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11/01/2014

A propos de l’Etat (1)

 

 

Si l'on regarde un peu du côté des sciences naturelles, on découvre qu'il n'existe pas de cellule qui ne soit enveloppée d'une membrane, laquelle filtre tant ce qui sort de la cellule que ce qui y entre. Sans cette membrane, la cellule ne pourrait pas survivre: faute d'être protégée, sa substance serait dangereusement adultérée par les intrants non filtrés; faute d'être retenue, elle se répandrait au dehors. Les cellules sont les briques des organismes évolués: ceux-ci n’existeraient pas sans les combinaisons complexes qu’elles peuvent former entre elles. Lynn Margulis a montré que notre propre corps est l’héritier de très anciennes bactéries qui ont su s’associer, formant des colonies, puis des colonies de colonies et des colonies de colonies de colonies, etc. A tous les niveaux de cette organisation, on retrouve une sorte de frontière, car aucun être vivant ne peut exister sans une fonction qui distingue le dedans du dehors, le soi du non-soi. Il s’agit là, en fait, d’un processus identitaire fondamental, et, qu’il s’agisse d’une bactérie, d’une personne ou d’un peuple, il n’est pas d’existence sans identité. 

 

Sous l'influence de l'opium mondialiste, la plupart des nations occidentales ont aminci les membranes qui permettent aux cellules que sont les communautés nationales de s'organiser intérieurement en fonction de leurs valeurs et de leur représentation de l’humain. Derrière les phénomènes économiques, sociaux et financiers, c'est la possibilité d’avoir une identité et un projet de société que nous évacuons. Mais c’est en outre un marché de dupes, car nos renoncements ne servent qu’à renforcer ceux qui nous invitent à les consentir et qui, bien loin d’en faire autant, s’enrichissent en nous colonisant. Si, sous l’effet des idéologies, de l’enfumage culturel et des peurs, nous laissons nos enveloppes devenir de plus en plus poreuses, d’autres en effet accroissent leur capacité à persister dans leur être. Ce que nous perdons en identité, ils le gagnent en pouvoir. Le phénomène est particulier car, jusqu’à présent, gagnants et perdants étaient des puissances de même nature - royaumes, peuples ou nations - qui cherchaient à étendre un territoire physique ou à le défendre. Aujourd’hui, nous assistons - aveugles semble-t-il - à rien de moins que le dépérissement des Etats au profit d’une puissance d’un ordre différent, celle des appétits privés et de leurs organisations. Cette puissance engendre une sorte d’Etats virtuels, apatrides qui n’ont pour contours que ceux des masses de produits et de capitaux qu’ils envoient comme des armées envahir la Planète. Alors que les Etats traditionnels, grâce à leurs constitutions et aux règles qu’ils édictent, peuvent se donner pour fonction de protéger la communauté nationale et d’organiser une société plus juste, ces nouvelles puissances ne connaissent par nature que la loi de la jungle. Elles enfoncent toutes les portes afin que plus personne ne soit à l’abri leur voracité.  

 

Face à cela, nos pays sont dans l'état de cellules qui auraient renoncé à filtrer ce qui entre en elles - produits, dogmes, finance empoisonnée, réglementations. En même temps, leurs esprits affaiblis par des idéologies qui ont remplacé la conscience de soi et de leurs intérêts légitimes, ils laissent s’échapper leur substance propre. Que voulez-vous faire, par exemple, si par le biais de normes internationales adoptées sous l'influence d’intérêts privés qu’on n’a même plus le cran de remettre à leur place, on nous conduit à donner l’exclusivité à tel type d'agriculture, d'enseignement ou de système de santé ou encore si l'on rend illégale la forme de solidarité nationale que nous avons mis plusieurs générations à construire ? Que voulez-vous faire si, vous étant ouverts aux quatre vents, vous devez détruire ce que vous aviez bâti afin de seulement résister à votre mise en concurrence délibérée avec des esclaves proches ou lointains ?

 

Le paysage serait incomplet si je me limitais au duo entre un Etat démissionnaire et une ploutocratie conquérante. Comme dans l’histoire bien connue des deux larrons en foire, un troisième apparaît qui pourrait bien s’emparer du magot - un magot qui, en l’occurrence, est l’avenir. Raymond Ruyer, le philosophe de Nancy inventeur de la «gnose de Princeton» avait annoncé le processus d’autodestruction dans lequel il voyait l’Occident engagé. Parmi les publications de l’époque censées issues de ce courant de pensée, il y avait une thèse dont j’ai hélas! oublié le titre et l’auteur - et le livre est au fond d’une caisse, victime d’une succession de déménagements. Mais sa simplicité et son évidence m’avaient frappé: la pérennité d’un peuple a pour fondement les deux piliers de la nature et de la culture. Pour emprunter au vocabulaire mathématique: les deux sont à la fois nécessaires et suffisants. Un peuple durable est celui qui, d’une part, se reproduit biologiquement, et, de l’autre, a chevillées à l’âme des croyances simples - la foi du charbonnier - et des rituels tout aussi simples qu’il transmet à ses enfants. C’est la double hélice d’ADN des populations humaines: l’une des spirales transmet l’identité biologique, l’autre l’identité culturelle. Et cela suffit. Point n’est besoin d’un territoire physique où s’enfermer et qu’il faudrait défendre. L’histoire des Hébreux, leur diaspora et la vision que le prophète Esdras se fait d’une terre d’Israël qui est dans le coeur et les textes sacrés, illustrent ce processus. Le réveil actuel de l’Islam nous montre, dans le jeu des acteurs que j’ai esquissé, une troisième voie de conquête du long terme. Vous remarquerez, au surplus, que cette conquête n’est pas intrinsèquement violente. Ce n’est pas une troupe armée jusqu’aux dents qui déferle sur un village, enfonce les portes et jette les gens à la rue. Si conquérir un territoire physique demande d’envoyer des hommes à la mort, pour conquérir l’avenir à long terme il ne sert de rien de creuser des tranchées ou de livrer des batailles. Il s’agit de bénéficier d’un différentiel de croissance. Il suffit de remplir l’espace biologique et culturel que les autres abandonnent. Les richesses matérielles seront données en surplus.

 

Un peuple est une création permanente. Il apparaît un jour - la France, par exemple, est issue du melting pot où se sont brassés dans la succession des siècles les Celtes, les Romains, les Barbares, les Normands et bien d’autres encore - et, en même temps qu’il se compose, se recompose et s’élargit comme une famille, il élabore et se raconte une histoire qui fait tenir ensemble l’hétérogénéité de son parcours et de ses composantes, et, surtout, qui lui permet de se penser lui-même. Au cours de cette genèse, l’Etat apparaît et, illustration du principe de récursion mis en lumière par Edgar Morin, l’Etat et le peuple entrent dans un processus de création réciproque. Alors, oui, dans ce processus, nous avons parfois souffert de la lourdeur, de l’arbitraire, des erreurs et des injustices éventuelles de l’Etat. Mais, si l’on prend par exemple le programme du Conseil national de la Résistance ou, à la même époque, de l’autre côté de la Manche, celui du gouvernement de Clement Atlee, force est de reconnaître que nous avons eu besoin de l’Etat pour poser les bases d’une société qui soit moins livrée à la loi du plus fort. Cependant, les propriétaires de capitaux ont trouvé qu’ils pourraient s'enrichir bien davantage sans ces contraintes coûteuses, et le citoyen, devenu consommateur, a trouvé qu’il pourrait consommer davantage et plus librement si, par exemple, on pouvait faire travailler des peuples lointains plutôt que son voisin de palier. Sur une aspiration à «moins d’Etat» et de réglementation, les uns et les autres se sont retrouvés dans ce que Marx appelle une alliance objective. Ils ont travaillé à miner le projet social et le rôle de protection du système politique, en commençant par les déconsidérer dans les esprits. L’Etat, la nation? Ringards! Le Welfare state ? Un rêve de poules mouillées! - Cherchez donc à qui le crime profite réellement.

 

Trop d’Etat ? C’est toujours possible. Mais il peut y avoir trop d’Etat dans un domaine et pas assez dans un autre. C’est une distinction fondamentale qu’on oublie de faire. Alors, avez-vous regardé de quoi se compose le «trop d'Etat» ? Quand  certaines législations européennes, suscitées par les lobbies en quête de flux monétaires, se substituent à notre législation nationale et viennent réduire notre liberté d’avoir notre projet de société, est-ce du «trop d’Etat» ou du «pas assez d’Etat» ? Quand tel ou tel organisme qui se qualifie de mondial met le pied dans notre porte négligemment entre-baillée, s’assied dans notre salon et décide de ce qui est bon pour nous sur le plan de l’emploi, du commerce, de l’alimentation ou de la santé, est-ce un «trop d’Etat» ou un «pas assez d’Etat» ?

12/12/2013

201 milliards d'euros

 

 

Savez-vous que l'aide - directe ou indirecte - aux entreprises coûte chaque année à l'Etat français quelque 201 milliards d'euros. Savez-vous que la majorité de cette aide va à des entreprises du CAC 40 ? Savez-vous ce qu'elles en font ? Non ? 

220px-Jmtruong6.jpgAlors, je vous invite à lire l'essai remarquablement impertinent - et pertinent - de Jean-Michel Truong: "Reprendre, ni sang ni dette". Il vous en coûtera moins de 15 euros et, pour ce prix-là, vous aurez une illumination digne d'Archimède dans son bain. 

L'auteur, qu'avec mon vieux complice Claude Roger j'ai eu l'avantage et le plaisir d'interviewer l'autre soir, propose une solution. Inacceptable bien sûr. De quoi s'agit-il? Sans déflorer le sujet, il ne s'agit ni de réduire ni d'augmenter cette aide. Il ne s'agit pas non plus d'embaucher 10 000 fonctionnaires supplémentaires pour en assurer une meilleure diffusion. 

Je peux vous dire que l'idée est brillante. Voilà ce qui peut sortir d'un cerveau non conventionnel, celui d'un des pères de l'intelligence artificielle française en même temps que d'un romancier. "Ah! oui, c'est une fantaisie!" allez-vous penser, peut-être vaguement soulagé. Que nenni! Nous avons préparé pour notre entretien une batterie d'objections digne du célèbre avocat du diable. Peine perdue! Le modèle est rationnel et bordé au possible.

Allez, pour 13 euros et des paillettes, c'est Noël, offrez-vous le et offrez-le. Vous n'allez pas vous ennuyer!

On vous invite même à lire le premier chapitre gratuitement ici: http://www.jean-michel-truong.com/reprendre/page/reprendr...

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07/12/2013

Le vrai racisme

 

 

Case oncle Tom 1949.jpgLes manifestations contre le racisme ont fait un flop et j’en suis bien aise. Je commence à être agacé par une certaine cohorte de pères et mères la vertu qui, pour le pet de travers d’un malappris, ne manquent pas une occasion de descendre courageusement dans la rue avec l’ambition de culpabiliser des Français qui n’en peuvent mais. Pour aggraver mon cas à leurs yeux, j’ajouterai que je n’ai aucun goût pour la repentance historique. L’Histoire est ce qu’elle a été, on ne la réécrira pas. Nos ancêtres ont vécu ce qu’ils ont vécu - et, quand je dis «nos» ancêtres, j’entends par là l’ensemble de l’espèce humaine - il y a eu des bourreaux et des victimes, des conquérants et des conquis, des capitaines et des fantassins, des exploiteurs et des exploités, et nous avons tous payé un très lourd tribu aux guerres tribales, mondiales ou régionales, religieuses, politiques ou mercantiles engendrées par les oligarchies les plus variées. 

 

Si l’on veut émerger du bourbier, il est urgent de se rappeler la phrase de Sartre: ce qui compte, ce n’est pas ce qu’on a fait de moi, c’est ce que je fais de ce qu’on a fait de moi. Que chacun arrête de se dire qu’il est le produit exclusif de l’autre et prenne son destin en main au lieu de s’enfermer dans le cercle des griefs cultivés à l’envie! La France et l’Allemagne, au temps de de Gaulle et d’Adenauer, malgré des millions de morts et de bonnes raisons de s’en vouloir à jamais, ont su enterrer la hache de guerre, et le grand homme qui vient de nous quitter en Afrique du sud n’a cessé par sa vie et sa parole de nous répéter qu’il faut savoir se libérer de l’histoire du passé pour écrire celle de l’avenir. D’ailleurs, à tous ceux qui, du monde entier, iront se presser plus ou moins hypocritement autour de sa dépouille, j’aimerais rappeler cette phrase du Christ: «Quand tu présentes ton offrande à l’autel, si tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, va d’abord te réconcilier avec ton frère; puis reviens, et alors présente ton offrande." J’en imagine quelques-uns qui pourraient avoir un détour à faire avant de rendre leur hommage à Madiba.  

 

Comme certains taux d’intérêts, la définition du racisme me semble aujourd’hui de plus en plus flottante. Pour moi, fondamentalement, le racisme est le refus d’accorder à des êtres humains la dignité et les droits dont d’autres jouissent, en raison d’une différence «raciale» que l’on résumera à des traits physiques, comme principalement la couleur de la peau, qui en feraient une espèce à part. Ce refus peut arguer de l’infériorité ou de la malignité de la «race» considérée. Mais comment devient-on raciste ? Je ne vais pas écrire ici un traité mais vous dire, brièvement, comment je me représente le mécanisme. D’abord, le racisme puise dans la couche profonde de nos réactions instinctives, reptiliennes, celles du chat qui se hérisse devant le chien. Le hérissement est naturel, mais être civilisé, c’est le surmonter, comme on a appris à surmonter la pulsion tout aussi naturelle du rut. Là-dessus, le racisme se nourrit du phénomène de projection mis en lumière par Freud, qui consiste à voir dans l’autre ce que nous refusons de voir en nous-même parce que la honte nous en serait insupportable. Troisième stade: cette projection engendre le processus de la prophétie auto-réalisatrice - l’effet Pygmalion dans sa version négative - à savoir que ce que je pense de l’autre influence son comportement au point qu’il va me donner raison. Enfin, quatrième stade, l’image qu’on a de l’autre devient un excellent mobile pour l’exploiter, le spolier ou tout simplement l’abandonner à la misère, sans souffrir de problèmes de conscience. Là-dessus, peuvent venir se greffer deux phénomènes qui renforceront les convictions qu’on a développées. D’une part, hélas! des dommages réellement causés par des membres de la population en question, agression, déprédation, vol, etc. qui laissent un goût de peur et d’humiliation sans cesse réactivé par les récits qui, autour, se construisent et se développent. D’autre part, les conditions de vie auxquelles on relègue cette population qui favorise chez elle, quand elle ne l’y contraint pas, le recours aux expédients, à la délinquance et à la violence. 

 

Quand on évoque le racisme, c’est-à-dire la conviction qu’il y a des races inférieures et supérieures, on a tous à l’esprit la traite des noirs, les plantations de coton et les guerres de colonisation dont ont été victimes les Africains, les Asiatiques et les Peaux-rouges. Mais n’avons-nous pas eu aussi nos propres esclaves, sur notre sol ? Que dire de ceux de l’Antiquité ? Que dire des moujiks en Russie, sous le règne des tsars ? Que dire des mineurs écossais dont Ken Follett, sans exagération, nous décrit la vie dans Le pays de la liberté ? Attention! allez-vous me dire, il n’y avait pas de différence de «race» entre l’exploiteur et l’exploité! Cependant, quelle représentation de l’exploité se faisait selon vous l’exploiteur pour être capable d’assigner, en toute bonne conscience, un sort aussi misérable à d’autres hommes ? Que croyez-vous qu’il se devait de penser pour pouvoir rester dans son rôle d’esclavagiste ? «Ces gens-là ne sont pas comme nous, ma chère» dit je ne sais plus quel personnage dans je ne sais plus quelle histoire, parlant des ouvriers. Pour accepter, sans en tomber malade de l’âme, de pressurer outrancièrement l’autre, il faut le croire, quelle que soit la couleur de sa peau, d’une espèce inférieure. 

 

C’est où je veux en venir. La grande question, selon moi, est de sortir de l’antiracisme émotionnel pour revenir à des enjeux qui dérangent davantage. On s’émeut d’une injure stupide et les donneurs de leçon patentés descendent dans la rue, mais on en fait beaucoup moins s'agissant de ceux qui engrangent des milliards quand les êtres humains qui travaillent à les enrichir, bien qu’ils s’épuisent au labeur, ont à peine de quoi vivre. Accepter qu’un homme soit rémunéré 1000 ou 1500 fois plus que le plus modeste de ses employés, n’est-ce pas valider qu’il y a des êtres humains supérieurs et d’autres qui sont inférieurs ? L’absence d’une différence de couleur de peau en fait-elle un scandale moindre, voire autre ? Seulement, voilà: toucher à cela n’est plus seulement donner des leçons de morale à Mme Michu. C’est s’attaquer au système. C’est remettre en question l’avantage que nous tirons, ici, des esclaves que nous avons là-bas, au Bangladesh ou ailleurs. Plus sournoisement, c’est peut-être aussi remettre en question l’admiration que nous avons pour une certaine forme de réussite. Le vrai racisme n’est pas qu’un débordement de langage, c’est un système social.