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21/11/2007

Prédateurs d’avenir

Le journal Le Monde daté du 17 novembre rend compte des travaux de l’ONU sur l’avenir de la planète, travaux qui se concluent par le constat d’une opposition entre le « marché roi » et l’écologie.

GEO 4 – tel est le nom du rapport que le PNUD vient de publier – a mobilisé 1400 scientifiques et experts. Cinq domaines y font l’objet d’une projection à l’horizon 2050 : le changement climatique, l’énergie, l’eau, l’égalité et la biodiversité. Quatre scénarios y sont évalués : « marché d’abord », « sécurité d’abord », « politique d’abord », « écologie d’abord ».

Laisser au marché la haute main sur les affaires de la planète se révèle, dans tous les domaines, le pire des choix. Comment s’en étonner ? Le marché fonctionne dans un éternel présent, en vertu du principe selon lequel «la preuve du pudding, c’est quand on le mange ». Il ajuste – ou tente d’ajuster – ce qui a un poids au sein de l’économie matérielle*, mais ne peut intégrer ce qui, pour lui, n’existe pas. Le consommateur de 2050 ne constituant pas un marché et pas davantage les plantes et les animaux qui disparaissent chaque jour, leurs intérêts ne sont pas pris en compte. Les générations à venir – qui sont les grandes muettes de cette idéologie - sont ainsi des générations sacrifiées.

Grâce à la talentueuse Isabelle Raugel (voir Sites et blogs recommandés), j’ai eu le privilège d'inviter en conférence privée le prospectiviste américain Howard Rheingold**. Il rappelait qu’en Angleterre, il y a quelques siècles, les propriétaires de bétail s'étaient laissé aller à mener aux pâturages communaux des troupeaux de plus en plus importants. A telle enseigne que, bientôt, ces bêtes en trop grand nombre transformèrent le sol en un bourbier où, plus rien ne pouvant pousser, elles ne pouvaient plus se nourrir. Cet épisode de l’Histoire a été théorisé sous l’appellation de « tragédie des biens communs »***.

Cette tragédie, il se pourrait que la mondialisation marchande nous la fasse vivre bientôt à l’échelle de la planète. Mais, cette fois-ci, les seuls appétits humains ne seront pas en cause. Un dogme vient leur apporter sa caution: celui du marché.

Est-il possible qu'une fois encore dans notre histoire des croyances nous cachent la réalité ?

* J'utilise ici ce terme dans l'acception que lui donne mon ancien condisciple Maurice Obadia dans son livre Pour une économie de l'humain: tout ce que l'argent permet de produire et de transmettre.

** Auteur notamment de Smart Mobs.

*** Cf Garret Hardin: Tragedy of the Commons.

01/11/2007

Etienne de la Boétie

Étienne de La Boétie naît à Sarlat le 1er novembre 1530, il y a donc 477 ans aujourd’hui. Je n’ai pas eu la patience d’attendre que cela fasse un compte rond pour vous parler de l’auteur de «La servitude volontaire».

On dirait aujourd’hui de lui qu’il est un enfant surdoué. Il fait des études de droit à Orléans et acquiert rapidement une telle réputation qu’il est admis en qualité de conseiller au Parlement de Bordeaux à l’âge de vingt-trois ans (alors que l’âge légal est de vingt-cinq). La même année, en 1553, il est élevé à l’office de «Conseiller en la cour».

Etienne épousera la veuve du frère de Montaigne et la relation qui le liera à l’auteur des Essais est devenue légendaire. Jusqu’à la chanson de Brassens Les copains d’abord qui y fait allusion. Montaigne aura à propos de leur amitié cette phrase célèbre : «Si on me pressait de dire pourquoi je l’aimais, je sens que cela ne se peut exprimer qu’en répondant : parce que c’était lui, parce que c’était moi».

C’est à dix-huit ans, en 1548, alors qu’il commence ses études universitaires, qu’Etienne de la Boétie écrit le fameux «Discours de la servitude volontaire». Avec une maturité extraordinaire, il y soulève une question qui n’a pas fini de hanter les chercheurs de plusieurs disciplines:

«Je voudrais comprendre comment il se peut que tant d’hommes, tant de bourgs, tant de villes, tant de nations supportent quelquefois un tyran seul qui n’a de puissance que celle qu’ils lui donnent, qui n’a pouvoir de leur nuire qu’autant qu’ils veulent bien l’endurer, et qui ne pourrait leur faire aucun mal s’ils n’aimaient mieux tout souffrir de lui que de le contredire.»

Il faut dire que l’année où Etienne de la Boétie écrit son discours, le connétable de Montmorency a réprimé à Bordeaux , de manière particulièrement horrible, un soulèvement contre la gabelle. Les hommes s’intéressent au mystère du pouvoir lorsque celui-ci dépasse les bornes de l’abus ordinaire. Au XXème siècle, les expériences de Milgram n’ont-elles pas été inspirées par le désir de comprendre les mécanismes qui, d’êtres normaux, ont fait des complices actifs du régime nazi ?

A la question « Pourquoi obéit-on ? » Etienne de la Boétie fait une triple réponse. Selon lui, nous obéissons (1) par accoutumance, (2) parce que les hommes de pouvoir cultivent notre pusillanimité en nous octroyant « du pain et des jeux » et (3) parce qu’ils savent s’attacher des épigones qui multiplient les yeux et les bras qu’ils n’ont pas.

Bien que le pouvoir ne soit pas nécessairement cruel, on pourrait se demander quels sont ses effets, en tant que principe organisateur du social, sur l’expression du potentiel humain. Les individus conditionnés au rôle de vassaux, courtisans ou exécutants révèlent-ils ou font-ils se révéler les richesses de l’humain ?

31/10/2007

Scène de rue

Message reçu lundi de mon ami Gérard Lebrun...

"Ce jour, je traversais d’un bon pas la Place de l’Hôtel de ville, me rendant de la rue de Seine au quartier de Belleville, où se trouve mon association, lorsque soudain, à quelques pas de moi, un homme de quarante-cinquante ans s’étale de tout son long sur le trottoir et reste allongé par terre. Il a l’air sonné.
Il est un peu tôt le matin, il n’y a pas grand monde alentour. Je m’approche. Je veux appeler les secours. Il me fait signe, péniblement, que ce n’est pas nécessaire. Cet homme a l’air épuisé. Après un temps, où il reprend ses esprits, je l’aide avec un autre passant à se relever. Il est groggy. Je lui suggère d’aller prendre un café à un bar tout proche, pour se remettre. Il me dit Je n’ai pas d’argent. Je lui donne, ainsi que l’autre passant, quelques pièces. Il me dit Accompagnez-moi. L’autre passant a un rendez-vous. Il ne peut rester. Je dis à l’homme Je peux y aller, et le soutenant, nous traversons la chaussée et allons nous installer de l’autre côté à une table au bar. Je commande deux cafés et un croissant.
Qu’est-ce que vous faites dans la vie ? me dit-il. Je lui dis Je suis retraité, j’étais dans un grand groupe informatique. Il me dit J’étais commercial. Je travaillais à mon compte. Mes clients étaient à Bordeaux, Paris, Lille. J’ai perdu tous mes points de permis. On m’a retiré mon permis. J’ai perdu mon travail. Je n’ai plus rien. Je ne suis plus rien.
Il me dit Avez-vous des enfants ? Je lui dis J’ai deux enfants. Ils sont adultes. J’ai une petite-fille. Il me dit Ma femme m’a quitté. J’ai un enfant de cinq ans, il est avec sa mère. Ils sont à Rennes. Je voudrais les revoir. Je n’ai pas d’argent. Je n’ai plus de logement. Je n’ai plus de travail. C’est dur.
Il me dit Je voudrais revoir mon enfant. Je lui ai laissé de quoi prendre son billet. Il m’a dit Merci pour ce moment. Après quelques échanges encore La dureté de la vie, les pauvres qui trinquent de plus en plus, le petit nombre de riches qui s’affichent, l’injustice… j’ai dû le quitter, on m’attendait à l’association. Il m’a dit à nouveau Merci pour ce moment.
Reprenant mon chemin, je me suis dit Il ne fait pas bon trébucher, dans notre société. On parle de tous les laissés pour compte, de ceux qui restent au bord du chemin, des accidentés de la vie. J’ai rencontré celui-là. Combien sont à la merci d’un accident de parcours qui ne pardonnera pas. Tu es à terre, tu t’étales. Mais la terre ne te prend pas. Tu t’écroules. Tu gis. Ci-gît un déchet de notre société. La vie, celle des autres, continue. Les passants passent, les affaires roulent. Tu es, toi, un scorie. Un résidu de production. Un abandonné au bord du chemin.
Est-ce ainsi que les hommes vivent ?
Paris, 25 octobre 2007"