02/03/2010
Nommer
Dans la Genèse, Dieu demande à l'homme de nommer les animaux et l'ensemble des créatures. Donner un nom est un pouvoir. Un adjectif, d'ailleurs, peut valoir un nom. Ils sont nombreux ceux qu'un qualificatif un peu lestement administré par un adulte dans leur âge tendre a durablement blessés, au point que la blessure est devenue un élément de leur construction identitaire. Comme l'a montré Michael White, chacun d'entre nous est une histoire qui se raconte. Cette histoire, comme toutes les histoires, est faite de mots. Et ces mots ne sont pas seulement les nôtres, ce sont aussi et surtout ceux des autres à notre propos.
Avez-vous observé ce qui se passe si, dans le cadre d'une enquête, on vous interroge sur votre « expérience de consommateur » ? Déjà, le mot consommateur à lui seul fait apparaître dans votre esprit ce que Christine Hardy appelle une « constellation sémantique » : un réseau de concepts et d'affects s'organisant par le sens. Les logiciels qui s'initialisent alors automatiquement dans votre cerveau s'appellent « rapport qualité - prix », « en avoir pour son argent », « être exigeant », « ne pas se faire avoir », etc. C'est en entrant dans de telles constellations qu'un acteur peut s'approprier un personnage. Quand on s'adresse à vous en tant que consommateur, vous êtes un acteur qui endosse machinalement le rôle qu'on lui tend. Mais l'acteur n'est-il pas plus riche que le rôle ? Votre vie n'est-elle pas plus vaste que la pièce qu'on vous propose de jouer ?
Je n'ai plus envie qu'on s'adresse à moi comme à un consommateur. Cela me donne l'impression d'être réduit aux fonctions d'un tube digestif. Or, j'ai la prétention d'être plus que cela. Et nous avons le devoir d'être plus que cela. Un tube digestif, oui, mais avec une conscience au moins ! Entendre dire « les consommateurs veulent ceci ou cela » me hérisse. J'ai l'impression qu'on nous enferme. Du bétail qui ne doit pas sortir du parc qu'on lui a assigné. « Consomme, et ne cherche pas à comprendre, on s'en charge. » Si, au long des années, on vous dit et on vous répète que vous êtes un consommateur, plus qu'une défroque à endosser provisoirement cela va devenir une seconde nature et bientôt une identité. Surtout qu'on va vous montrer ou vous démontrer que c'est gratifiant. Mais la parole de l'autre, expert ou non, acceptée comme un moyen de se désigner, de se comprendre soi-même, n'est parfois que l'entrée d'un couloir de plus en plus étroit où nous perdons la gamme de nos sentiments et la variété de nos comportements possibles.
Lors d'une journée de réflexion qui réunissait une poignée d'hommes et de femmes de tous horizons, j'ai demandé qu'on attendît la clôture pour se présenter. Nous avons ainsi ignoré qu'il y avait par exemple dans la salle un énarque, une cartomancienne et un autodidacte. Nous étions entre être humains. Alors, justement ! Imaginez de remplacer « consommateur » par « être humain ». Tout simplement. Dire : « les êtres humains veulent ceci ou cela », vous sentez ce qui se passe ? Vous voyez le champ qui s'élargit, simplement en changeant un mot ? Essayez maintenant avec salarié, chômeur, patient... Magique n'est-ce pas ? Seulement, voilà: vous allez sortir du cadre dans lequel on veut vous contenir. A bien y réfléchir, l'acteur, même talentueux, joue les pièces écrites par d'autres.
08:18 | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : consumérisme, développement personnel
27/02/2010
Noisettes et oignons
En période de disette, l'écureuil qui a le plus gros tas de noisettes et qui sait les protéger a le plus de chance de survivre. Pourquoi croyez-vous que les riches veulent devenir de plus en plus riches ? Pourquoi, alors que la misère s'accroissant et que des pays roulant à la ruine, ces pratiques n'ont jamais été aussi impopulaires, pourquoi les banquiers continuent-ils à s'attribuer des bonus de plus en plus astronomiques et les P.-D. G. à empocher des salaires qui dépassent les plus gros gains du Loto ? La peur! Ils savent ce monde au bord de l'abîme, qui fonctionnait jusqu'ici à leur avantage. Ils sentent que la partie approche de sa fin et que la poule aux oeufs d'or est en train de mourir. Alors, ils se disent que, quel que soit le monde qui nous attend, plus ils en auront, mieux à même ils seront de s'en sortir et de protéger leur descendance. Avec cet argent, ils s'achètent des kilomètres de plage, des dizaines de milliers d'hectares de terre, ils établissent des camps retranchés, se font édifier des châteaux-forts et se paient des milices. De quoi dresser une digue contre la marée de misère et de violence qui s'enfle à l'horizon. Je ne suis pas en train de délirer: ces nouveaux fiefs se multiplient actuellement à la surface de la planète. Ceux qui sont beaucoup moins riches mais encore un peu et qui ressentent une inquiétude diffuse la conjurent en achetant l'impression de sécurité que procure un 4x4. Les plus sages, s'ils en ont les moyens, cultivent leur jardin. En tout cas, soyons vigilants: quand les oignons s'enrobent de peaux épaisses, c'est que l'hiver sera long et rude!
09:10 | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : misère
26/02/2010
La crise ne fait que commencer
De mon ami Jean-Michel Servet, de l'Institut universitaire d'Etudes du Développement de Genève, une analyse limpide:
http://www.letemps.ch/Page/Uuid/9ee25b56-2256-11df-8df6-f...
07:25 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : crise, économie, mondialisation, emploi, paupérisation