veut empêcher ma liberté, je la lui prouve témérairement ». En tout cas, j’aimerais ici pointer une autre dérive que je trouve dangereuse: chez un certain nombre de personnes, la discipline des gestes entraîne l’abdication de la pensée. Il leur est difficile de porter le masque tout en gardant leur esprit critique. Un pas de plus et, même en étant aussi respectueux des règles qu’elles, si vous vous autorisez à exprimer le moindre doute devant elles, vous serez accusé de délit d’opinion.

 

Eprouver le sentiment de la liberté est relatif aux situations que nous vivons et à ceux avec qui elles nous confrontent. Ce sentiment est relié à des symboles qui sont différents selon les individus. Pour certains, c’est le choix du vêtement, pour d’autres le rapport au temps, au langage, à l’occupation de l’espace public, etc. Parfois, le sentiment de la liberté a besoin de se vivre plus intensément et c’est alors l’entrée en transgression, en résistance ou en lutte. Il y a deux formes vestimentaires apparemment opposées qui nous invitent à nous écarter d’une opinion binaire : le niqab et le crop top. On peut décider que porter l’un ou l’autre est une forme de soumission: la collégienne qui montre son nombril adhère à une dynamique grégaire promue par les réseaux sociaux, la musulmane qui à l’inverse se voile de la tête aux pieds à une coutume séculaire maintenue par les mâles. Mais on peut aussi imaginer que la collégienne, face aux injonctions puritaines des adultes, affirme sa liberté en adhérant à un mouvement provocant, et que la femme voilée revendique son identité culturelle face à ce que notre société - pour elle étrangère - entend lui imposer. Dans les deux cas, il y a en même temps l’acceptation d’un conformisme et l’exercice d’une résistance.

 

L’économie du sentiment de liberté résulte donc de la façon dont je réponds à ces deux questions:
- face à qui veux-je en priorité affirmer que je suis libre ?
- entre plusieurs conformismes, lequel sied-il à l’identité que je cultive ou veux afficher ?

Mais, dans la situation où nous nous retrouvons du fait de l’épidémie, la question fondamentale est plutôt celle de la liberté que du sentiment de liberté:

- jusqu’où sommes-nous prêts à échanger des pans de notre liberté contre une sécurité plus ou moins démontrée ?

En poussant le bouchon un peu plus loin:

- Au delà de quel niveau de restriction, le risque est-il préférable à la sécurité ?

 

 

 

 

 

18/09/2020

La liberté d'expression et ses enjeux

 

 

La liberté d’expression est l’oxygène de la démocratie et son socle constitutionnel ne saurait être que la laïcité. La question que soulèvent les caricatures de Charlie n’est pas pour moi celle de la liberté d’expression. Pas davantage ne s’agit-il, toujours selon moi, d’une affaire de prudence: « Vous avez le droit pour vous, mais allez-y doucement quand même, sinon vous allez finir pulvérisés! » On sait que, malheureusement, malgré les dispositifs de surveillance policière les plus sophistiqués, le risque existera toujours de s’exposer à la rage d’énergumènes dangereux. Soit on l’assume, soit on se tait. Mon soutien va à ceux qui ne se taisent pas. Celui qui a tort, définitivement, c’est celui qui, par dessus les lois de la République, entend imposer la violence des siennes: le vandale, l’assassin.

 

Un sujet qui n’est guère évoqué, en ce qui concerne les caricatures de Charlie, est d’une autre nature. Pour reprendre une expression quelque peu galvaudée, il relève du « vivre ensemble ». Il y a des choses qu’il ne m’est pas interdit de faire, mais que je choisirai en toute liberté de ne pas faire. Pourquoi ? Non pas parce que j’ai peur des représailles, mais par seul respect des personnes que je pourrais blesser, qui, pour leur grande majorité, sont honnêtes et ne me veulent pas de mal. Je peux avoir l’esprit mordant et j’ai pu y prendre du plaisir. Il m’est arrivé de blesser d’un mot que je trouvais trop bon pour le taire. La gloriole d’avoir fait rire les uns n’a pas compensé la vergogne, un peu tardivement ressentie, d’avoir meurtri quelques autres. Avec l’âge, je me suis un tantinet calmé. Je n’ai aucune envie de faire de la peine à quelque innocent que ce soit, qu’il s’agisse d’un enfant en me moquant de son chat (1), d’un nouveau voisin dont je trouverais l’ameublement horriblement moche, ou d’Aïcha, mon ancienne collègue, à propos de sa pacifique dévotion. J’ajouterai qu’il y a bien assez de tensions menaçantes et de zones de fractures dans la société actuelle sans en rajouter en humiliant gratuitement les gens de bonne volonté, ce qui pousse chacun à se raidir. Bien qu’elle ne soit pas spontanément dans ma nature, j’en suis venu à penser que la communication non violente serait le levier d’un vrai progrès pour la démocratie.


Dans cet esprit, il y a une autre forme de liberté d’expression qu’il conviendrait d’examiner. Je veux parler de celle d’une certaine classe sociale qui a tendance à se prendre pour l’élite et, à ce titre, se croit dotée d’un statut qui lui permet de clamer publiquement tout le mépris qu’elle a des gueux. Aude Lancelin, par exemple, raconte que, pendant le mouvement des Gilets jaunes, « quelqu’un comme Laurent Alexandre a dit publiquement que les Gilets jaunes étaient des déficients intellectuels et qu’ils devaient être menés comme un troupeau par des surdiplômés ». Cela n’est pas sans faire écho aux propos de certains de nos hommes politiques sur les « sans dents » et, si vous avez bonne mémoire, vous reconnaîtrez sûrement celui qui a déclaré : « Une gare, c'est un lieu où on croise des gens qui réussissent et des gens qui ne sont rien». Il n’en était d’ailleurs qu’à sa première en public, depuis lors ç’a été un festival. Qu’il y ait des empoignades entre politiciens et que l’on se traite de noms d’oiseau dans l’hémicycle, ce sont les règles du spectacle et de la catharsis. Mais ce mépris qui s’affiche à l’égard de certaines populations est, dans notre pays, un phénomène nouveau auquel nous devrions prêter attention. Il est hors de mise dans un état qui se dit démocratique, ou alors il est le signe que l’esprit de la démocratie s’en est déjà allé.


On ne peut évoquer la liberté d’expression sans évoquer la censure. Celle-ci n’est pas exclusivement la fille d’un état totalitaire. Grâce à la couardise de leurs interlocuteurs voire à leur auto-castration, des ultra-minorités intolérantes peuvent l’exercer avec autant de détermination. Je pense par exemple à la conférence que devait donner à l’université de Bordeaux Sylviane Agacinski, philosophe opposée à la marchandisation du corps humain. Cette conférence fut annulée en raison des menaces proférées par des groupuscules qui, probablement, se prennent pour des parangons de démocrates. S’il est un lieu où le débat d’idées devrait être libre, cependant, c’est bien l’université! Eh! bien non. La Sorbonne n’a pas donné un meilleur exemple en retirant de son programme une conférence intitulée « Terrorisme : quelles menaces et quels enjeux après la chute du califat ? ». Une autre conférence, de culture générale, celle-là sur Napoléon Ier à qui nous devons rien de moins que l’instauration du Code civil, la réforme du mariage, le baccalauréat et la Légion d’honneur, a été retirée du programme d’une école de commerce. Alors que l’on pleure sur le droit de Charlie de pouvoir publier impunément des dessins humoristiques où l’on voit par exemple Jésus sodomiser la Sainte-Trinité, l’accès à notre histoire nous est refusé sans que cela fasse la moindre vague.

 

Retenez la leçon: d’un ventre mou, on peut obtenir ce que l’on veut. Même si vous ne représentez rien d’autre que vous-même, soyez intraitable, mettez en valeur votre faiblesse, l’oppression que de ce fait vous avez subie: à tous les coups vous obtiendrez ce que vous voulez. Mieux: avant même que vous ayez ouvert la bouche, on ira au devant de vos désirs. Mais qu’est-ce qui fait les ventres mous ? C’est un vaste sujet qui mériterait d’être étudié de près. On doit pouvoir évoquer la couardise, rebaptisée « prudence », le relativisme et l’absence d’ancrage propres aux post-modernes, et aussi ce que j’appellerais une culpabilité fantasmatique.

 

Les menaces des fanatiques sont-elles la seule préoccupation que nous devons avoir ? Les réseaux sociaux offrent apparemment l’accès à une information diversifiée, libérée des médias qu’encadrent l’Etat ou leurs propriétaires. Voire. Quand les administrateurs d’une plateforme planétaire prennent parti sur une question médicale et suspendent la vidéo d’un expert avéré, je me demande de quelle compétence ils s’autorisent. A moins qu’il ne s’agisse pas de compétence mais d’ordres extérieurs auxquels ils obéissent, ou de complicités qu’ils partagent ? Qu’il s’agisse, en coulisse, de l’Etat ou d’intérêts privés, cela signifie que l’on veut nous tenir dans l’ignorance de certaines choses. Dans les deux cas, nous sommes en danger. Ces faits, j’en suis témoin, se multiplient en ce moment.

 

Pour beaucoup d’entre nous, le « 20 heures » reste la source unique et exhaustive de la vérité. Or, le pire de la censure n’est pas de faire disparaître des informations. Il est que nous ne nous rendions pas compte que des informations existent dont nous sommes privés. Jadis, dans l’album de famille, si un ancêtre avait fauté, on gardait les photographies mais on y découpait son image aux ciseaux. Son absence était visible: il y avait un trou qui ne cherchait pas à se cacher. Face à une inondation permanente d’informations, le phénomène est inverse: c’est d’imaginer que quelque chose manque qui demande un effort. Je renvoie à une de mes précédentes chroniques où, à propos de Dunkerque, le film de Christopher Nolan, je soulignais que l’on n’a en permanence à l’écran que des soldats britanniques. De ce fait, ils semblent être les seuls à se débattre sur la scène du drame, alors qu’au même moment des soldats français, invisibilisés par le scénario, se battaient avec acharnement contre l’armée allemande afin de permettre le fameux rembarquement. Si vous connaissez l’histoire, vous pouvez combler les lacunes du film. Mais, s’agissant de l’actualité, entre la convergence des médias - qui se drapent parfois de débats pour donner l’apparence de la pluralité - et la censure larvée des réseaux sociaux, comment imaginer les lacunes ? 

 

Nous vivons une période cruciale de l’histoire de l’humanité. Au vrai, nous sommes à une bifurcation plus déterminante encore que celle entre Néandertal et Cro-Magnon. L’une des routes, celle de la facilité, nous conduit à une sorte de totalitarisme plus ou moins confortable où nous nous abandonnons peu à peu à des maîtres et à leurs mensonges. L’autre, pavée d’incertitudes, exige notre lucidité et notre courage. L’une fera de nous les pièces d’une immense machine dont les commandes nous échapperont définitivement, l’autre nous laisse une chance d’épanouir l’étincelle d’esprit que l’évolution a mise en nous.

 

(1) Cf. ma précédente chronique.