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23/10/2019

Méditation à Colombey

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J’aime, de temps en temps, faire pélerinage à Colombey-les-deux-Eglises. La modestie de ce village et le souvenir de grandeur qui l'habite s’y allient à la perfection, tout à l’opposé de la médiatisation permanente de nos politiciens, d’autant plus logorrhéiques et agités qu’ils ont le coeur vide, l’âme inconsistante et la parole torve.

 

Mon dernier séjour dans le village du Général avait eu pour occasion un séminaire que j’y avais organisé autour d’un thème auquel le lieu me semblait bien se prêter: la prise de décision. Le 17 juin 1940, en effet, deux hommes à la formation identique, militaires jusqu’au bout du képi, deux hommes qui ont vécu la Grande Guerre, ont assisté aux mêmes développement de l’Histoire et ont sous les yeux les mêmes événements, prennent des décisions diamétralement opposées. L’un, à qui est échu le pouvoir, choisit de pactiser avec l’envahisseur; l’autre, qui ne représente que lui-même, s’en va - au nom de la France - poursuivre le combat. On sait quelle cause l’a emporté, mais on ignore souvent ce qu’elle a exigé de stratégie, de foi et de détermination de la part de celui qui l’a embrassée. L’âme, a dit le philosophe Alain, est ce qui résiste. Beau sujet de réflexion qui, pour moi, met en lumière la dialectique de l’âme et de l’intelligence, la fécondation de l’une par l’autre. Si de Gaulle voit les ressources immenses dont dispose encore la France - son empire et ses alliés - c’est qu’il a d’abord dit «non». Si, à la Libération, la France n’a pas vu sa souveraineté passer des mains des Allemands à celles des Américains - le plan AMGOT - c’est qu’il y avait pour lui une réalité au delà des choses matérielles. Ce que de Gaulle a sauvé, c’est la souveraineté de la France non pas seulement face à ses ennemis mais aussi aux appétits de ses alliés.

 

Sur le chemin du retour, une question a priori étrange m’est venue à l’esprit: la France existe-t-elle encore ? Une nation n’est pas quelque chose de donné. C’est un être virtuel qui prend vie et chair par l’histoire que se racontent ceux qui s’en disent les membres, histoire au sein de laquelle ils puisent une part de leur identité. C’est un creuset où verser nos ambitions personnelles et qui nous ouvre à quelque chose de plus grand que nous, un rêve qui procure un horizon aux décisions que l’on doit prendre, une destination qui permet de distinguer les vents favorables et d’ajuster sa navigation. C’est une manière de se vouloir ensemble au monde. Le résultat de cette nation de l’âme, c’est un peuple en relation singulière avec un territoire dans lequel peut s’enraciner, se cultiver et se nourrir, de générations en générations, une identité toujours menacée, et s’organiser un univers concret. C’est un peuple en relation avec un espace dont il entend garder la maîtrise afin d’y vivre à sa manière et de s’y projeter dans le très long terme sans devoir rendre de comptes à qui que ce soit. C’est le lieu d’où l’on pourra dialoguer avec le reste du monde, sur un pied d’égalité. Existe-t-il encore aujourd’hui quelque chose de tel, que l’on pourrait appeler «la France» ?

 

Certes, les menaces qui pèsent sur nous ne s’annoncent plus par le martèlement de nos pavés. Les envahisseurs - dans notre région du monde tout au moins - n’ont pas enfilé de bottes et ils se sont revêtus d’une rassurante peau d’agneau. A l’abri de ce simulacre, ils nous ont susurré - et nous sommes nombreux à les avoir crus - que la question du pouvoir et des frontières est une fausse question, que le jeu de l’économie, vraie source de richesse pour tous, dispense de l’intervention de l’Etat et même se passe avantageusement de ce dernier, et qu’il n’y a de problèmes et de solutions que techniques. A moins de vivre au royaume des Bisounours - autre forme de nation virtuelle il est vrai - on ne peut que constater les mensonges de cette chanson-là. Des milliers de suicides de petits paysans ont été la conséquence de l’introduction au Kérala du business model des industries agro-chimiques multinationales. La biodiversité, facteur de résilience de l’écosystème dont notre survie dépend, est partout menacée par les monocultures intensives et la dispersion des OGM. Nos systèmes sociaux, fruits d’un idéal entêté et de siècles de luttes, sont mis à mal par la concurrence de pays qui n’ont d’autre avantage sur le nôtre que les formes modernes d’esclavage qu’on y pratique. La destruction de nos emplois s’accélère, ainsi que la dépendance de nos pays à l’égard de puissances financières dont la force de frappe ne doit rien à l’économie réelle et n’est que le produit d’un enrichissement purement spéculatif. Ces puissances, ici et là, ont même commencé à s’emparer de millions d’hectares sans égard pour les populations qui vivent dessus ou dont l’alimentation en dépend. En même temps, inspirées et parfois financées par les envahisseurs, les législations liberticides se multiplient qui nous empêchent d’expérimenter les moyens de notre propre résilience. Quant à la dette souveraine, elle n’est rien d’autre que la botte de l’envahisseur dans la porte de la maison enfin entrouverte. Demandez à nos amis grecs ce qu’ils en pensent. Demandez aussi aux Islandais. Face aux envahissements de toute sorte - produits, règlementations, prédateurs de tout poil - cette question prétendument ringarde de la souveraineté nationale, parce qu’elle concerne rien de moins que le choix de notre société et de notre avenir, est plus actuelle que jamais.

 

Pour la première fois dans l’histoire des peuples, ceux-ci ne sont pas principalement ou immédiatement menacés par un belligérant qui déferlerait sur leur sol les armes à la main «pour égorger leurs fils et leurs compagnes». La puissance dont l’ombre s’étend sur le monde n’est pas une horde de barbares hirsutes et braillards ou une armée en ordre de marche avançant au pas de charge. C’est une petite caste apatride qui dirige les oscillations d’une formidable marée monétaire où se mêlent les eaux les plus douteuses. Utilisant des conventions internationales signées par des naïfs ou des corrompus, agitant des colonnes de chiffres prises pour parole d’évangile, plaçant ses agents ici et là au vu et au su de tout le monde, elle opère en toute impunité. Dans un tel monde, seule la nation - si elle veut bien s’assumer - a l’échelle, les moyens et la légitimité qui lui permettent de contenir cette subversion. Au nom de quelle prétendue légitimité supérieure, traité de ceci, directive ou constitution de cela, un peuple, aujourd’hui, n’aurait-il plus le droit et les moyens de refuser ce qu’il considèrerait comme un danger pour son territoire, pour la société qu’il a bâtie, pour l’avenir de ses enfants ? Le 18 juin 1940, en lançant son Appel, le Général de Gaulle a fait apparaître que légalité et légitimité ne coïncident pas nécessairement. Dans la suite des évènements, il a aussi démontré qu’on ne représente pas les destinées d’un peuple en débitant son héritage pour se faire apprécier des autres joueurs.

 

Charles de Gaulle nous a laissé une histoire, celle d’une nation qui a eu le respect d’elle-même et de ses enfants: si nous acceptons de regarder plus loin que nos peurs et nos soucis égoïstes, c’est la preuve d’amour que ceux qui vivent aujourd’hui peuvent encore donner aux générations qui leur succéderont.

 

 

 

23/01/2011

Trahis et abandonnés: le salut ?

 

L’entreprise nous a trahis et l’Etat nous abandonne.

L’entreprise nous a trahis. J’ai eu le premier soupçon que la logique boursière dévoyait l’entreprise lorsque, dans les premiers jours de 1988, préparant une série de conférences sur le krach de 87, j’eus la confirmation que jamais les entreprises françaises ne s’étaient aussi bien portées qu’en cette année qui était pourtant à marquer d’une pierre noire. Puis, au début des années 90, il y eut la démonstration du génial Claude Riveline : il y avait une constante entre l’annonce par une entreprise de licenciements massifs et l’augmentation de sa valeur en bourse. A peu près au même moment, si ma mémoire est bonne, une thèse démontrait que les fusions, prônées au nom de la compétitivité, n’avaient en fait de bénéfices que pour l’égo et le portefeuille des dirigeants qui l’emportaient. Ensuite, nous avons eu les « années mondialisation » et le chant des sirènes néolibérales qui a endormi notre vigilance. On détruisait de l’emploi chez nous, mais en en créant ailleurs, on propageait à la Terre entière la version du progrès mise au point par l’Occident. Il suffirait que nous gardions un pas d’avance pour recréer de l’emploi tout en voyant s’accroître sans cesse notre « pouvoir d’achat ». Pour faciliter cette mécanique des fluides matériels, financiers et humains, il fallait déréguler, et on dérégula vaillamment. On délocalisa de plus en plus. On produisit où c’était le moins cher, multipliant les maquiladoras et les sweatshops pour alimenter nos marchés au moindre coût. On produisit où c’était le moins règlementé, de façon à économiser sur la sécurité des gens et de l’environnement. C’est ainsi qu’on a eu Bhopal - et bien d’autres sinistres dont on a moins parlé, voire pas du tout. Les plus-values boursières devinrent la préoccupation unique des dirigeants, qui d’ailleurs y abreuvaient une soif de richesse dont les limites reculaient sans cesse. La rémunération des CEO a crû ainsi sans commune mesure avec celle du salarié moyen. Plus grave, vendre n’importe quoi et s’enrichir de n’importe quoi a pris le dessus sur toute autre considération. Les scandales de ces derniers mois dans le secteur de la santé nous ont permis de voir enfin la pointe de l’iceberg et le cynisme qui guide le système.  Mais on aurait pu s’en rendre compte plus tôt. On pouvait déjà savoir - un exemple parmi d'autres - qu’en Afrique, la vente de lait maternisé à des mères à qui on expliquait que celui de leurs seins était moins bon, avait accru les maladies et la mortalité des nourrissons: dans les villages, il n'y avait tout simplement pas d'eau saine pour faire les biberons. Mais, me direz-vous, cela avait le mérite de générer une nouvelle demande : celle de médicaments dont l'achat serait soutenu par des subventions...

L’Etat nous a abandonnés. On a dérégulé vaillamment, disais-je. Dans certains pays d’Amérique latine les Chicago boys de Milton Friedman n’ont pas hésité à répandre le drame et la misère, véritables inquisiteurs modernes qui, au nom de Dieu, pourchassent l’hérésie par les emprisonnements, les tortures et les exécutions. Chez nous, cela s’est passé en douceur, car nous sommes des intellectuels et la conquête s’est faite par l’esprit. D’autant que le système, avant qu’il se dévoie, nous avait d’abord procuré les fruits des Trente glorieuses. Nous n’avons pas perçu le virage, car nous aimons la beauté des Idées. Aveuglés par leur pureté cristalline, nous n’avons pas vu – par exemple - que le développement du crédit à la consommation était une manière de masquer le retard que prenait les revenus du travail sur celui du capital, tout en permettant à la machine – qui a besoin de la consommation - de continuer à tourner, et aux banques de trouver une nouvelle source de revenus . Nous n’avons pas vu que l’extension à toute activité des principes de la privatisation et de la concurrence fragilisait notre société, à l’image de ce qu’elle avait fait pour les chemins de fer britanniques.  Nous n’avons pas vu que l’abandon par l’Etat de sa responsabilité fondamentale au profit du « tout se règle par le marché » était un déni de la communauté nationale et de la notion même d’Etat. Nous n’avons pas vu que cet abandon transformait le rôle de nos hommes politiques qui, de ce fait même, devenaient non plus les garants de l’intérêt général et les gestionnaires des ressources collectives, mais les vassaux et les courtisans de nouveaux maîtres.

Lorsque, aux Etats-Unis, l’abus du crédit à la consommation a engendré le tsunami des subprimes, les Etats, déjà endettés pour ne pas dire surendettés, ont mis la main au portefeuille pour secourir les banques. Avec les résultats que l’on voit aujourd’hui en Espagne, en Grèce, en Irlande, en Grande-Bretagne, etc. : le noyé est en train d’étrangler son sauveteur. Alors, pour desserrer l’étreinte, pour retrouver les faveurs de nos créanciers et éviter la discipline des agences de notation, on met les citoyens à la diète.

L’entreprise nous a trahis et l’Etat nous abandonne : il ne nous restera plus bientôt qu’à nous organiser pour nous passer d’eux. D’ailleurs, pourquoi ne pas commencer tout de suite ?

01/10/2010

Lucidité

 

Sans commentaire:

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